Denis Dubois n’est pas du genre à se tourner les pouces au coin du feu dans sa maison de campagne. Peu après avoir quitté ses fonctions de vice-président des contenus originaux chez Québecor, en juin 2023, celui qu’on aime qualifier de « l’un des hommes les plus influents de l’industrie de la télévision québécoise » s’est mis à travailler à un projet de grande envergure.

Au Petit Dep de Griffintown, dans le décor de meubles et de bibelots kitsch savamment choisis, il m’a parlé de cette idée qui a complètement séduit Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications.

Je lui demande de me décrire ce projet unique en une phrase. Après une bonne respiration, il se lance : « C’est un projet événementiel pluridisciplinaire et immersif qui vise à tonifier notre estime collective, à inspirer les nouvelles générations et à toucher les gens qui habitent notre territoire par le biais d’une œuvre musicale qui va emprunter au documentaire. »

Plus concrètement, Denis Dubois souhaite créer cinq ou six volets cinématographiques (à raison d’un par année) où la musique occupera beaucoup de place.

Le résultat pourrait être diffusé en salle de cinéma, à la télévision (il rêve de voir les quatre réseaux diffuser l’œuvre simultanément) ou sur d’autres plateformes numériques.

De cette œuvre seraient tirés des spectacles immersifs qui partiraient en tournée. Denis Dubois souhaite également que le projet « fasse des petits » et prenne la forme d’expositions ou d’évènements spéciaux. « Comme le projet épouse plusieurs formes, je veux m’entourer des meilleures têtes créatives au Québec », dit-il.

Pour le moment, Denis Dubois s’est associé à l’équipe de Déferlantes, boîte de production dirigée par Jean-Philippe Dion et Benoit Clermont, pour assurer l’étape du déploiement du projet qui a reçu l’aval du ministère de la Culture et dont le titre de travail est Moment.

Dans le document de travail qu’on m’a remis, il est écrit que « cet évènement souhaite bousculer la façon de présenter des variétés, autant dans son contenant que son contenu. Aucun animateur ou animatrice n’est requis, une simple voix hors champ s’assure de guider les gens à travers cette expérience unique ». Les évènements seront soulignés par la présence constante de la musique, un peu comme le ferait un DJ.

Les volets de ce docu-variété présenteront, à la manière d’une ligne du temps, une décennie marquante du Québec sous divers aspects (politique, artistique, sportif, événementiel, société, etc.). L’idéateur s’est empressé de me dire que la forme n’aura rien à voir avec les séries historiques que nous avons déjà connues au Canada ou au Québec, certaines plutôt réussies, d’autres franchement ratées.

Pourquoi une telle entreprise ? vous demandez-vous. « Pour que l’on puisse raconter notre parcours, dit Denis Dubois. Et le faire d’une autre façon. » Moment vise à mettre de l’avant la culture québécoise, ses accomplissements, son territoire, ses valeurs et sa langue française.

Qui sommes-nous aujourd’hui ? C’est la question à laquelle on veut ambitieusement répondre avec ce projet. Grâce à l’immigration, le Québec s’est beaucoup transformé au cours des dernières décennies. La présence des nouveaux arrivants aura une place dans ce projet. « Je pense que ça sera aussi une façon d’intégrer et d’accueillir, dit Denis Dubois. Je veux qu’ils se retrouvent là-dedans, mais aussi qu’ils découvrent la société dans laquelle ils vivent. »

En développant ce projet, Denis Dubois a beaucoup pensé à la génération des 30-45 ans, la dernière à avoir connu l’impact de « l’écoute commune ». Ce terme est revenu souvent au cours de notre conversation. « En fait, la disparition de l’écoute commune crée un problème de communication. Quand on ne parle pas des mêmes choses, on se perd. »

En cette ère de clivage et d’une forte multiplication des sources d’information et de divertissement, Denis Dubois croit plus que jamais au rôle d’évènements majeurs et rassembleurs. « Je suis fasciné par le phénomène des biais. J’ai déjà imaginé une émission où trois personnes raconteraient le même évènement chacune dans son prisme. »

Si tout le monde développe sa propre version des faits d’un même évènement, imaginez ce que ça donne quand personne ne s’abreuve aux mêmes sources. « Quand on n’a plus les mêmes référents culturels, la même langue qui nous réunit, ça m’inquiète pour la suite des choses. »

Au fond, ce que propose Denis Dubois, c’est un gigantesque happening collectif, comme notre télé en fait de moins en moins, qui ira à la rencontre du public et qui nourrira son esprit.

« On a perdu la guerre des plateformes, lâche-t-il. C’était inévitable. Le raz-de-marée était trop gros. Mais il faut se dire qu’on n’a pas perdu la guerre du contenu. Je pense sincèrement que les peuples vont toujours avoir envie de se raconter et de s’entendre se raconter. »

L’objectif que poursuit Denis Dubois avec ce projet est de donner le goût à ceux qui viendront aux visionnements ou voir les spectacles d’échanger et de discuter. « Je veux les inspirer, je veux les reconnecter les uns sur les autres. Sinon, on va devenir des êtres qui vont vivre dans leur individualité. »

Denis Dubois reconnaît qu’il n’a pas toujours eu ce désir de préservation de notre mémoire collective. « Mais je sens que depuis une dizaine d’années, il y a des choses qui sont en train de nous échapper. »

Le projet Moment est à l’étape du développement. Des sondages seront réalisés pour guider les recherchistes. Denis Dubois souhaite lancer le premier volet en 2025-2026.

À suivre !