(Paris) « Vous êtes les mieux placés, faites-moi confiance », a dit jeudi soir la ministre française de la Culture, Rachida Dati, à la foule massée dans le Pavillon du Québec au Festival du livre de Paris qui se tiendra au Grand Palais Éphémère jusqu’à dimanche.

C’est plutôt vrai. Mazette, c’est fort joli, cette section en bois dédiée à la littérature du Québec, le pays invité d’honneur, avec une vue imprenable sur la tour Eiffel. On devine que bien des visiteurs voulant la photographier tomberont en même temps sur une vaste sélection de livres québécois, et ce trafic ne peut que nous avantager, après la traversée d’une multitude de kiosques de maisons d’édition françaises et européennes, comme dans tous les salons du livre francophones.

Pourtant, le public n’était pas encore convié jeudi, qui était le soir d’inauguration, avec dignitaires et invités, parmi lesquels Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications du Québec. Malgré tout, on se marchait sur les pieds, alors qu’est-ce que ce sera avec les visiteurs, on se le demande ! Rachida Dati se disait heureuse d’inaugurer ce pavillon dans son arrondissement, en présence de son homologue québécois, qui a reçu en cadeau une copie d’une courte lettre de Charles de Gaulle au général des armées, dans laquelle il critique l’utilisation de mots anglais quand on devrait utiliser des mots français en tout temps selon lui, dévoilant bien à l’avance une irritation devant l’anglomanie des Français qui décourage bien des Québécois depuis longtemps.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA DÉLÉGATION GÉNÉRALE DU QUÉBEC À PARIS

Rachida Dati, ministre française de la Culture, et Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications du Québec, lors de l’inauguration du Festival du livre de Paris, jeudi soir.

On a appris le contenu de cette lettre parce que Dany Laferrière a insisté pour qu’on nous la lise, forçant les deux ministres à revenir au micro, ce qui a donné lieu à un moment cocasse. « Comme on dit au Québec, on voulait l’entendre, cette “hostie” de lettre », a-t-il raconté ensuite à ceux qui l’avaient raté.

C’est très spécial de voir autant d’écrivains du Québec réunis à Paris pour cet évènement, tous un peu en décalage horaire comme je le suis. Et puisque les Français savent recevoir et sont généreux sur le vin gratuit, il faut être prudent pour éviter la gueule de bois. Certains étaient arrivés à l’avance, d’autres le matin même. J’ai croisé l’éditeur et poète de Mémoire d’encrier Rodney Saint-Éloi à l’aéroport de Montréal – cet homme qui se dévoue pour sa maison vit dans les aéroports – et j’étais sur le même vol que Patrick Senécal, qui s’est fait demander une photo par une admiratrice alors que nous étions en file pour l’embarquement. Cela m’a rappelé pourquoi j’allais à Paris : c’est parce qu’on est populaire chez soi qu’on suscite l’intérêt ailleurs. Il faut parfois être prophète en son pays.

PHOTO RENAUD LABELLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Québec est invité d’honneur au Festival du livre de Paris.

La poétesse Hélène Dorion, dont le recueil Mes forêts est au programme du bac français (une première non seulement pour une Québécoise, mais aussi pour une autrice vivante), est lancée dans une tournée de trois mois tellement elle est demandée partout, même en Australie, m’a-t-elle dit. André Marois arrivait du festival Quais du polar à Lyon, où il a dédicacé ses livres avec Dennis Lehane. Michel Jean prenait le train de Bourgogne après une tournée en Allemagne et en Autriche.

Mais personne n’est naïf dans cette célébration, car la proposition de mettre le Québec à l’honneur au Festival du livre de Paris est arrivée pas mal à la dernière minute, m’a-t-on dit en coulisses depuis des semaines. N’empêche, le momentum est là, et on va le prendre. Les équipes de Québec Édition et de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) ont mis les bouchées doubles pour que tout cela advienne.

De toute façon, cela fait des années qu’elles construisent ces ponts, et Olivier Gougeon, directeur général du Salon du livre de Montréal, a tenu à leur lever son chapeau quand on s’est parlé.

Bien sûr, les 42 écrivains québécois de la délégation officielle brilleront de tous leurs feux dans les prochains jours, mais derrière eux, il y a le travail acharné de tous les acteurs de la chaîne du livre québécois qui ne font que poursuivre une patiente, mais solide conquête, qui donne des résultats.

Il y a plein de trucs et d’activités en marge du Festival du livre de Paris, ce qui contribue à l’effervescence. Je ne sais plus où donner de la tête, les auteurs sont invités partout. Jeudi matin, c’était à l’Académie française où Alain Farah aurait dévoilé des liens de parenté avec Amin Maalouf ; il y avait une réunion de production au journal Libération pour le cahier spécial des écrivains qui paraît ce vendredi, et en après-midi, j’ai participé à une visite de la superbe bibliothèque Sainte-Geneviève, en compagnie notamment de Marie Hélène Poitras, Alain Beaulieu, Patrick Senécal et Michel Duchesne, où est présentée l’exposition Le Québec à Paris, en collaboration avec la bibliothèque Gaston-Miron, qui illustre les liens entre le Québec et la France depuis Samuel de Champlain.

PHOTO RENAUD LABELLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie Hélène Poitras lors de la visite de la superbe bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris

Mercredi soir, j’étais à un lancement d’Héliotrope à la librairie Le comptoir des lettres sur le boulevard Saint-Marcel, la maison d’édition de Kevin Lambert qui a offert cette semaine à l’émission La grande librairie un impressionnant coup de gueule devenu viral sur les réseaux sociaux. Il sera cependant au Salon du livre de Québec, qui se déroule en même temps que le Festival du livre de Paris.

La preuve de la vitalité de notre littérature est que la programmation à Québec ne souffrira pas tant que ça de la petite saignée de plumes parties nous représenter dans l’Hexagone.

PHOTO CHANTAL GUY, LA PRESSE

L’éditrice et autrice Olga Duhamel-Noyer avec l’autrice Martine Delvaux lors du lancement d’Héliotrope à la librairie Le comptoir des lettres.

Olga Duhamel-Noyer et Florence Noyer, ce couple de feu derrière Héliotrope, m’ont expliqué vouloir faire le saut en France pour préserver la cohésion éditoriale de leur maison. À ce lancement, on dévoilait les derniers titres de Martine Delvaux, d’André Marois, de Vincent Brault et d’Olga, qui est elle-même écrivaine. Sur place, il y avait les représentantes (parce que majoritairement femmes) d’à peu près tout ce qui concerne l’édition de poche en France, un rayon très important. L’intérêt pour la littérature du Québec est réel, selon Marie Lannurien de l’agence littéraire #Bam, qui travaille notamment pour les maisons Alto, La Peuplade, Héliotrope et Les Herbes rouges.

Elle constate même une accélération ; on veut du « keb » dans les catalogues. Ce qui fascine, ce sont les thèmes, le propos, une liberté et une diversité de paroles dans ce coin des Amériques.

C’est cette diversité qui plaît aussi à Dominique Fortier et Denise Desautels – qui était de la délégation québécoise à Paris en 1999, la dernière fois que le Québec a été invité d’honneur. Je n’en reviens pas, mais Dominique et Denise ne s’étaient jamais rencontrées, elles participeront ensemble à une discussion avec Larry Tremblay au Festival du livre de Paris. Ce genre de rencontre tenait à cœur à Jean-Baptiste Passé, directeur général de l’évènement, qui ne voulait pas qu’on reste dans sa gang ou dans son coin, confiant des animations à des Québécois comme Claudia Larochelle, poussant le dialogue entre écrivains de chez nous et d’ailleurs – même moi, j’ai accepté d’animer une discussion, avec Éric Chacour, Kim Thúy et Hemley Boum.

Au moment où vous lirez ces lignes, j’aurai acheté le Libé des écrivains au coin de la rue parce que je suis curieuse, mais la vraie aventure commencera avec l’arrivée du public français au Grand Palais Éphémère. Dans toutes ces festivités, il ne faut jamais oublier le plus important : les personnes qui lisent. C’est pour elles qu’on écrit.