Gilbert Rozon se tourne vers les tribunaux dans l’espoir de sauver les 17 millions qu’il risque de perdre dans le naufrage de Juste pour rire (JPR). Le fondateur du géant de l’humour maintenant insolvable veut forcer l’actionnaire américain du groupe à lui verser le solde du prix de la vente conclue en 2018.

Ce qu’il faut savoir

Insolvable, Juste pour rire est à l’abri de ses créanciers depuis le 5 mars dernier.

Cette débâcle pourrait coûter jusqu’à 17 millions à son fondateur Gilbert Rozon.

L’homme d’affaires déchu se tourne vers les tribunaux pour forcer l’actionnaire américain de JPR à le payer.

Dans une requête déposée auprès de la Cour supérieure du Québec, l’homme d’affaires déchu allègue que Creative Artists Agency (CAA), qui détient 49 % de JPR, est responsable de cette créance.

Il s’agissait d’une des modalités de la vente survenue en 2018, année où M. Rozon a cédé son entreprise pour une cinquantaine de millions dans la foulée d’accusations d’inconduites sexuelles ayant déclenché une vive controverse en plus d’éclabousser le spécialiste de l’humour qu’il avait fondé, souligne le document.

« Ledit solde de vente ainsi que les intérêts n’ont pas été réglés, peut-on lire. [CAA] est solidairement responsable de toutes les obligations et passifs envers les demanderesses. »

Ces allégations n’ont pas encore été prouvées devant le tribunal. La démarche judiciaire s’ajoute à la mise aux enchères de JPR, un processus supervisé par le tribunal en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Longue attente

Dans la tourmente, M. Rozon avait vendu JPR à ICM Partners, qui appartient maintenant à CAA, il y a maintenant cinq ans. Pour continuer à bénéficier des crédits d’impôt des gouvernements du Québec et du Canada, la firme américaine avait par la suite recruté deux actionnaires locaux : Bell (26 %) et evenko (25 %).

À l’époque, les actions du vendeur avaient été transférées dans une société à numéro enregistrée à l’adresse du siège social de JPR, sur le boulevard Saint-Laurent, au centre-ville de Montréal. C’est parce qu’il incarne la « société mère » de cette entité que l’actionnaire américain est responsable des obligations de cette dernière, allègue la requête.

M. Rozon et CAA n’ont pas voulu commenter la démarche judiciaire.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Accusé d’inconduites sexuelles, Gilbert Rozon vend le Groupe Juste pour rire en 2018.

C’est lorsque JPR s’est placée à l’abri de ses créanciers que l’on a appris que son fondateur, par l’entremise d’une société de gestion à son nom, attendait toujours plusieurs millions de dollars. Cette créance était considérée comme non garantie par le contrôleur au dossier, Christian Bourque, de la firme PwC. En tenant compte des intérêts, le plaignant affirme que c’est près de 17 millions qui lui sont dus. Le fondateur de JPR demande le paiement de cette somme ainsi que des intérêts qui s’ajouteront jusqu’à ce que le tribunal tranche dans ce dossier.

Silence radio

D’après le document, les avocats de CAA auraient été prévenus, par écrit, dès novembre dernier que le paiement du solde de paiement devait s’effectuer à la fin de l’année (31 décembre 2023). Signe que quelque chose clochait, il semblait y avoir un silence radio chez le propriétaire de JPR, qui ne donnait pas signe de vie.

« L’avocat de l’acheteur a confirmé que la lettre avait été transmise à l’acheteur et qu’ils reviendraient vers eux rapidement, ce qui ne s’est jamais produit », allègue le plaignant.

Deux autres « avis d’indemnisation » ont par la suite été envoyés en début d’année (janvier et février) à l’actionnaire américain de JPR, d’après la requête. Il ne semble pas y avoir eu de réponse envoyée aux représentants du fondateur du spécialiste de l’humour, d’après le document.

Environ un mois plus tard, le 5 mars dernier, JPR déposait le bilan en supprimant 70 % de son effectif – 75 personnes – en plus d’annuler le festival Juste pour rire/Just For Laughts prévu l’été prochain. À ce moment, l’entreprise traînait des créances totalisant 49 millions. On compte trois créanciers garantis : la Banque Nationale (17 millions), la Banque de développement du Canada (1,9 million) et la Société de développement des entreprises culturelles (2,5 millions).

Depuis la débâcle de JPR, PwC a révélé que le groupe avait accumulé des pertes d’environ 12 millions depuis que CAA, Bell et Groupe CH/evenko sont aux commandes.

La Presse avait également révélé que les trois propriétaires avaient rapidement été hantés par leur stratégie – une acquisition par endettement – pour mettre la main sur le géant déchu de l’humour. Deux ans après la transaction conclue en 2018, la santé financière du groupe laissait déjà à désirer aux yeux de son auditeur, Deloitte – la firme mandatée pour passer les finances au peigne fin. JPR était incapable de respecter ses ratios financiers auprès de ses prêteurs dès 2020. Il s’agit d’indicateurs qui témoignent de la santé financière d’une entreprise.

Selon l’échéancier du contrôleur, le sort de JPR pourrait être scellé dans la semaine du 13 mai prochain. C’est à ce moment que les offres retenues pour le groupe ou certains de ses actifs doivent être finalisées.

Avec Louis-Samuel Perron, La Presse

En savoir plus
  • 1983
    Présentation du premier festival Juste pour rire
    Source : juste pour rire
    3,3 millions
    Subventions gouvernementales accordées au festival Juste pour rire en 2023
    Sources : gouvernements du Québec et du Canada