On sait depuis longtemps que Paris est une fête, mais ces derniers jours, cette fête avait une saveur bien québécoise.

Particulièrement samedi soir, où il y avait tellement d’invitations à gauche et à droite que la délégation du Québec au Festival du livre de Paris était dispersée entre plusieurs festivités, dont certaines improvisées. J’ai dû sauter dans des taxis pour faire acte de présence à un maximum d’endroits, avec une complice inattendue, Anne-Isabelle Tremblay, responsable de la bibliothèque Gaston-Miron, partante pour toutes les aventures.

Dans cette folle nuit parisienne qui a bien failli m’achever avec le décalage horaire, mon seul regret est d’avoir raté, parce que mon horaire ne me le permettait pas, quelque chose qui n’a rien à voir avec le monde du livre : le spectacle Pub Royal en hommage aux Cowboys Fringants, présenté au Grand Rex, lieu mythique. Les amis d’Anne-Isabelle admirateurs du groupe lui écrivaient que le public était carrément en délire. Après le show, comme si on ne voulait pas que ça s’arrête, on chantait les tounes des Cowboys Fringants dans les rues de Paris, en ce soir caniculaire qui ressemblait beaucoup plus à l’été qu’au printemps. Par un étrange hasard, le groupe allait malgré tout faire partie de ma soirée lors d’un karaoké en compagnie du ministre québécois de la Culture, Mathieu Lacombe.

Visionnez une vidéo Instagram des Cowboys Fringants

Mais commençons par le début. Il y avait le « bal du Festival » sur la mezzanine au-dessus du Pavillon du Québec, au Grand Palais Éphémère.

Pendant trois jours, cette section VIP du Festival du livre de Paris, ornée du mot « Québec » sur fond bleu impossible à manquer, a été un véritable refuge dans la cohue de ce salon, où on se serait cru à la maison, mais la tour Eiffel nous regardait.

Personne n’a résisté à l’envie de photographier ce symbole touristique par excellence pendant la durée du festival et je m’inclus là-dedans. Dans ce pavillon qui n’a jamais été désert, je n’ai vu aucune activité sans public, et pratiquement pas d’écrivains qui se tournaient les pouces à leur table pendant les dédicaces. J’ai vu des visiteurs qui n’achetaient pas un ou deux livres, mais 12, surtout dimanche avant la fermeture de l’évènement.

« Les gens sont curieux, respectueux et attentifs », a noté Gabrielle Boulianne-Tremblay, auteure de La fille d’elle-même, rassurée de ne pas avoir reçu une seule fois des questions déplacées sur son identité de femme trans. Elle est devenue amie avec la poétesse Denise Desautels que, franchement, tout le monde aime ici. Un trésor national.

Elle participait à une lecture de poésie à la fin de la journée de samedi réunissant Denise, Hélène Dorion, Gabrielle Filteau-Chiba, Valérie Forgues, Annie Lafleur, Rita Mestokosho, Rodney Saint-Éloi et Larry Tremblay. Un Français adepte de la poésie, Théo, qui est aussi chanteur lyrique, était assis devant moi et, je vous jure, il frétillait sans arrêt, dans une réceptivité totale. Il m’a confié qu’Hélène Dorion a été « un séisme absolu » pour lui, après l’avoir vue à la télé. Avec cette lecture, il est tombé amoureux de Gabrielle Boulianne-Tremblay et Denise Desautels.

C’est revenu sans arrêt dans les conversations : la qualité des rencontres, des mélanges sur les panels, autant dans l’animation que les invités. Même si le Québec avait son pavillon, il n’est pas resté dans un entre-soi, et c’était toute la beauté de la chose.

Mais revenons à cette fièvre du samedi soir. Marie Hélène Poitras, lauréate du Prix du gouverneur général pour son recueil Galumpf chez Alto, a chauffé la piste de danse – tout le milieu connaît ses talents de DJ depuis longtemps. Vous imaginez, danser avec vue sur la tour Eiffel illuminée, la nuit ?

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Une des photos de la tour Eiffel prises par notre chroniqueuse

Mais j’étais alors à la Librairie du Québec, qui recevait jusqu’à tard ceux et celles qui avaient envie de venir faire un tour. L’écrivain Larry Tremblay m’y a présenté son traducteur allemand, l’Autrichien Michael von Killisch-Horn, qui est aussi le traducteur de Michel Jean. Michael m’a raconté être lancé dans une série de contrats de traduction d’auteurs autochtones, particulièrement de la maison Mémoire d’encrier. Il a de solides liens avec le Québec, approfondis depuis la Foire du livre de Francfort de 2021, où le Canada avait été à l’honneur, et il va bientôt faire découvrir aux germanophones les An Antane Kapesh, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Natasha Kanapé Fontaine…

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Tout au long du festival, la Librairie du Québec à Paris recevait jusqu’à tard ceux et celles qui avaient envie de venir faire un tour.

Le même soir, il y avait la « Fête chez Hoki » au musée Grévin pour l’anniversaire de Dany Laferrière, avec des invités triés sur le volet. L’Immortel de l’Académie française, qui a eu 71 ans le 13 avril, était samedi après-midi au vernissage de l’exposition Un cœur nomade, présentée auparavant à Montréal, qui propose en plein air des planches de ses romans graphiques, cette fois sur le pont des Arts et le parvis de l’Institut de France jusqu’au 12 mai. On lui a chanté « Mon cher Dany, c’est à ton tour… », sur l’air de Gens du pays de Gilles Vigneault, ce qui, selon son agente Camille Robitaille, a déstabilisé quelques Français qui ne connaissent pas cette version bien de chez nous de fredonner un anniversaire.

Puis, à 21 h, au musée Grévin, dans une atmosphère théâtrale, entouré de statues de cire, Dany a lu et fait lire des extraits de son récent livre Fête chez Hoki. Certains qui étaient là ne sont pas tout à fait revenus de l’expérience. Notamment Alain Farah, qui m’a dit que ça ressemblait à Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, mais en version littéraire. Je suis arrivée à la fin de la soirée quand on mettait le monde à la porte et Dany m’a montré son graffiti ajouté à des dizaines d’autres dans les toilettes : « 13 avril 2024 c’était mon anniversaire au Grévin. Qui dit mieux ? » Ça dépend vraiment des goûts, car il n’y a rien de plus creepy que les statues de cire de personnalités, selon moi, mais il n’y a qu’à Paris, et avec Dany, qu’on peut vivre des trucs pareils.

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Un graffiti de Dany Laferrière dans les toilettes du musée Grévin

Il était minuit, je pensais aller me coucher quand Anne-Isabelle a appris que le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, se rendait au bar La noche dans le quartier Pigalle, avec l’écrivain Patrick Senécal, qui est toujours en quête de karaoké.

Nous avons sauté dans un taxi pour ensuite hurler dans une cave humide et enfumée des tubes français (La tribu de Dana), parce que les tounes en anglais, ce n’est pas si gagnant que ça à Paris au karaoké, même si Senécal s’est donné entièrement pour Sad But True de Metallica. En tout cas, je peux vous dire que notre ministre a une belle voix après l’avoir entendu chanter Sous le vent de Céline et Garou, mais je suis partie à 3 h 30 du matin avant qu’il puisse performer pour sa demande, La manifestation des Cowboys Fringants.

Tout ça pour vous dire que dimanche au festival, il y avait bien des Québécois fripés d’avoir dormi sur la corde à linge ; ils ont malgré tout respecté leurs engagements jusqu’à la dernière minute du salon.

Être l’invité d’honneur ne change pas le monde, mais j’ai compris que tout l’intérêt de cet évènement tenait aux rencontres, aux relations que l’on noue en personne. C’est une vérité encore plus éclatante dans un monde post-pandémie.

Comme bien des participants ces derniers jours, j’ai ajouté beaucoup de gens à mon carnet de contacts, j’ai de nouvelles idées de reportages, et une meilleure compréhension du jeu de l’édition. Karine Vachon, directrice générale de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), m’a offert un petit bilan de cette aventure. Si tout cela a pu se réaliser un peu à la dernière minute, c’est qu’il y avait une expertise sur le terrain depuis des années, et qu’on a accepté l’invitation parce que cela répondait à des attentes précises. On n’a pas dit oui juste pour dire oui à une sorte d’honneur. Le Festival du livre de Paris était l’occasion de créer des liens avec les médias, les libraires, les décideurs d’évènements culturels ailleurs qu’à Paris. « Le Festival avait une organisation bien structurée et une équipe en qui nous avions confiance, ils ont livré ce qu’ils nous avaient promis », dit-elle.

La balle est maintenant dans le camp des ministères culturels québécois et canadien. Ça n’arrive pas tous les ans, être le pays invité d’honneur d’un salon d’envergure, et ce n’est pas non plus le désir que ça arrive chaque année, sinon, ce ne serait plus événementiel. Il faut cependant poursuivre la présence québécoise dans de multiples manifestations, dans les librairies, dans les colloques, bref, rester sur le terrain, où on est vraiment en train de prendre notre place. « Nous devons soutenir les stratégies éditoriales des maisons », dit Karine Vachon, qui rappelle que l’enveloppe du Fonds du livre du Canada n’a pas augmenté depuis 20 ans, malgré la multiplication des maisons d’édition qui vont au front dans un marché féroce.

Ce que j’ai senti au Festival du livre de Paris est que non seulement nous sommes prêts pour la suite, mais que le public l’est aussi. Et qu’il faudra soutenir cette vision à long terme. « Les lecteurs ne cherchent pas le Québec dans nos livres, ils cherchent de bons livres », résume Karine Vachon. Et ça, nul doute que nous en avons beaucoup à leur offrir.