Elle vient tout juste d’avoir 17 ans. Vendredi, elle est devenue vice-championne du monde. L’Américaine Isabeau Levito est dotée d’un talent hors norme qu’on voit passer seulement une fois par génération. Et elle le sait.

Dans l’histoire récente du sport américain, plusieurs jeunes femmes surdouées et ambitieuses ont fini par combler les attentes fondées en elles dès leur arrivée dans l’œil du public. Mikaela Shiffrin, Simone Biles et Chloe Kim, entre autres, sont passées rapidement du statut de prétendantes à celui d’icônes.

Levito a répondu sans hésiter lorsque votre journaliste lui a demandé si elle méritait d’entendre son nom être prononcé dans la même phrase que ces athlètes dont seuls les prénoms suffisent pour être identifiées : « Oui. »

D’ailleurs, Levito a hérité de son prénom grâce au film Ladyhawke, la femme de la nuit, film de 1985 dans lequel Michelle Pfeiffer incarnait Isabeau d’Anjou.

La discussion s’est déroulée près de l’entrée du vestiaire du Canadien de Montréal. Pendant près de 10 minutes, l’Américaine au sourire d’ange et au regard émerveillé ayant impressionné les juges et le public québécois la veille a paru davantage renfermée, offrant un accès plus limité que ce à quoi on pouvait s’attendre. Une courte éclipse a quelque peu assombri le rayon de soleil qu’elle personnifie sur la patinoire.

Dans les faits, on ne pourra jamais saisir véritablement ce que ça implique de s’abandonner corps et âme dans un programme défini à l’automne et peaufiné jusqu’au printemps. Et surtout de le livrer dans l’apothéose la plus complète en bravant la tempête.

Les attentes étaient considérables, même si la principale intéressée affirme ne pas en avoir fait de cas. « Je n’y pense jamais. Je me fous un peu de ce que les gens disent autour de moi. Je patine vraiment pour moi d’abord et avant tout. »

Levito a été championne du monde chez les juniors en 2022, championne américaine en 2023 et la voilà qui quitte Montréal avec une première médaille en Championnat du monde dans ses bagages. Un triomphe d’argent mérité 20 jours après avoir fêté son 17e anniversaire. « C’est vraiment le genre de réalisation que je souhaitais à ce stade de ma vie. Tout est parfait en ce moment, dans ma vie et ma carrière. Tout se passe bien et toutes les facettes de ma vie cohabitent exactement comme je l’avais prévu. »

Un genre de modèle

Sac à main en cuir sur les genoux, bagues en or sur les deux mains et vêtue d’une veste de l’équipe nationale américaine, Levito n’est évidemment pas une adolescente ordinaire.

Elle connaît la gloire, l’ivresse de la victoire et la pression d’infaillibilité qui guette chaque athlète devant négocier avec un succès comme le sien avant même d’avoir obtenu son diplôme d’études secondaires.

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Isabeau Levito, durant la cérémonie de remise des médailles aux Championnats du monde de patinage artistique, vendredi à Montréal

Quelque part entre l’admiration et l’envie, de jeunes filles de sa génération voudront certainement s’inspirer de son parcours. Mais Levito, elle-même confrontée à des attentes démesurées dans un sport où le jugement fait parfois plus mal qu’un mauvais résultat, tient à rappeler que la comparaison agit parfois davantage comme un poison.

Ce n’est pas non plus comme si j’avais une vie normale et que j’allais à l’école.

Isabeau Levito

S’immiscer dans un monde comme celui du patinage artistique professionnel lui a coûté une partie de son adolescence. Mais jamais le mot « sacrifice » n’a été employé par la native de Philadelphie, qui a grandi au New Jersey. « C’est vraiment un travail à temps plein. Tout ce que je fais dans ma vie tourne autour du sport. Je prends soin de mon corps. Ça demande énormément de responsabilités au même titre que de travailler de 9 à 5. Mais ça m’a poussée à devenir mature très rapidement. »

Rien de moins que l’excellence

Dans un cadre compétitif comme celui des Mondiaux, Levito vaut à elle seule le prix du billet. Entre sa grâce naturelle, sa finesse exquise et sa légèreté angélique lui permettant presque de voler entre ses figures, son visage s’illumine.

Elle a la tête de l’emploi et les traits d’une véritable star. Si elle continue à séduire les juges autant que le public, son nom sera sur toutes les lèvres d’ici les Jeux olympiques de Milan en 2026. Certaines personnes sont nées pour devenir des vedettes. Dans leur attitude, leur regard et leur férocité à n’exiger rien de moins que l’excellence. Et c’est le cas de Levito.

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Isabeau Levito, dimanche

J’aime tellement la sensation d’être libre sur la glace. Je sens que j’y ai ma place.

Isabeau Levito

Dans toutes les sphères de sa vie, l’Américaine a un goût assumé pour le plus-que-parfait. Que ce soit dans le détail de ses tenues, la manière de s’asseoir le dos bien droit et même dans ses apprentissages à l’extérieur du patinage.

Le jeune prodige parle l’anglais, l’italien et le russe. « Il y a quelques années, je voulais apprendre plusieurs langues et j’ai cessé pendant un petit bout, parce que j’allais à l’école. Je comprends un peu le russe, mais un jour, je finirai par l’apprendre et le comprendre parfaitement. Je veux être capable de parler plusieurs langues. »

Elle souhaite d’ailleurs se mettre au japonais bientôt.

« Je pense que c’est chouette d’apprendre plein de langues, surtout lorsqu’on voyage beaucoup. J’aime m’adapter et m’immiscer dans les cultures que je visite. Quand on est allés en Italie pour la finale des Grands Prix, c’était tellement amusant de prétendre que j’étais italienne pour quelques jours ! »

Vers les Championnats du monde à Boston

Lorsqu’elle a terminé son programme libre, Levito a fait dos aux juges pour saluer le public. Dans les gradins du Centre Bell, des drapeaux américains, des cris stridents et des applaudissements en rafale.

Les encouragements étaient tonitruants, mais ils n’avaient rien à voir avec l’accueil qu’elle recevra dans un an, aux Championnats du monde qui seront présentés au TD Garden de Boston, devant les siens, et en plein cœur d’une année de qualification olympique. « Oh non, je ne veux pas y penser. C’est vraiment trop loin ! »

L’auteur américain Ernest Hemingway a déjà défini le courage comme étant une démonstration de grâce sous la pression. Si Levito a déjà exprimé toute sa virtuosité, c’est dans un an que l’on verra si elle est également courageuse.

Personne ne peut prédire l’avenir, même pas Levito, qui semble posséder tous les talents, mais chose certaine, elle sera prête à braver la tempête le moment venu.

« Il faut être prêt mentalement, il faut être heureux et il faut aimer ce qu’on fait avant même de sauter sur la glace et d’assumer tout ça. On travaille tellement fort, c’est surréel. Donc il faut apprécier ce qu’on fait. »