William Dandjinou n’a rien du prototype classique du patineur de vitesse sur courte piste. Il mesure 6 pi 3 po, étudie en sciences pures et peut citer George Orwell au détour d’une réponse. Le Montréalais aux mille passions est allergique aux hiérarchies et aux a priori. Tout ce qu’il veut, c’est faire les choses à sa manière.

Sa victoire aux Championnats canadiens en début de saison a eu l’effet d’un séisme dans l’écosystème du patinage de vitesse canadien. Le jour de son 22e anniversaire, Dandjinou a volé la couronne de Steven Dubois, champion lors des trois années précédentes. Enfin, il sortait de l’anonymat.

Cinq mois plus tard, Dandjinou trône au sommet du classement de la Coupe du monde dans l’épreuve du 1500 m, en plus d’occuper la troisième place du classement général. Un rendement impressionnant compte tenu de son absence à la dernière étape du calendrier de la Coupe du monde en raison d’une commotion cérébrale subie à l’entraînement dont il est aujourd’hui remis. Il sera donc à son poste pour les Championnats du monde qui s’amorceront vendredi à Rotterdam.

« Pas longtemps après les Nationaux, il y a eu les coupes du monde à Montréal. Donc il y a eu un effet crescendo », a révélé le patineur, assis sur une chaise pliante en bordure de la glace de l’aréna Maurice-Richard au terme d’un entraînement.

Si le mot « crescendo » obtient un taux de sollicitation très peu élevé chez les athlètes se prêtant au jeu des entrevues, il faut s’attendre à ce genre de fantaisie lorsqu’on s’adresse à Dandjinou. Lorsqu’on lui parle, il écoute. Lorsqu’il parle, il réfléchit. La base de toute conversation, diront certains. Une aptitude de plus en plus rare, diront les autres.

L’athlète-étudiant a longtemps cherché à devenir la personne qu’il est aujourd’hui. Lui-même grand amateur de sport, se retrouver dans la peau de ceux qu’il admirait plus jeune lui sert de motivation. Il a rapidement été identifié comme un projet viable par les bonzes de la fédération nationale. Tout ce que lui demandaient les entraîneurs, c’était de livrer.

« En entrant au Centre national très jeune, il y avait beaucoup d’attentes. Avec Samuel Girard qui a gagné une médaille olympique à 21 ans, tu marches dans ses pas et tu te dis que ça va bien se passer. Finalement, des choses arrivent et la progression et la situation des athlètes sont différentes. Ça m’a permis de remettre les choses en perspective, ce qui a fait en sorte que je ne m’attendais plus à avoir de si bons résultats, si jeune. »

Sur le circuit mondial, peu de jeunes patineurs obtiennent un rendement similaire. Encore moins ont sa dégaine et son goût d’apprendre. C’est ce qui le rend autrement dangereux.

Plus qu’un patineur

Il suffit de s’attarder aux courses sur 1500 m du circuit de la Coupe du monde pour constater à quel point Dandjinou détonne dans le concert de ses rivaux. Dans sa manière de patiner, d’utiliser sa grande charpente et de célébrer.

Il a un style particulier, il le reconnaît. Il est différent, il en est conscient. Surtout parce que c’est grâce à cette singularité et à cette originalité qu’il est parvenu à faire sa place.

Lorsqu’il se place sur la ligne de départ, du haut de ses 6 pi 3 po, on dirait presque un enseignant d’éducation physique qui s’apprête à faire la course avec ses élèves tellement la différence de gabarit est spectaculaire. Mais la plupart du temps, c’est lui qui termine devant au croisement de ladite ligne au bout du dernier tour, imitant le battement des ailes d’un oiseau prenant son envol, sa nouvelle marque de commerce.

« Ma famille m’a toujours encouragé là-dedans, en me rappelant que j’étais ma propre personne. Et ça vient avec une certaine confiance aussi. Tu n’es peut-être pas dans le moule, mais tu es capable de performer en étant toi. Parfois, tu peux te perdre en étant juste “un autre” patineur, dit-il en mimant des guillemets, mais je tire une fierté d’être différent du moule. »

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

William Dandjinou en action

Les membres de sa famille, d’ailleurs, l’ont encouragé rapidement à ouvrir ses horizons. À aspirer à être plus qu’un patineur talentueux et prometteur.

Grâce à eux, il est capable de se satisfaire et de grandir à travers des passions n’ayant rien à voir avec le patin. Tourner la dernière page d’un bouquin ou lancer un « échec et mat » peut aussi le combler de bonheur. Ce qui est une richesse inouïe dans un monde comme le sien où tout doit tourner autour de la performance sportive.

— Qu’est-ce que tu fais lorsque tu ne patines pas ?

« C’est plus : qu’est-ce que je ne fais pas ? Pendant un moment, j’avais comme une nouvelle passion chaque deux mois. Je m’étais acheté de l’équipement de podcast, des trucs de photo, les mangas animés. Sinon, je lis beaucoup. Les échecs, ça vient de mon grand-père. Ça, je ne vais jamais lâcher. »

Il cite 1984, de George Orwell, comme son roman préféré. « Ce sont les parallèles qui m’intéressent. Être capable de lire une histoire qu’on pourrait prendre au premier degré, mais essayer de comprendre, lire entre les lignes, c’est ce qui m’avait intéressé. Même chose pour La ferme des animaux, c’est le même principe. Je lis aussi de la fantaisie et tout ça. Mais ces livres font appel à plus de profondeur que juste du divertissement. »

Notre érudit vient tout juste de terminer Foundation, adapté pour la télévision par Apple TV+. « Les gars de l’équipe en parlaient. Je n’ai pas Apple TV+, donc je me suis dit que j’allais lire le livre pour en parler avec eux. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

William Dandjinou

À travers ses cinq médailles d’or, deux médailles d’argent et deux médailles de bronze remportées depuis l’automne, Dandjinou poursuit parallèlement ses études en sciences pures. Simplement parce qu’il est tombé dedans lorsqu’il était petit.

« Ma mère est médecin et mon père a un doctorat en microbiologie. Ça venait avec une pression quand j’étais jeune. En ce moment, je suis encore au cégep. J’ai pris sciences, parce que je me sentais obligé en raison de mon héritage familial, c’est comme l’évidence. Je ne sais pas si je vais aller en sciences à l’université, mais j’aime beaucoup ça.

« Pour moi, c’est plus que le côté cérébral, c’est le côté humain. Que j’aille en sciences ou pas, il faut qu’il y ait un côté humain, de partager avec les gens, parce que c’est le plus important. »

Un titre mondial dans la ligne de mire

À ses débuts, il aurait été impensable pour lui d’envisager la possibilité de se battre pour un titre de champion du monde. C’est pourtant ce qu’il s’apprête à faire.

Cette saison remarquable pourrait se terminer de la meilleure des façons s’il parvient à mettre la main sur l’or à l’épreuve du 1500 m.

Je veux être champion du monde. Je ne vais jamais dans une compétition pour arriver deuxième. À court terme, c’est de se remettre en forme. Mais je sais que sans être au sommet de ma forme, j’ai les outils pour m’en sortir.

William Dandjinou

Néanmoins, avec ou sans titre mondial, la saison 2023-2024 restera pour lui une immense réussite : « Ma saison pourrait s’arrêter aujourd’hui et je serais satisfait. »

Dandjinou n’est pas non plus de ces champions qui arrivent sur leur lieu de travail comme s’ils entraient à l’usine. Il prend un soin jaloux d’entretenir sa capacité d’émerveillement.

Le souvenir d’une récente discussion avec Marc Gagnon lui a remonté à l’esprit pour conclure l’entretien, parfait pour résumer les motivations sincères du personnage : « Je lui disais que je n’avais pas plus de fun à faire du patin à l’international que lorsque j’avais 5-6 ans, lorsque j’ai commencé et que je faisais du patin au niveau régional. Pour moi, le plaisir est le même. La différence, c’est que je peux le partager avec plus de monde. C’est ce qui est magique dans ce que je fais. »

Qui est William Dandjinou ?

  • Né le 1er octobre 2001 à Sherbrooke
  • Étudiant en sciences pures au Collège de Maisonneuve
  • Membre de l’équipe canadienne depuis 2019
  • Substitut aux Jeux olympiques de Pékins en 2022
  • Champion canadien au 1500 m
  • Premier au classement de la Coupe du monde sur 1500 m