La façon dont on s’apprête à disperser les nombreuses composantes du Groupe Juste pour rire nous fait voir l’ampleur de l’empire tentaculaire que Gilbert Rozon a réussi à créer au fil du temps. Le reportage de mon collègue Julien Arsenault, publié mercredi, montre à quel point cette gigantesque entreprise est le curieux mélange d’un OBNL et d’une entreprise commerciale, dotés de divers canaux qui donnent accès à de l’argent public (subventions, crédits d’impôt, etc.).

Les festivals (Juste pour rire, Just for Laughs, Zoofest), les émissions de télé et de radio francophones et anglophones, les tournées d’humoristes, les productions de spectacles musicaux, tout cela est maintenant à vendre. Même la marque, encore puissante au Canada et en Europe, précise-t-on, a une valeur. Le plus offrant pourra même mettre la main sur le jingle de Serge Fiori.

Lisez « Juste pour rire aux enchères : ça bouge en coulisses »

Fondé en 1983, Juste pour rire a profité de la montée foudroyante de l’humour, cette énorme mamelle du show-business à laquelle nous nous abreuvons insatiablement, pour devenir un empire. Et c’est à partir d’un évènement subventionné modeste de quelques spectacles que cette entreprise colossale a été bâtie.

Cette construction me fascine en même temps qu’elle me révolte. Lorsque j’en parle à des « professionnels du milieu », ils me répondent tous la même chose : les ordres de gouvernement offrent cette possibilité, pourquoi s’en priver ?

Vous savez quoi ? Ils ont parfaitement raison. Le système permet cela, allons-y, pigeons dans le plat de bonbons. Gilbert Rozon, à l’instar d’autres acteurs du milieu culturel, a rapidement compris les rouages. Il a su déterminer les ficelles sur lesquelles tirer pour en faire un tricot fort lucratif.

Au Québec, plusieurs modèles de festivals coexistent. Il y a les « standards », ceux qui sont basés sur des subventions publiques et des commanditaires privés. Il y a ceux qui incluent divers moyens pour grandir, les entrées payantes, par exemple. Et il y a les hybrides, qui sont un mélange d’OBNL et d’entreprises commerciales.

On ne cesse de nous parler de la crise des festivals. La réflexion que nous sommes en train d’avoir doit absolument tenir compte de tous ces modèles, de la nature des festivals, de leurs objectifs et de leur contexte géographique.

Bref, on le voit clairement, réclamer plus d’argent public n’est pas l’unique solution. C’est un travail qui doit se faire en fonction de la réalité de chacun. Cet exercice mérite un grand sérieux. D’importantes questions doivent être posées, notamment sur la fameuse cohabitation des intérêts commerciaux et de l’aide publique, même si on ne cesse de nous répéter que celle-ci représente une petite portion des financements.

Et tant qu’à y être, peut-on s’intéresser à l’éléphant dans la pièce ? Comment des investisseurs étrangers, ayant la plupart du temps peu d’intérêt pour la culture québécoise, peuvent-ils obtenir des subventions et des crédits d’impôt provenant de nos poches, moyennant une participation financière légèrement inférieure à 50 % (49 % suffisent) ?

Les festivals ont du pain sur la planche. Beaucoup de pain.

Gilbert Rozon réclame les 17 millions que l’actionnaire américain Creative Artists Agency lui doit après la vente du Groupe Juste pour rire. Voyant cela, je n’ai pu m’empêcher de penser au fameux projet de musée Juste pour rire de Montréal qui a englouti des millions en argent public.

Un retour dans le temps s’impose.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Gilbert Rozon

Après quatre années de préparation, le Musée… pour rire (qui deviendra le musée Juste pour rire – MJPR) est inauguré le 1er avril 1993 sur le boulevard Saint-Laurent. Le projet (entité indépendante nommée Académie nationale de l’humour) bénéficie d’un imposant appui financier des trois ordres de gouvernement : Québec (5,5 millions), Ottawa (5,5 millions) et la Ville de Montréal (2,5 millions). Son fondateur, Gilbert Rozon, promet une fréquentation annuelle de 400 000 visiteurs.

Dix mois plus tard, on ne rit plus : le musée est un gouffre financier. Sous la plume de Stéphane Baillargeon du Devoir (qui a beaucoup couvert ce dossier), on apprend que plusieurs fonctionnaires du ministère de la Culture et des Communications (MCC) s’étaient opposés au projet, en vain.

Gilbert Rozon n’a pas le choix de sortir son carnet de chèques. Une coalition de 200 humoristes et gens de l’industrie est formée pour sauver le musée. Une entente est signée avec des Caisses Desjardins, et Power Corporation promet une aide. Pierre Marc Johnson accepte la présidence du conseil d’administration. Le musée rouvre ses portes en juillet 1994.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le musée Juste pour rire, en 2008

En février 1998, le musée transforme l’un de ses espaces en discothèque sans demander l’avis de Québec (MCC) et de Montréal (SHDM), qui ont pris en charge l’hypothèque de 9,3 millions de dollars. Découvrant cela, le MCC réduit son aide. Cinq mois plus tard, le MJPR rouvre de nouveau ses portes avec une exposition destinée aux enfants.

En janvier 2005, Liza Frulla annonce une subvention de 450 000 $ pour la création d’un site web regroupant des numéros d’humoristes. Quatre ans plus tard, le MJPR devient un centre de création, de recherche et de diffusion spécialisé en humour. Le concept fait patate.

Finalement, le 31 décembre 2010, après 17 années marquées de nombreuses opérations de sauvetage, l’institution fait naufrage.

Alors, quand je vois Gilbert Rozon (qui aurait investi 10 millions de sa poche dans ce projet) se tourner vers les tribunaux pour réclamer son dû, cette triste saga me revient à l’esprit.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Émily Bégin, Guillaume Lemay-Thivierge et Théodore Lemay-Thivierge

De l’action dans les comédies musicales

En soulignant la surabondance de grosses productions musicales dans une chronique, ai-je été prophète de malheur ? On vient d’apprendre qu’Émily Bégin et le fils qu’elle a eu avec Guillaume Lemay-Thivierge, Théodore, quittent la production du Matou. Les deux interprètes invoquent des problèmes d’horaire.

Il y a aussi eu Waitress qui a failli tomber au combat dans le naufrage de Juste pour rire. Heureusement, la production a été reprise par ComédiHa !.

Et puis, il y a Tootsie, qui devait être créée au cours de l’été au Saint-Denis, qui a été repoussée à l’automne. Un mois après l’annonce, on apprenait que la drag-queen Gisèle Lullaby (Simon Gosselin) était embauchée pour accompagner José Dufour dans sa transformation scénique.

L’équipe reconnaît que cette décision vise à « garantir le respect des enjeux et considérations propres » aux communautés LGBTQ+. Même si le scénario raconte l’histoire d’un homme se glissant dans la peau d’une femme, on ne veut prendre aucun risque.