Vous vous levez à 7 h. Hop ! Direction cuisine où vous allumez votre radio pour écouter votre émission préférée. Tout en préparant le café, vous répondez à voix haute à l’animateur ou aux chroniqueurs. C’est normal, ils vivent avec vous.

Mais que savez-vous de leur réalité avant qu’ils entrent dans votre maison ?

J’ai eu envie de rendre hommage aux équipes matinales de la radio, car pour l’avoir vécu pendant plusieurs années lorsque j’étais à Radio-Canada, Ottawa-Gatineau, c’est une expérience absolument unique, quasi surhumaine.

Je le fais maintenant, car je sais qu’à ce moment-ci de l’année, les animateurs, chroniqueurs et membres de l’équipe de production commencent à compter les dodos avant de jouir d’une nuit normale et de s’offrir un souper avec des amis sans passer leur temps à bâiller.

Il y a plusieurs rôles au sein d’une équipe matinale. Chacun a sa routine, son horaire. Dans mon cas (j’ai fait la chronique culturelle pendant six ans avant d’animer les week-ends), la journée commençait par le douloureux son du réveille-matin à 3 h 15. Au même moment, la cafetière (préprogrammée) démarrait.

Après une douche, on se glisse dans des vêtements normalement déposés dans une autre pièce pour ne pas réveiller « l’autre » qui continue de dormir et dont on est terriblement jaloux. La toilette est rapide, car contrairement à ceux qui font de la télé et qui doivent passer par le maquillage et la coiffure (l’horreur), les gens de la radio peuvent se passer de gel coiffant ou de mascara.

Tous les matins, un taxi venait me prendre à 3 h 45. J’avais toujours le même chauffeur, Edgar. Il savait qu’il ne devait pas trop me parler, car je profitais du trajet pour dormir encore un peu. Mais quand il le faisait, il aimait faire référence aux étoiles encore présentes dans le ciel.

Un matin, un autre chauffeur s’est pointé. « Edgar est mort hier », m’a-t-il dit froidement. J’ai pleuré.

Arrivé à la station, chacun est à son affaire. L’animateur prépare ses entrevues, celles qui sont programmées et celles qu’on songe à ajouter. Une émission du matin est coulée dans du béton liquide.

Les recherchistes sont déjà en train de vérifier s’ils possèdent les numéros personnels des invités qu’on tentera de joindre à une heure décente. Les numéros de cellulaire sont le sésame des recherchistes.

Celui qui fait la revue de presse (une tâche très exigeante) est dans ses journaux, sur les sites web et dans sa tablette. Résumer un article ou une chronique est un art qui requiert de la concentration et un bon bagage.

Ce grand sérieux n’empêche pas les rires. Car s’il y a quelque chose qui caractérise une équipe matinale, c’est sa grande solidarité.

À 4 h 30, on est vulnérable, fatigué, comme dans un état second. Les sentiments sont exacerbés. Cela vaut pour les choses drôles autant que les moments difficiles que peuvent vivre certains collègues.

Permettez-moi ici de souligner à gros traits la réalité de celui ou de celle qui fait la chronique culturelle. Si les autres membres de l’équipe peuvent se coucher à une heure raisonnable, cette personne doit sortir le soir. Imaginez, un mardi de février, tu dois t’engouffrer dans une voiture congelée (pendant que « l’autre » s’installe confortablement devant la télé avec son assiette) pour aller voir un concert rock.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Préparation d’une revue de presse lors d’une émission radiophonique matinale

Sur place, tu te rends compte qu’il y a une première partie. Rendu à 21 h 15, voyant que la vedette tarde à monter sur scène, tu n’as qu’une envie : aller dans sa loge pour la sortir de là. Finalement, tu rentres chez toi vers 23 h 30 en te demandant si ça vaut la peine de te coucher.

Je me souviens d’une soirée organisée par l’Ambassade de France. J’y allais uniquement pour interviewer la « grande » Ariane Mnouchkine. La « grande » m’a fait languir jusqu’à 22 h 30. La réalité d’un chroniqueur, c’est aussi ça. On ne le sait pas toujours.

Quand finalement, la lumière rouge s’allume et que l’émission démarre, on dirait qu’un train s’élance. Bizarrement, pendant trois heures, on oublie dans quel état végétatif on est. On est porté. C’est un sentiment très étrange.

Puis, à 9 h, tout le monde s’éparpille. Le noyau de l’équipe prend quelques minutes pour revenir sur l’émission. Mais rapidement, on parle de celle qui va suivre. Et de toutes les autres à venir.

Malgré tout ce que je viens de vous raconter, je suis sûr que n’importe quel animateur ou animatrice qui a été ou qui est à la barre d’une matinale vous dira que cette expérience est le nirvana.

Alors, vous tous qui entrez dans nos cuisines le matin la couette en l’air et le verbe haut, sachez qu’il vous reste très exactement 45 dodos avant de vous faire réveiller à 6 h 30 par le p’tit dernier. La grosse vie, quoi !

P.-S. En écrivant cette chronique, j’ai beaucoup pensé à Paul Arcand qui se lève au milieu de la nuit depuis une trentaine d’années. En découvrant qu’il se joindra à l’équipe de La Presse au cours des prochains mois, j’ai appris qu’il va continuer à livrer sa fameuse revue de presse matinale sur les plateformes de La Presse et de Cogeco.

Je suis prosterné, futur collègue !

Mon pire moment de radio

Les animateurs et chroniqueurs de radio ont tous une collection d’anecdotes sur des choses cocasses qu’ils ont vécues. En haut de mon palmarès, il y a la fois où j’animais l’émission matinale du samedi à Radio-Canada, Ottawa-Gatineau.

J’étais en ondes depuis deux heures. Tout allait bien. Météo, sports, chronique culturelle, entrevues, tout roulait. Tout à coup, la réalisatrice Nadia Peiellon dit dans mes écouteurs : « Arrête de parler, nous ne sommes pas en ondes depuis deux heures ! »

Un choix s’offrait à moi : plonger dans un profond désarroi ou rire à m’en tordre les boyaux. J’ai choisi la seconde option.

On s’est dit que c’était impossible qu’aucune personne n’ait été à l’écoute. « Retourne à l’antenne et offre un livre en tirage », me dit Nadia.

Normalement, quand on offre un prix en tirage, tous les voyants rouges du téléphone s’illuminent. Là, rien. Puis, tout à coup, une petite lumière s’est mise à clignoter. « Bonjour, qui êtes-vous et d’où nous appelez-vous ? »

« Je suis Madeleine et je vous appelle de Rouyn-Noranda ! »

Je précise que la radio n’était pas diffusée sur le web à cette époque. Alors comment diable une seule auditrice pouvait-elle nous entendre ? Et de l’Abitibi par-dessus le marché ? Le mystère reste complet encore aujourd’hui.

Chère Madeleine, de Rouyn-Noranda, je garde un précieux souvenir de cette fois où j’ai animé une émission uniquement pour vous. Ce fut un privilège !