J’ai complètement capoté sur la minisérie Baby Reindeer, de Netflix. Stephen King aussi.

Le maître de l’horreur et du suspense, qui en connaît un rayon sur les histoires glauques, a même déclaré que Baby Reindeer était une des meilleures choses qu’il ait jamais vues. L’auteur de Carrie, Cujo et Misery a cent pour cent raison d’adouber cette minisérie britannique, à mi-chemin entre le film d’horreur et le drame psychologique « fucké ».

Les sept épisodes d’une quarantaine de minutes de Baby Reindeer (Mon petit renne, en version française), qui racontent un cas bien réel d’obsession malsaine, sont terrifiants et hypnotisants. Et ne vous fiez pas à son titre enfantin, qui ne rend pas justice à cette œuvre télévisuelle super originale, tordue, tantôt comique, souvent sombre et d’une profondeur insoupçonnée.

Même si elle s’inspire de vrais évènements, Baby Reindeer ne se classe pas dans la filière du crime réel, notre cher true crime adoré. Il s’agit plutôt d’une fiction inspirée du cauchemar vécu par l’humoriste écossais Richard Gadd, qui a été harcelé par une femme complètement sautée – et très malade, il faut le dire – pendant plusieurs années.

Ce que vous verrez dans Baby Reindeer est donc bel et bien arrivé. Dans la série, Richard Gadd joue une version à peine modifiée de lui-même, soit Donny Dunn, un humoriste bizarre et inconnu qui sert des pintes de bière dans un pub londonien pour boucler les fins de mois.

La vie ennuyeuse de Donny, mi-vingtaine, change radicalement le matin où Martha Scott (excellente Jessica Gunning), qui prétend être fauchée, s’assoit à son bar, en pleurs et troublée.

Donny la prend en pitié et lui offre gratuitement une tasse de thé. Le visage de Martha s’illumine alors et elle se présente à Donny comme une riche et influente avocate, qui a déjà défendu les anciens premiers ministres Tony Blair et David Cameron.

Tout de suite, un premier drapeau rouge se hisse dans la tête de Donny : si Martha Scott fraie avec l’élite politique, pourquoi n’a-t-elle pas d’argent pour se payer un simple Coke Diète ? Martha, une quarantenaire en surpoids, se pointera tous les jours au pub de Donny pour arroser ce dernier de compliments et le divertir avec son rire éclatant. Martha appelle « affectueusement » Donny son petit renne, d’où le titre de la minisérie. Mais très rapidement, la fascination de Martha bascule du côté de la pure folie.

Sur une période de quatre ans et demi, Martha enverra plus de 41 000  courriels bourrés de fautes d’orthographe et 350 heures de messages vocaux à son Donny, tout en le bombardant de commentaires sur sa page Facebook.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Jessica Gunning incarne personnage de Martha Scott, à droite

En plus de ces missives électroniques, Martha suit Donny jusque chez lui, se rapproche de ses amis et s’infiltre à chacun des spectacles qu’il donne dans d’obscurs clubs de comédie.

Vraiment, Martha est folle raide. C’est une « stalkeuse » professionnelle, qui passe d’une vulnérabilité gamine à la violence d’une psychopathe en un claquement de doigts.

Là où Baby Reindeer glisse sur un territoire encore plus troublant, c’est dans la réaction de la victime. Pourquoi Donny n’alerte-t-il pas la police plus rapidement ? Pourquoi attend-il aussi longtemps avant de dénoncer Martha ?

C’est que, malgré lui, Donny aime l’attention que lui donne Martha, même si c’est extrêmement pernicieux. Martha comble un besoin de validation chez Donny, de la façon la plus perverse possible. Si Martha s’éloigne un court instant, Donny se questionne : pourquoi me rejette-t-elle ? Un ballet d’attraction-répulsion se déploie ainsi entre les deux protagonistes, qui commettront, de part et d’autre, des gestes répréhensibles. L’un et l’autre se tirent vers le bas, le très bas.

Et comme Martha, Donny sombre dans une spirale destructrice d’obsession. Il réécoute et classe, selon leur contenu, toutes les notes vocales de Martha pour essayer de la comprendre. Il va même jusqu’à s’infiltrer chez elle pour l’espionner. Lui aussi devient un harceleur, en quelque sorte, et la dynamique de pouvoir se renverse.

À partir du quatrième épisode, Baby Reindeer fouille dans le passé de Donny pour expliquer d’où proviennent ses blessures et comment ses propres problèmes de santé mentale ont activé ceux de Martha, et vice-versa.

Il y est question de dépendance, d’agressions, de grooming, d’identité sexuelle, de honte et de choc post-traumatique. La scène finale, sans rien divulgâcher, est dérangeante et nous laisse sur un punch qui nous fait lâcher un petit cri de surprise.

Depuis sa mise en ligne le 11 avril, la popularité de Baby Reindeer ne cesse de gonfler sur Netflix. Les fans-détectives de la série (ça nous arrive tous de tomber dans un quelconque vortex) ont même retrouvé la vraie harceleuse à l’origine de l’histoire pour l’insulter et lui faire subir sa propre médecine.

Sur le réseau social Instagram, l’acteur et créateur de Baby Reindeer, Richard Gadd, a dû lancer un appel au calme la semaine dernière. Cessez de spéculer sur la véritable identité des personnages, a-t-il écrit, ce n’est pas le but de la série.

En entrevue avec le Daily Mail, la vraie Martha Scott, qui s’appellerait Fiona Harvey, 58 ans, s’est dite la victime de Richard Gadd, qui « la harcèle maintenant à la télévision pour la gloire et l’argent ».

Ne manque ici que la notification « envoyé de mon iPhone » – et un paquet d’erreurs de ponctuation – pour que la réalité se fusionne totalement à la fiction. Et ça fait peur.