Jacques Primeau ne pouvait quitter la direction de Montréal en lumière sans lancer un cri d’alarme pour protéger les grands festivals de la métropole qui traversent actuellement une crise majeure.

« Il y a quelques années, on a vu une incroyable mobilisation pour éviter que le Grand Prix nous échappe. Là, c’est plus que ça. On pourrait perdre une partie de l’ADN de Montréal. Le centre-ville est le poumon de Montréal. Il faut s’en occuper. »

Je me suis entretenu avec celui qui s’est fait connaître comme le « gérant de RBO » alors qu’il venait de vivre sa dernière édition de Montréal en lumière. L’homme en avait long à dire.

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La Nuit blanche de Montréal en lumière, au début du mois, a attiré des milliers de festivaliers au centre-ville de Montréal.

Avec les effets du télétravail, les activités culturelles deviennent une source de revenus majeure pour le centre-ville. Les festivals sont une incroyable attraction. Il faut être conscient de ça.

Jacques Primeau

Jacques Primeau tire sa révérence au moment où un fleuron montréalais, le festival Juste pour rire, bat sérieusement de l’aile. À ce sujet, il tient à préciser une chose. « Il faut faire une distinction entre la problématique de Juste pour rire et la situation qui touche les autres festivals. Ce qui se passe actuellement, c’est que le Quartier des spectacles s’est développé, les gens viennent autant, sinon plus, mais ils dépensent moins. Il y a donc une perte de revenus. »

Parmi les solutions qui pourraient permettre la survie des festivals montréalais, Jacques Primeau cible une aide financière provenant de ceux qui « bénéficient des retombées » du Quartier des spectacles : les commerçants, les propriétaires de bar, les restaurateurs et même les promoteurs immobiliers.

« Il faut analyser les retombées économiques des festivals et voir à qui ça profite, dit-il. Il faut ensuite se demander si on est appuyé de façon équitable par ceux-ci. Selon moi, il y a un effort de plus qui peut être fait. Est-ce que ça peut venir des propriétaires immobiliers qui ont énormément profité du boom du Quartier des spectacles ? Est-ce qu’on doit regarder du côté de la valeur immobilière de ce secteur qui a grandement augmenté ? Je n’ai pas la réponse. Il faut tout scruter. »

Beaucoup de discussions entre la Ville de Montréal, le Partenariat du Quartier des spectacles, Tourisme Montréal, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Montréal centre-ville et de nombreux festivals ont lieu depuis quelques mois.

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Jacques Primeau, directeur général sortant de Montréal en lumière.

Je peux vous assurer que tout le monde se parle en ce moment. Il faut avoir de l’envergure et de l’ambition. Il ne faut pas juste maintenir les festivals en vie, il faut les développer davantage.

Jacques Primeau

La chose m’a été confirmée par Ericka Alneus, responsable de la culture au comité exécutif de la Ville de Montréal. « Il est trop tôt pour annoncer un plan, mais chose certaine, on est dans un nouveau paradigme et il faut ajuster les choses en conséquence. […] Concernant une taxe spéciale, il nous manque plein de données pour prendre une décision éclairée. »

Si le public vient en si grand nombre dans les festivals, c’est parce que de nombreux grands évènements sont gratuits. Serions-nous prêts à revoir ce modèle ? En entrevue samedi dernier à l’émission Les faits d’abord, Jacques Primeau a reconnu que le système payant mis de l’avant par le Festival d’été de Québec est une bonne chose, mais estimé que cela serait difficilement réalisable sur le site de la place des Festivals.

« Je défends la gratuité parce qu’elle joue un rôle important dans le développement du public et la démocratisation de la culture. Et puis, il faut se le dire, ça favorise les rassemblements sociaux à une époque où l’on s’envoie des invectives sur les réseaux sociaux. »

Un autre aspect qui pourrait améliorer le sort des festivals montréalais est la piétonnisation permanente de la rue Sainte-Catherine (tronçon De Bleury – Saint-Laurent). Vous me direz que c’est déjà pas mal le cas depuis quelques années, mais Jacques Primeau croit qu’une fermeture durable offrirait plus de latitude aux organisateurs.

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Le sentier de patin lors de la Nuit blanche

« Avec la création d’une immense place publique, on pourrait entrevoir une pérennisation, imaginer autrement le mobilier urbain et les installations. On pourrait avoir une vision artistique plus audacieuse. »

Ericka Alneus hésite à confirmer la chose, se contentant de dire qu’il y a un « appétit » pour la piétonnisation. « Pour le moment, on applique la formule du renouvellement chaque année. » Mais quand je lui ai soumis l’idée de raccorder le tronçon de la place des Festivals à celui du Village gai (Saint-Hubert – Papineau), elle m’a dit ceci : « J’écoute votre suggestion avec attention. »

L’aménagement de l’esplanade Tranquille est venu compléter le vaste tableau du Quartier des spectacles rue Sainte-Catherine. Du travail reste maintenant à faire du côté de la rue Saint-Denis. Les projets de l’École de l’humour et de la Maison de la chanson seront des atouts importants. « C’est ce qu’on voulait au départ, créer une concentration d’organismes culturels, dit Jacques Primeau. Mais la chose la plus importante à réaliser, c’est la qualité du contenu. Il faut avoir les moyens de s’offrir ça. »

Je ne peux pas croire qu’avec son riche bagage (président de l’ADISQ de 2000 à 2003, président et vice-président du conseil du Partenariat du Quartier des spectacles de 2012 à 2019, membre du conseil d’administration de la Société de développement des entreprises culturelles), Jacques Primeau ira maintenant gérer la carrière de ses artistes tout en cultivant des tomates ?

« Je serai franc, je n’ai rien contre le concept de retraite, mais pour le moment, je ne suis pas pratiquant. Je vais continuer à m’occuper de mes artistes, mais pour le reste, on verra bien ! »

Les retombées de Montréal en lumière (édition 2023)

  • 88 435 nuitées à Montréal attribuables à l’évènement
  • 96 % : taux d’occupation des 40 restaurants participants des Bonnes Tables
  • 70 000 visites aux patinoires
  • 30 000 spectateurs aux 19 concerts
  • 3642 mentions dans des médias du Canada, de la France, des États-Unis et de la Belgique
  • 100 journalistes, dont 37 provenant de l’international
  • 445,94 $ : dépense moyenne par personne provenant de l’extérieur de Montréal

Étude réalisée par KPMG en 2023