Jamais les bêtisiers n’ont été aussi populaires. En plus de l’équipe d’Infoman qui nous rapporte tous les jeudis soir les bévues de nos politiciens et les dérapages qui ont cours dans les conseils municipaux, on peut compter sur Olivier Niquet, pilier de La journée est (encore) jeune, pour accomplir cette tâche.

À ceux-ci s’ajoute Jean-Philippe Cipriani de l’émission Tout peut arriver qui, dans sa revue de presse hebdomadaire, ne manque pas de relever plusieurs perles. Le style de Cipriani diffère de celui de ses collègues en ce sens que la bêtise n’émane pas autant des propos des personnalités visées que des commentaires dont il saupoudre ses clips. Son approche me rappelle celle de Yann Barthès, animateur de l’émission Quotidien en France.

Et puis, il y a Frédéric Labelle qui sévit tous les matins chez Paul Arcand, au 98,5. Rapide sur la gâchette, ce chroniqueur excelle dans l’art de relever les buzz des réseaux sociaux. Cela l’amène à braquer la loupe sur les déclarations de certaines personnalités, notamment les politiciens.

Bref, nous aimons rigoler aux dépens de l’élite. Parce que c’est ça, au fond, le principe du bêtisier : le bouffon qui se moque du roi.

Grand consommateur du genre, je remarque que ce qui est une bêtise pour les uns ne l’est pas pour les autres. Quand Frédéric Labelle ressort un clip où on entend François Legault s’extasier en compagnie d’enfants devant le trou qu’on a creusé pour qu’il puisse y planter un arbre, on réagira différemment si on est parent, si on déteste la CAQ ou, au contraire, si on apprécie ce parti.

La bêtise est d’abord dans l’œil de celui qui s’en empare et l’offre au public. Les auteurs de bêtisier sont des chroniqueurs (certains diront avec un nez de clown) qui véhiculent des opinions. Face aux réseaux sociaux qui ne font que rapporter les gaffes des personnalités dans des vidéos courtes, ils ont une valeur ajoutée.

Je dois reconnaître que dans les quatre exemples cités, ces concepteurs prennent leur rôle très au sérieux. Réaliser un bon bêtisier ou une revue de presse pimentée demande beaucoup de travail.

On nous a toujours dit « les paroles s’envolent, les écrits restent ». Ce n’est plus vrai. Aujourd’hui, toutes les déclarations publiques ont droit à la postérité et peuvent rebondir n’importe quand dans l’espace public.

Parlez-en à Normand Marineau qui a fait l’objet d’un micro-trottoir en 1962 sur les ondes de Radio-Canada alors qu’il avait 11 ans. Plus de 60 ans plus tard, il devient une star des réseaux sociaux grâce à la façon dont il roulait les « r ».

Qu’on se le dise, on préfère voir la bêtise chez l’autre, rarement chez soi. Pourtant, nous sommes tous capables de bêtises. Si nos propos devaient être enregistrés au quotidien pendant plusieurs minutes, il est certain qu’Olivier Niquet pourrait nourrir des chroniques jusqu’à la fin de ses jours.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Olivier Niquet

Cette chasse à la bêtise, les politiciens et les diverses personnalités en sont pleinement conscients. Combien de fois on les entend dire : « C’est sûr que je vais me retrouver à Infoman en vous disant cela. »

Je comprends ces personnalités dont les déclarations sont scrutées à la virgule d’être prudentes. Mettez-vous à leur place. D’un côté, on les traque avec un micro et une caméra, et de l’autre, on leur reproche de faire grand usage de la langue de bois.

On n’aime pas d’un politicien qu’il soit beige et lisse. Mais ironiquement, c’est souvent lorsqu’il fait une gaffe qu’il se rapproche le plus de l’authenticité.

Le journaliste Michael Kinsley, qui s’est beaucoup intéressé aux bévues des politiciens durant sa carrière (on appelle d’ailleurs cela une « Kinsley gaffe »), a déjà dit : « Une gaffe est ce qui arrive quand un politicien dit la vérité. »

L’une des choses qui expliquent à mon avis le vaste choix de bêtises qui s’offre aux chroniqueurs est notre propension à extraire les personnalités de leur lieu naturel. Ah ! la fameuse phrase « On me fait sortir de ma zone de confort ! ».

L’animal n’est jamais bête lorsqu’il est dans son habitat naturel. Mais lorsqu’il est placé dans des situations auxquelles il n’est pas adapté, il devient bête. Il en va ainsi des personnalités qui acceptent d’aller dans des cadres qui ne sont pas les leurs.

Notre époque est de l’engrais 20-20-20 pour la bêtise.

Dernière observation, nous avons tendance à considérer comme plus bêtes les personnes qui s’expriment mal, qui parlent fort, qui sont grossières. Rien n’est plus faux. La bêtise ne choisit pas une classe sociale. Le seul avantage qu’ont ceux qui manient mieux la langue que d’autres, c’est de retarder le moment où la bêtise se dévoilera.

Combien de fois ai-je été ensorcelé par les propos d’un soi-disant intellectuel pour me dire à la fin de son laïus : « Finalement, c’est niaiseux, ce qu’il vient de dire. »

La bêtise et ceux qui la propagent ont de beaux jours devant eux. Heureusement pour nous. On se sentira moins seuls. Et moins bêtes.