Quelle idée formidable a eue Julien Morissette il y a huit ans de créer le festival Transistor, consacré à la radio numérique et à l’univers de la balado. Lui et sa collègue Clara Lagacé, directrice générale, surfent sur un monde en pleine ébullition.

L’évènement se déroulait la semaine dernière à Gatineau, dans le charmant secteur du Vieux-Aylmer, et j’y ai passé deux journées très enrichissantes. Voici un survol de ce que j’ai pu me mettre entre les deux oreilles.

La montée constante du livre audio

Outre les évènements ouverts au grand public, une série de panels était offerte aux professionnels de l’audio. Une discussion très intéressante a porté sur la superbe montée du livre audio. Attention, ce n’est pas demain que les auteurs québécois pourront s’offrir une villa à Saint-Tropez grâce à leurs droits d’auteur, mais les ventes progressent.

« Il y a cinq ans, quand on demandait aux gens ce qu’était un livre audio, on disait que c’était pour les malvoyants », a dit Joanie Trembay, cofondatrice de Narra, une plateforme de diffusion qui se consacre entièrement aux œuvres québécoises. « Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

On a aussi dit que le livre audio ne cannibalise pas la vente de la version papier. C’est en tout cas l’idée qu’a défendue Annie Reeves, directrice, productions internes et audionumérique, à Radio-Canada. Il y a diverses stratégies, mais quand les deux formats sont lancés en même temps, la version audio sera vendue trois fois plus dans les 30 premiers jours.

Il a évidemment été question du rôle de l’intelligence artificielle et des voix artificielles qui pourraient remplacer les « vrais » narrateurs. On le voit, le phénomène du livre audio, tout comme l’industrie du disque et du cinéma, arrive avec d’énormes défis.

Popularité des balados devant public

Le festival Transistor s’est ouvert le mercredi 24 avec la présentation de la balado Rince-Crème des Denis Drolet. L’enregistrement a eu lieu sur la scène de la Maison de la culture de Gatineau devant 800 personnes qui ont payé 45 $ pour y assister.

PHOTO JONATHAN LORANGE, FOURNIE PAR LE FESTIVAL TRANSISTOR

Les Denis Drolet et leur collaborateur André, aka Justo-By My-Love pendant l’enregistrement de la balado Rince-Crème

L’engouement du public pour ce type de balado est renversant. Ceux qui les animent font maintenant des tournées. Ils débarquent dans des villes avec leurs invités (Jay Laliberté recevait Mona de Grenoble au Podcast des personnages jeudi soir dernier), et les salles se remplissent de spectateurs qui apprécient le côté improvisé et spontané de ces happenings.

Combat de balados

Au festival Transistor, on aime essayer de nouvelles formules. Ainsi, cette année, on a tenté un combat de balados, un peu à la manière du Combat des livres. Trois personnes ont été invitées à venir défendre des balados produites au Québec, au Canada anglais et en France.

Nous avons eu droit à Création de richesse/Labour of Love, adaptée du livre d’Emmanuelle Jacques, Expectant, qui met en lumière les préoccupations que des parents peuvent avoir en mettant au monde des enfants alors que nous sommes frappés par une grave crise climatique, et Cerno, l’anti-enquête, une balado-fleuve de 124 épisodes qui traite de la série de meurtres d’une vingtaine de femmes âgées survenue dans les années 1980 à Paris.

Même si le public a eu une préférence pour Création de richesse, il a été convenu que tout le monde était gagnant, comme autrefois à l’École des fans.

Les cases à cocher

L’une des rencontres les plus captivantes est sans doute celle qui a porté sur les coproductions autochtones et allochtones. Elle a réuni l’artiste multidisciplinaire Émilie Monnet, le rappeur et producteur Samian, de même que Sonia Bonspille Boileau, scénariste et réalisatrice de Pour toi Flora, première série dramatique autochtone diffusée à Radio-Canada.

Les participants ont dit des choses étonnantes et courageuses, notamment sur les quotas et les règles imposés par les institutions qui financent les films, les séries télévisées ou les balados.

« Je suis parfois conscient que je suis une case à cocher quand on m’embauche », a dit Samian. « Il faut sentir que c’est une vraie invitation », a confié pour sa part Émilie Monnet. « On le comprend assez vite quand c’est pour un cochage de case. »

Samian trouve que l’on « marche trop avec des pourcentages ». « Les institutions nous coupent des possibilités », a-t-il ajouté. Ces propos n’ont pas manqué de faire réagir l’assistance.

PHOTO JONATHAN LORANGE, FOURNIE PAR LE FESTIVAL TRANSISTOR

Les balados au programme du festival Transistor étaient enregistrées devant public.

Le rappeur préfère retrouver un mélange dans les équipes de création et de production. « Il faut au contraire créer des rencontres entre les gens. »

Nouvelles balados

Certains profitent de la tenue du festival Transistor pour lancer de nouvelles balados. Ce fut le cas de l’équipe d’OHdio venue présenter Turbulences : traverser les troubles anxieux, une balado en cinq épisodes qui permet à Julien Morissette d’aborder ce sujet délicat et qui touche beaucoup de gens au pays.

L’auteur a obtenu de l’Ordre des psychologues le droit d’enregistrer la psychothérapie qu’il décide d’entreprendre. Je vous préviens, vous serez scotché à cette balado. Enfin, j’ai compris ce que vivent les gens qui souffrent d’anxiété ou des crises de panique.

Dans la même veine, j’ai aussi écouté avec beaucoup d’attention Ça prendra l’temps que ça prend : quête d’un bègue. Cette série d’épisodes qui sera mise en ligne plus tard au mois de mai offre la chance à Michel Montreuil de nous faire entrer dans l’univers d’un bègue et des démarches qu’il entreprend pour lutter contre ce mystérieux trouble de la parole.

Ces deux balados m’ont rappelé l’excellente série Dans le trouble, une incursion dans la réalité de ceux et celles qui vivent avec un trouble alimentaire avec la journaliste Geneviève Garon et le réalisateur Martin Girard.

Beaucoup de balados contribuent à abattre des préjugés en plaçant le journaliste ou le présentateur au cœur du sujet. C’est sans doute ce qui distingue le plus ce format de la radio « traditionnelle ».

325 000 $ pour une série hebdomadaire

Le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, est venu annoncer une bonne nouvelle à l’équipe de Transistor. Il accorde une somme de 325 000 $ à la création et à la production d’une série hebdomadaire qui a pour titre L’heure de grande écoute. Dans chacun des épisodes, on découvrira l’histoire de gens qui proviendront de toutes les régions du Québec.

« Ce projet s’inscrit dans une approche que je préconise, c’est-à-dire de se tourner vers le numérique et vers l’avenir pour raconter ce que nous sommes », a déclaré le ministre.

Cet ambitieux projet documentaire mijote depuis quelques années dans la tête de Julien Morissette.