Les changements d’allégeance nationale sont fréquents dans un sport comme le patinage artistique, en particulier dans la discipline de la danse, où les partenaires potentiels ne sont pas si nombreux au plus haut niveau.

Ainsi, Olivia Smart, une Britannique d’origine, et Tim Dieck, un Allemand, représentaient l’Espagne aux Championnats du monde de Montréal, où ils ont fini 19es la semaine dernière.

Smart est devenue citoyenne espagnole quand elle faisait équipe avec le Catalan Adrian Diaz, avec qui elle s’est classée huitième aux Jeux olympiques de Pékin. Depuis la saison dernière, elle s’entraîne avec Dieck à l’Académie de glace de Montréal, sous l’œil avisé de Marie-France Dubreuil, Patrice Lauzon et Romain Haguenauer. Ils ont choisi de s’aligner pour l’Espagne, qui leur offrait un meilleur soutien financier que la fédération allemande.

Après une longue carrière sous les couleurs du Canada, leur pays natal avec qui ils ont atteint le 14e rang aux Mondiaux de 2018, Carolane Soucisse et Shane Firus ont pour leur part battu pavillon irlandais cette saison.

Soucisse l’a admis d’emblée : elle appréhendait un peu la réaction du public avant de sauter sur la glace du Centre Bell pour l’épreuve de danse rythmique. Finalement, la Montréalaise de 29 ans et son partenaire de Vancouver de 30 ans ont été chaleureusement accueillis par les spectateurs, dont plusieurs ignoraient ce transfert vers un nouveau pays.

« Les fans sont tellement généreux, a souligné Soucisse avec soulagement quelques minutes plus tard. Plusieurs sont venus nous voir pour nous dire : le Canada vous encourage toujours et on est derrière vous. Ça nous a fait chaud au cœur. Je pense que les fans comprennent le choix qu’on a eu à faire. »

En 2020, Soucisse et Firus ont obtenu in extremis une sélection pour les Mondiaux de Montréal à la suite d’une blessure à un autre couple canadien. Or, la compétition a été annulée quelques jours plus tard, à l’aube de la pandémie de COVID-19.

PHOTO PHILIP FONG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Carolane Soucisse et Shane Firus lors d’une compétition à Osaka, au Japon, en avril 2021

Après une énième quatrième place aux championnats nationaux de 2022, leur entraîneuse Carol Lane a suggéré d’évaluer la possibilité d’évoluer pour un autre pays. Le duo n’était pas prêt à envisager un tel bouleversement après s’être aligné pour la feuille d’érable depuis le début de son association, en 2016.

« Avec le Canada qui est si fort en danse, ç’a été assez difficile pour nous », a admis Carolane Soucisse, qui patine à Toronto depuis quatre ans après son passage à l’Académie de glace de Montréal. « On était à un point de non-retour. »

Un choix de raison

L’hiver dernier, Soucisse et Firus ont encore abouti au pied du podium après ce qu’ils considéraient comme leurs deux meilleures prestations de la saison. Non seulement ils ne se rapprochaient pas des meneurs, mais aussi des danseurs avec moins d’ancienneté les dépassaient et d’autres leur soufflaient dans le cou. Ils ont décidé de tenter le grand coup pour sortir de cette ornière.

C’est difficile de mettre autant d’énergie et de sous [dans notre carrière] et se dire : moi, je suis quatrième. On ne voyait pas comment ça allait changer. Soit on regardait les autres options, dont l’Irlande, soit on arrêtait complètement parce qu’on ne voyait pas le bout du tunnel.

Carolane Soucisse

Couper les ponts avec la seule fédération qu’ils avaient connue a été une décision émotive. Au surplus, Patinage Canada a refusé de leur accorder une libération un an après leur dernière compétition internationale (Skate Canada, en novembre 2022), les invitant à refaire une demande en 2024. La logique d’une telle posture est de protéger l’investissement de la fédération dans ses athlètes (environ 141 000 $ dans ce cas précis).

Après un appel au Centre de règlement des différends sportifs du Canada, un arbitre a cependant donné gain de cause à Soucisse et Firus en juin 2023.

Manifestement, Soucisse n’a pas tenu rigueur à Patinage Canada pour ce litige. « On a un très grand respect pour l’organisation, pour tout le monde qui nous a soutenus durant ces années », a-t-elle précisé la semaine dernière, en réponse à une question qui ne portait pas sur ce différend. « Le changement a donc été assez difficile, mais on n’a pas eu vraiment le choix. »

Pas de regrets

L’Irlande s’est avérée la destination logique. Firus en détenait la nationalité par sa grand-mère maternelle, issue d’une famille de 14 enfants qui a émigré de l’île d’Émeraude. Pour sa partenaire, l’obtention de la citoyenneté, condition sine qua non à une participation olympique, s’annonce plus complexe.

« Légalement, je devrais habiter en Irlande pendant trois ans », a-t-elle indiqué. Or, l’Irlande ne compte aucun aréna sur son territoire. Ses quelques patineurs doivent faire la route vers Belfast, en Irlande du Nord, pour s’entraîner.

« On espère qu’après cette saison, si on est capables d’avoir des résultats comme on a eus aux Championnats d’Europe [13es], ça fera la différence. »

Étant donné cette incertitude, Soucisse et Firus assurent ne pas avoir changé de pays dans l’unique intention de prendre part aux JO de Milan et Cortina en 2026. Leur seule présence aux Championnats du monde de Montréal, où ils ont fini au 20e échelon, représentait déjà une victoire en elle-même.

« [Les juges] voyaient bien qu’on avait du potentiel, mais qu’on était un peu pris au Canada, a noté Soucisse samedi. Je pense que tout le monde est content qu’on ait pu trouver une occasion de participer à des évènements comme ceux-là. »

Contrairement aux paroles d’Hier encore, leur romantique chorégraphie livrée sur les mots d’Aznavour, Carolane Soucisse et Shane Firus se sont assurés de ne pas avoir de regrets pour avoir « fait tant de projets qui sont restés en l’air ».