En décembre dernier, la PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, a surpris tout le monde en annonçant des compressions de 125 millions de dollars. Pour atteindre cet objectif, on prévoyait supprimer 600 emplois partout au pays et abolir 200 postes vacants, soit environ 10 % du personnel.

Les raisons invoquées étaient la perte de revenus publicitaires et les efforts de 3,3 % demandés aux sociétés d’État dans le budget Freeland de 2023. Fraîchement arrivée au ministère du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge s’était empressée de dire que rien n’indiquait que CBC/Radio-Canada allait être touchée par cette mesure.

Au même moment, des sources anonymes gouvernementales affirmaient que la décision de CBC/Radio-Canada d’annoncer ces compressions était « prématurée ». « Catherine Tait n’a pas compris l’exercice qu’on est en train de faire du tout », a dit l’une de ces sources.

La PDG s’est défendue en affirmant qu’elle avait reçu « des directives comme tous les ministères et les sociétés d’État » et que le chiffre était « dans ses prévisions ».

Finalement, en février, on a appris que CBC/Radio-Canada n’aurait pas à participer à l’effort de 3,3 %.

Au même moment, le Conseil du Trésor a annoncé que le budget de la société d’État s’élèverait à 1,4 milliard en 2024-2025, ce qui signifie une hausse d’environ 100 millions par rapport au précédent budget. On me dit que cet ajout est lié à de récentes négociations syndicales.

Pendant ce temps, la haute direction de CBC/Radio-Canada a commencé à appliquer son plan de compression qui a mené à ce jour à une réduction de son effectif de 141 employés et à l’élimination de 205 postes vacants.

Mardi, dans son budget 2024-2025, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé un financement supplémentaire de 42 millions pour la société d’État. Dans un mémo envoyé mardi, Catherine Tait a déclaré que celle-ci allait maintenant « mettre à jour ses plans en fonction des nouvelles informations ». Pour le moment, il n’y a rien « d’autre à annoncer », m’a dit un porte-parole de Radio-Canada.

À la lumière de ce dénouement et de cette avalanche de chiffres, il est très difficile de dire combien CBC/Radio-Canada aurait dû retrancher au juste. Si on avait travaillé avec des données plus précises, aurions-nous pris les mêmes décisions ?

CBC/Radio-Canada a agi comme d’autres employeurs l’auraient fait. Elle a voulu prendre les devants et montrer qu’elle était proactive. Mais n’empêche que tout cela sent la précipitation et l’improvisation.

« C’est en effet la conclusion d’une grande opération marquée par l’improvisation », m’a confié Pierre Tousignant, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC).

Je regarde cela et je ne peux m’empêcher de penser aux autres vagues de compressions qui ont touché la société d’État au cours des 30 dernières années. Le scénario est souvent le même : on fait des coupes, des mises à pied, on détruit l’atmosphère, puis on reçoit de l’argent et on réembauche. Il faut stopper ce mouvement pernicieux et dévastateur pour le moral des troupes.

Pierre Tousignant m’a dit qu’il n’avait jamais vu autant de désarroi chez ses collègues, les jeunes plus particulièrement, que ces derniers mois.

Je n’ai jamais eu à gérer autant d’anxiété et d’inquiétude. On recevait des appels de détresse au quotidien. J’ai trouvé cela extrêmement difficile et éprouvant. Humainement, ce n’est pas acceptable.

Pierre Tousignant, président du STTRC

Pour toutes ces raisons, il faudra suivre de près l’opération qu’entend mener Pascale St-Onge au cours des prochains mois et qui vise à revoir la structure financière de CBC/Radio-Canada, de même que sa gouvernance et sa mission (le comité d’experts sera nommé bientôt). L’objectif est évidemment d’en arriver à une plus grande stabilité financière et, par le fait même, de programmation.

Ce renouveau sera appliqué par celui ou celle qui succédera d’ici à la fin de l’année à Catherine Tait, dont le mandat a connu plusieurs soubresauts et suscité de nombreuses critiques.

Ce festival de chiffres, de décisions hâtives et de marche arrière aura sans doute des effets négatifs pour la société d’État, à commencer par les munitions qu’il procurera au chef conservateur Pierre Poilievre, qui se fera un plaisir d’affirmer que les sommes versées à CBC/Radio-Canada sont des balles avec lesquelles on peut aisément jongler.

Poilievre et Masbourian

Invité à commenter le récent budget fédéral par Patrick Masbourian, animateur de Tout un matin, Pierre Poilievre a d’ailleurs offert une salve de critiques. Rien d’étonnant de ce côté, c’est le rôle de l’opposition.

L’animateur lui a quand même demandé ce qui le satisfaisait dans le budget, évoquant la remise de la taxe carbone pour les PME. « C’est une bonne nouvelle, ça, non ? », a dit Patrick Masbourian.

« Il me semble que vous êtes un porte-parole de Justin Trudeau », a répondu en riant celui qui rêve de passer la société d’État dans le collimateur.

En disant cela, et sur la base d’une seule question, Pierre Poilievre met en doute publiquement l’objectivité et le professionnalisme d’un journaliste. Cela n’augure rien de bon.

Patrick Masbourian n’a pas réagi à ces propos. Mais moi, je me suis dit intérieurement : on croirait entendre la tactique utilisée par un certain candidat républicain face aux journalistes dont il n’apprécie pas les questions. Et encore moins la présence.