La deuxième femme la plus rapide au monde cette année a pour nom Audrey Leduc. Pas de quoi (encore) s’énerver – la saison commence à peine –, mais la sprinteuse de Gatineau s’annonce pour les Jeux olympiques de Paris.

Audrey Leduc a mal dormi samedi. Et pas nécessairement parce qu’elle devait se lever à l’aurore pour prendre son vol de retour vers Montréal. Chaque heure ou presque, elle se réveillait avec un chiffre en tête : « 11,08 ». Puis elle voyait défiler sa course.

Cette agitation nocturne trouvait sa source dans le 100 m des Florida Relays, compétition où la sprinteuse de Gatineau avait ouvert sa saison extérieure quelques heures plus tôt, à Gainesville.

Non seulement a-t-elle réussi le temps le plus rapide de la journée, mais elle a aussi pulvérisé sa marque personnelle de trois dixièmes, faisant tomber au passage un record québécois datant de 1988 et s’approchant à un centième du standard de qualification automatique pour les Jeux olympiques de Paris.

« On dirait que mon corps et mon cerveau étaient en état de choc ! », a raconté Audrey Leduc, deux jours plus tard, encore surprise par son chrono éclair réalisé sur la piste du stade de l’Université de la Floride.

Pendant l’épreuve, elle croyait à tort que ses rivales la rattrapaient, ce qui l’a incitée à pousser encore plus. La ligne d’arrivée franchie, elle n’avait aucune idée de ce que son effort avait pu donner.

Je savais que c’était une bonne course, mais je ne savais pas que ça pouvait être aussi vite que ça. Quand on court vite, on ne s’en rend pas nécessairement compte parce que justement, on n’a jamais couru à cette vitesse-là.

Audrey Leduc

Le tableau indicateur était loin, mais elle a entendu son temps prononcé par l’animateur dans les haut-parleurs. Encore essoufflée, elle n’était pas tout à fait certaine d’avoir bien compris. Ce n’est qu’en constatant l’excitation de deux coéquipières inscrites dans la même course, la Franco-Ontarienne Jacqueline Madogo (11,36) et la Montréalaise Donna Ntambue (11,61), qu’elle a commencé à prendre la mesure de son exploit.

Pendant que la Québécoise de 24 ans retournait vers la ligne de départ pour récupérer ses effets personnels, l’annonceur a ajouté qu’elle s’installait au deuxième rang mondial pour l’année en cours. Seule l’Américaine Cynteria James a fait mieux avec 11,01, en Caroline du Sud, une semaine plus tôt.

« Oui, il faut le vivre, oui, il faut en profiter, mais je suis consciente que les meilleures, comme [les Jamaïcaines] Shericka Jackson, Shelly-Ann Fraser Pryce et les Américaines, n’ont pas encore couru, a tempéré Audrey Leduc. On s’entend qu’elles iront plus vite que 11,08. »

N’empêche, un tel temps lui aurait permis d’accéder à la demi-finale des derniers Championnats du monde, pour lesquels elle ne s’était pas qualifiée. Quatrième aux Championnats canadiens à la fin de juillet, elle avait réussi un sommet personnel de 11,38 deux semaines plus tôt à Toronto.

Une excellente saison en salle

L’étudiante au MBA à l’Université Laval a connu une progression fulgurante durant la saison en salle, enfilant les sommets personnels sur 60 m à partir du début de décembre.

Le 17 février, à Ottawa, elle a battu deux fois la marque provinciale qui appartenait à la Montréalaise Kimberly Hyacinthe, la faisant passer à 7,22. Elle l’a améliorée d’un centième en demi-finale des Mondiaux de Glasgow, le 2 mars.

PHOTO BEN STANSALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Audrey Leduc (à droite) lors des Mondiaux de Glasgow, le 2 mars dernier

Son seul regret : avoir échoué à deux centièmes du record aux championnats canadiens universitaires, où elle a remporté l’or le 7 mars à Winnipeg. Elle se promet de se reprendre l’an prochain.

Leduc était donc remplie de confiance pour les Florida Relays, où elle a également réalisé un excellent troisième relais avec ses coéquipières canadiennes du 4 x 100 m, quelques heures avant l’épreuve individuelle. D’autant que sa force, décrit-elle, est la « vitesse pure », un aspect qu’elle ne fait qu’effleurer sur un sprint aussi court.

Elle avait déjà noté le record provincial du 100 m qui appartenait à Julie Rocheleau depuis 1988, mais elle n’était plus certaine du temps précis (11,13). Pour éviter une pression indue, elle avait interdit à sa famille et à son chum de le lui indiquer. « Je m’étais dit : après la première course de la saison, je vais aller voir… »

« Quand j’étais plus jeune, je ne m’attendais pas à faire un record. Je voyais tout le monde qui courait bien, je faisais des records juniors, sans plus. J’ai eu ma puberté plus tard aussi. J’ai progressé de façon graduelle. Ça arrive là, et c’est la bonne année pour que ça arrive. »

Un nouveau domicile

Après quatre ans à Québec avec le Rouge et Or, Audrey Leduc a suivi son entraîneur Fabrice Akué au nouveau centre de haute performance d’Athlétisme Canada au complexe Claude-Robillard, au printemps 2023. Elle profite également de tous les services offerts par l’Institut national du sport du Québec au Parc olympique. Cet encadrement lui a permis de s’améliorer sur plusieurs facettes : conjugaison musculation/piste le même jour, nutrition, préparation mentale, etc.

« Ça fait cinq ans que l’on construit une relation avec Fabrice. C’est maintenant qu’on peut en voir les fruits. C’est comme un casse-tête : j’avais tous les éléments, mais tu dois les mettre en place. »

Le prochain mois sera surtout consacré au relais, avec un stage national en Louisiane avant les Mondiaux aux Bahamas, où les Canadiennes tenteront de se qualifier pour les Jeux olympiques. Elle cherchera ensuite à assurer sa sélection individuelle, idéalement avec le standard automatique (11,07), sinon par le classement mondial.

Désormais troisième performeuse de l’histoire au Canada, Audrey Leduc lorgne maintenant deux nouveaux objectifs : passer sous les 11 secondes et le record national de 10,98, établi par Angela Bailey en 1987. « Pourquoi pas ? »