Dans Juste entre toi et moi, le journaliste Dominic Tardif se prévaut d’un grand luxe, celui du temps. Toujours quelque part entre le rire et l’émotion, entre la riche réflexion et l’anecdote à bâtons rompus, ces entretiens sont autant d’occasions permettant à des personnalités médiatiques et culturelles d’aller au bout de leur pensée.

À 17 ans, après avoir déposé son curriculum vitae chez McDonald’s, Paul Arcand cogne avec un ami à la porte de la station de radio de son Saint-Hyacinthe natal, CKBS. Leur projet d’émission sera refusé, mais le jeune Paul, lui, embauché.

Plus de 45 ans plus tard, l’animateur vedette se prépare à refermer ce chapitre de sa vie, une décision prise parce qu’il a plus que jamais conscience que nous ne disposons que d’un nombre donné d’années, dit celui qui continuera de présenter sa revue de presse en format balado dès l’automne, sur les plateformes de votre quotidien préféré, où il signera aussi une chronique chaque samedi.

Mais de tous ces juteux moments où le roi des ondes talonnait un ministre s’entêtant à restituer sa cassette, il faudra bientôt faire notre deuil. Au fait, qu’est-ce qu’une bonne entrevue, selon Paul Arcand ? « Contrairement à ce que les gens s’imaginent, l’objectif n’est pas que l’invité pense comme moi », répond celui qui pose les vraies questions, un slogan disséminé par TVA à l’époque où il pilotait l’émission Arcand.

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Ce slogan l’amuse d’ailleurs davantage qu’il ne le flatte, Paul Arcand étant du genre à offrir le minimum de nourriture à son ego. Il entend ainsi, d’ici sa dernière édition de Puisqu’il faut se lever le 14 juin, maintenir des « opérations normales » et tout faire pour que sa quotidienne ne se transforme pas en « festival d’hommages et de pseudo-hommages. » Une bonne entrevue, donc ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Paul Arcand en entrevue

L’objectif, c’est que l’invité réponde, ce qui est déjà tout un exploit.

Paul Arcand

Tout un exploit, parce que la fibre de la langue de bois de nos dirigeants s’est beaucoup densifiée au cours des 20 années durant lesquelles il aura piloté la matinale du 98,5 FM. « Il y a plein de personnes sirupeuses, qui accumulent les mots en croyant que tout va être correct et je pense que c’est du mépris pour l’auditeur, se désole-t-il. Si vous tournez en rond et que vous croyez que votre message va quand même passer, eh ben, vous vous trompez. »

« Les gens ne sont pas caves, ne sont pas idiots », martèle cet éternel défenseur du simple citoyen. « Ils savent très bien que vous n’avez pas répondu, qu’on vous l’a demandé trois fois, que vous avez inventé une réponse, que vous avez additionné les mots pour gagner du temps. »

Les gens de la base

Question de pouvoir donner le change aux élus qui tentent de le prendre dans les filets de leurs circonlocutions, Paul Arcand est toujours demeuré en étroite relation avec ce qu’il appelle « les gens de la base », une salutaire précaution lorsqu’on craint plus que tout que son studio se transforme en tour d’ivoire.

S’il lui arrive d’aller prendre un café avec un ministre, une occasion profitable de mesurer l’écart parfois insondable entre la version officielle et la froide réalité, le vétéran dialogue surtout avec ceux et celles qui œuvrent dans les écoles, dans les hôpitaux, à la DPJ. Paul Arcand se fait aussi un point d’honneur de lire lui-même tous ses courriels.

Si je dis à Fady Dagher [directeur du SPVM] que sur la rue, dans les auto-patrouilles, il y en a qui pensent ceci, il sait que c’est vrai et que je ne l’invente pas.

Paul Arcand

Le mot « influence » rend mal à l’aise l’homme de 63 ans figurant au neuvième rang du palmarès de L’actualité des 100 personnes les plus influentes au Québec. « Je trouve ça prétentieux, laisse-t-il tomber. Je pense que les médias ont une influence, mais je pense qu’on dérange plus qu’on influence. »

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Paul Arcand en entrevue

Il arrive pourtant que son intervention ait un impact concret, voire salvateur, dans la vie de certains de ses auditeurs, comme dans de nombreux dossiers de réunification des familles. « J’ai une empathie naturelle pour des gens qui sont vulnérables et je reconnais l’importance de s’indigner », explique-t-il au sujet de son inclination à prendre le parti de ceux et celles que le système écrase.

Je m’indigne encore devant des aberrations. Et ce n’est pas une pièce de théâtre. Mais ce n’est pas normal que quelqu’un qui a un enjeu avec la machine bureaucratique trouve une solution grâce à un passage à la radio ou dans le journal.

Paul Arcand

Ne pas remettre à plus tard

Paul Arcand n’a jamais cessé de s’indigner, mais aura dû récemment gagner en sagesse dans la gestion de ses énergies. En novembre dernier, une infection du sang l’a contraint à un long séjour à l’hôpital. Depuis plusieurs semaines, l’homme se sentait plus fatigué qu’à l’habitude et se surprenait parfois à siester, un rituel qui n’est (étonnamment) pas inscrit dans son quotidien, même s’il se couche à 20 h et se réveille à 2 h 45.

N’eût été le tordage de bras de sa conjointe, il serait sans doute resté à la maison, plutôt que de se présenter aux urgences. Il confie aujourd’hui avoir eu la frousse, mais seulement a posteriori, en se projetant dans tout ce qui aurait pu le foudroyer.

S’il dit au revoir aux matins, c’est donc pour dire bonjour à tout ce que le reste de la vie a à offrir. Paul Arcand a des projets de balado, de documentaires, aimerait visiter la Turquie.

« Quand je parle à des gens de mon âge, on se dit qu’on n’a pas trop de temps à perdre », observe celui dont l’ami Paul Houde est parti, trop tôt, trop vite, le mois dernier. « Parce que tu ne sais pas comment ta vie va virer, tu ne sais pas ce que tu vas être encore capable de faire. Autrement dit, de remettre à plus tard, quand t’as 63 ans, ce n’est pas une bonne idée. »

Trois citations tirées de notre entretien

À propos du retour en politique de son ancien collègue Bernard Drainville

« Quand il m’a dit : “Je retourne, je me présente pour la CAQ”, j’ai répondu : “Es-tu ben sûr ? Me semble que la vie n’est pas si mal quand on fait ce qu’on fait. L’été, on est tranquille. Toi, tu t’en vas te promener dans les centres d’achats, faire du porte-à-porte.” Mais en même temps, il y en a qui ont la piqûre. C’est comme les entraîneurs au hockey qui veulent toujours revenir. »

À propos de son émission Conversation secrète

« Votre collègue de La Presse [Hugo Dumas] avait fait une liste : vous devriez inviter un tel, un tel. On avait pensé à tout le monde sur sa liste, mais les gens ne veulent pas. Marcel Aubut a dit non, Guy Cloutier a dit non. […] Toute personne qui a une histoire mérite d’être interviewée, il s’agit après de déterminer comment ça se fait, ce n’est pas une free ride. J’ai déjà refusé de faire des entrevues parce que je n’étais pas confortable avec la personne ou parce qu’on aurait voulu me mettre des bâtons dans les roues. »

À propos de sa réputation d’intervieweur impitoyable

« Je me souviens [qu’à l’époque de l’émission Arcand à TVA], on avait eu l’idée de recevoir Lise Dion et Yvon Deschamps. Et Lise Dion avait dit à mon équipe : “Mais je n’ai rien fait de mal, pourquoi j’irais à son émission ?” […] Les gens pensent toujours qu’on est un seul style, mais je ne vais pas interviewer une victime d’acte criminel de la même façon qu’un politicien qui me demande de l’élire pour gérer l’argent du public. Le ton est variable. »