À moins d’une semaine du Festival du livre de Paris où le Québec sera l’invité d’honneur, on verra bientôt des auteurs québécois un peu partout dans les médias français.

En tout cas, des journalistes travaillaient à l’avance pour cette couverture, car mon collègue Dominic Tardif et moi avons offert un petit cours 101 sur la littérature québécoise à un contingent de journalistes de passage à Montréal récemment. Nous n’étions pas les seuls à leur programme : ils ont fait une intense virée auprès d’écrivains et de maisons d’édition, et ont même eu droit à une visite du square Saint-Louis avec Dany Laferrière.

Je leur ai raconté que ma carrière de journaliste a commencé à la fin de 1999, et que dès le début, j’ai été affectée à la littérature québécoise pour laquelle on ne se bousculait pas trop à l’époque. Que sans le savoir, je me lançais dans une grande aventure, à un tournant de l’édition au Québec, quand sont apparues de nouvelles maisons et de nouvelles voix. Un véritable changement de garde et de vision, qui nous mène aujourd’hui au temps des récoltes et à une maturité particulièrement séduisante.

Je le répète souvent, mais en 2000, on lisait beaucoup moins de livres québécois au Québec, et la tendance s’est inversée en un quart de siècle. Si l’édition étrangère a toujours beaucoup de poids dans les ventes de livres chez nous, le bilan BTLF/Gaspard de 2023 nous rappelle que sur les 10 livres les plus vendus de l’année, 9 sont des éditions québécoises, tous genres confondus ; le seul livre étranger qui trône au sommet du palmarès est le dernier Astérix, qui est quand même un phénomène mondial.

À la fin de cette présentation où j’espère que nous avons bien répondu aux questions de nos collègues, Jean-Baptiste Passé, directeur général du Festival du livre de Paris, m’a fait remarquer que j’ai commencé ma carrière tout juste après le Salon du livre de Paris de 1999, la dernière fois que le Québec avait été invité d’honneur. J’ai eu un moment d’émotion en pensant à tout ce que les écrivains d’ici m’ont fait vivre pendant 25 ans, impossible à résumer en une heure. J’ai failli lui infliger la blague de Hi ! Ha ! Tremblay, « 25 ans minimum ! », mais je me suis retenue.

Oui, 25 ans minimum, jusqu’à ce que Paris renouvelle son invitation (et son intérêt) pour les lettres de la Belle Province.

Le contexte de 2024 est très différent de celui de 1999. J’ai l’impression que le monde du livre québécois est flatté et content de cette invitation, mais qu’il ne s’en va pas là-bas avec le sentiment de jouer son avenir comme autrefois. De toute façon, il n’y a pas que Paris qui nous invite, il y a aussi Angoulême et Saint-Malo, récemment Bruxelles, Francfort, Genève, Rabat, et en 2026, Göteborg, en Suède.

Mes collègues ont ri de moi quand j’ai googlé Göteborg, ce qui a révélé en même temps mon ignorance des polars scandinaves. Mais si les lecteurs raffolent de ces histoires policières dans les pays nordiques, pourquoi la collection noire d’Héliotrope ne pourrait pas vivre le même engouement, puisque le Québec est aussi un pays nordique ? m’a dit Olga Duhamel-Noyer, qui dirige la maison avec Florence Noyer. Héliotrope compte s’implanter dès cette année en France, comme d’autres maisons québécoises qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu dans les dernières années – pensons à La Peuplade, Mémoire d’encrier ou Le Quartanier.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Dominique Fortier, autrice

Nous sommes invités parce que nous sommes intéressants et non dans l’espoir qu’on s’intéresse à nous. Les Dany Laferrière, Dominique Fortier, Kevin Lambert, Éric Chacour, Kim Thúy, Hélène Dorion, Denise Desautels, Michel Jean ou Julie Doucet, en étant célébrés en France dans les dernières années, ont mis la table. Une curiosité se développe envers notre littérature, et j’oserais dire aujourd’hui nos littératures. Je n’en reviendrai jamais d’avoir assisté à la naissance de la parole écrite des Premières Nations, qui fascine d’ailleurs beaucoup les Européens. Il s’écrit ici quelque chose en marge de nos culs-de-sac évidents, qui donne, j’ose le croire, un goût d’avenir.

Je suis allée relire beaucoup d’articles publiés en 1999 à propos du Salon du livre de Paris qui avait le Québec en vedette. L’excitation était à son comble, environ 400 personnes, dont 185 écrivains, avaient fait le voyage vers l’Hexagone où allait aussi se tenir le Printemps du Québec à Paris, qui avait moins cartonné que le rendez-vous des écrivains. Les politiciens étaient beaucoup de la conversation, ce que je vois moins en ce moment. On avait bien des espoirs autour de cet évènement où l’on souhaitait changer l’image de la littérature québécoise, perçue comme « pittoresque ».

PHOTO DENIS COURVILLE, ARCHIVES LA PRESSE

En 1999, le président de l’ANEL, Pascal Assathiany, et la ministre des Relations internationales du Québec, Louise Beaudoin, assistent au lancement du Salon du livre de Paris où le Québec est à l’honneur.

La semaine prochaine, plus de 70 écrivains (dont 42 de la délégation d’honneur) et une soixantaine de représentants de maisons d’édition seront au Festival du livre de Paris. C’est un peu plus modeste qu’en 1999, et les attentes sont plutôt réalistes selon Geneviève Pigeon, présidente de l’ANEL.

Je pense que nous avons les pieds sur terre. Il n’en demeure pas moins qu’une invitation comme celle-là permet de consolider notre présence sur le sol français, de rencontrer des libraires, lectrices et lecteurs, professeurs, bibliothécaires, qui sont des courroies de transmission fantastiques et qui peuvent faire en sorte que davantage d’autrices et d’auteurs seront lus en France.

Geneviève Pigeon, présidente de l’ANEL

« Je pense que les attentes s’articulent autour de la durée, plutôt que d’un effet de mode. C’est davantage une étape, un pas vers les objectifs à atteindre, plutôt qu’une fin en soi », ajoute-t-elle.

En 1999, il y avait bien sûr de la chicane, notamment à propos du poids considérable de Boréal/Dimédia dans l’organisation de l’évènement. Son directeur, Pascal Assathiany, qui était à ce moment-là président de l’ANEL, avait déclaré à la revue Livres Hebdo : « Un auteur québécois est un auteur étranger dans l’Hexagone. Dans son propre pays, il est mieux servi par un éditeur local. » C’est toujours aussi vrai aujourd’hui, peut-être même davantage.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dany Laferrière, auteur

En 1999, les écrivains qui avaient attiré l’attention des médias étaient Gaétan Soucy, Dany Laferrière, Robert Lalonde, Monique Proulx, Sergio Kokis ou Neil Bissoondath, mais ceux qui vendaient le plus d’exemplaires en France étaient Arlette Cousture, Yves Beauchemin et Denise Bombardier, parfois davantage que les écrivains québécois établis qu’étaient les Hébert, Ducharme, Tremblay, Poulin ou Blais.

Vingt-cinq ans plus tard, qui seront sous les projecteurs ? Dans la délégation officielle, à moins de me tromper, je crois que seuls Dany Laferrière et Hélène Dorion étaient de l’aventure de 1999, tous les autres sont de nouveaux visages.

PHOTO CAROL TEDESCO, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie-Claire Blais et Chantal Guy à Key West, en 2018

L’histoire de la littérature s’écrit aussi en dehors des livres, par des témoins comme moi qui n’ont d’autre ambition que de garnir les archives et fournir d’éventuelles notes en bas de page. Pour les lecteurs de La Presse, et pour ajouter un chapitre à mes mémoires, je vais m’envoler vers Paris avec mon cœur en forme de bibliothèque, et dans ma tête, des souvenirs mémorables qui s’étalent sur un quart de siècle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Victor-Lévy Beaulieu met une copie de son livre La grande tribu dans son poêle à bois, en 2008.

En voici quelques-uns pêle-mêle : Nelly Arcan et Guillaume Vigneault flamboyants à un chic lancement de Boréal au début des années 2000, pleurer avec Catherine Mavrikakis à notre première entrevue, Jacques Poulin à Québec qui me donne un mouchoir d’eucalyptus pour soigner ma grippe, une virée inoubliable chez Victor-Lévy Beaulieu à Trois-Pistoles où il avait brûlé son livre La grande tribu dans son poêle à bois pour protester contre le recul du mouvement indépendantiste, découvrir Joséphine Bacon en Haïti lors d’un voyage d’écrivains organisé par Rodney Saint-Éloi, le courage de Vickie Gendreau, une soirée avinée avec le dessinateur Valium au Cheval Blanc, 10 ans de poètes magnifiques au Festival Voix d’Amériques, ma première entrevue avec Alain Farah à la cafétéria de La Presse où il parlait beaucoup de la série Scoop, un émouvant week-end à Charlevoix avec Simon Roy qui voulait profiter de la vie jusqu’au bout malgré son cancer, un tremblement de terre en Haïti avec Dany Laferrière, deux voyages à Key West pour aller voir Marie-Claire Blais et Michel Tremblay, appeler très tôt le matin Dominique Fortier pour la féliciter de son prix Renaudot, pourchasser Kevin Lambert pendant tout un automne, attraper un virus chaque année au Salon du livre de Montréal et danser malgré tout au party Off-Salon avec les écrivains…

Pour vrai, je n’ai vécu que du bonheur pendant 25 ans, minimum !

Précision :
Une version précédente de ce texte mentionnait le livre « La grande mêlée » au lieu de « La grande tribu ». Nos excuses.