(Laval) Nous voici devant la Place Bell, une heure avant le duel entre les Senators de Belleville et le Rocket. La Presse aborde un homme accompagné de deux enfants, afin de savoir ce qui le motive à venir voir jouer le club-école du Canadien en ce samedi après-midi pascal.

Notre homme semble désemparé. Il cherche où rejoindre le gérant de l’équipe de hockey de – on devine – l’un de ses garçons ou les deux, afin d’avoir ses billets. On lui offre donc de laisser tomber l’entrevue pour lui permettre de gérer l’imbroglio, offre qu’il accepte.

Mais il ne veut pas non plus nous laisser les mains vides. « Vous écrirez qu’il y a plus d’ambiance ici qu’au Centre Bell ! », lance-t-il, en s’éloignant.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La Place Bell, domicile du Rocket de Laval

Il n’est visiblement pas le seul à penser ainsi. Depuis le début de la saison, les billets du Rocket se vendent comme des petits ponchos, pourrait-on dire. Samedi, au 33match à domicile, on a annoncé une 14foule supérieure à 10 000 spectateurs. Une fois ce nombre atteint, on considère essentiellement que le match est joué à guichets fermés.

La rencontre de samedi a porté la moyenne de la saison à 9133 spectateurs, selon les données disponibles sur le site de la Ligue américaine. La tendance depuis la fin de la pandémie est limpide.

Nombre moyen de spectateurs par saison aux matchs du Rocket

  • 2017-2018 : 6691
  • 2018-2019 : 5578
  • 2019-2020 : 6217
  • 2020-2021 : matchs à huis clos
  • 2021-2022 : 5557 (avec restrictions sanitaires)
  • 2022-2023 : 7647
  • 2023-2024 : 9133

Cette saison, le crescendo se lit d’un mois à l’autre. Seule exception : janvier, puisque trois des six matchs à domicile ont eu lieu le mercredi, soir où les foules sont toujours plus maigres.

Accessible à tous les niveaux

Dans les coursives, on rencontre Patrick et Anne-Françoise, qui attendent deux invités.

« On invite mon filleul, il a 5 ans, il veut jouer au hockey et voulait voir un match, déballe Anne-Françoise. Comme c’est en après-midi, c’est le fun de venir avec un jeune. »

Ils ont un abonnement de demi-saison, bon pour 18 matchs. Des sièges situés dans la « deuxième rangée, derrière le but du Rocket. Au Centre Bell, je ne pourrais pas acheter ça ! », assure Patrick.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Les partisans qui se rendent à la Place Bell pour assister aux matchs du Rocket sont de plus en plus nombreux.

L’abordabilité est également citée par Pascal, David, Jacob et Samuel, quatre copains qui viennent de Gatineau « environ une fois par mois ».

Samedi, ils étaient assis au niveau 200, mais en première rangée. « Ici, c’est cinq ou six piastres de plus par billet qu’aux Olympiques [de la LHJMQ], calcule l’un d’eux. C’est une heure et demie de route et ça vaut la peine. »

Sur le site du Rocket, les prix pour les billets achetés en avance varient entre 22 et 59 $. « Pour le spectacle, c’est une bonne valeur. Le coût moyen d’un billet est de 30 $, détaille Patrick Hum, directeur des ventes et du marketing du Rocket. C’est aussi bon pour une famille, une gang de boys qui veulent faire une sortie. »

Mais l’accessibilité prend un autre sens pour lui.

Les gens ont accès à des joueurs à qui ils n’auront bientôt plus accès. C’est immense. On privilégie beaucoup nos membres, qui sont nos détenteurs d’abonnements de saison. La semaine dernière, c’était la journée des membres. Tous les joueurs y étaient. David Reinbacher a atterri le lundi et le mercredi, il était là.

Patrick Hum

Le plus étonnant avec les succès du Rocket, c’est d’une part que l’équipe n’est pas particulièrement une puissance sur la patinoire. Elle se bat pour une place en séries et a connu l’automne dernier une série de neuf défaites de suite.

D’autre part, le club ne regorge pas d’espoirs de renom. Nos quatre amis de l’Outaouais, par exemple, ont nommé Riley Kidney, un espoir de catégorie B, parmi les joueurs qu’ils souhaitaient venir observer « parce qu’il jouait à Gatineau l’an passé ». Ils citent aussi Joshua Roy, qui n’a pas joué pour le Rocket depuis le 9 février, d’abord parce qu’il avait été rappelé, maintenant parce qu’il est blessé. « On prend pour le Canadien, donc on veut voir la progression des jeunes », disent-ils.

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Le nouveau venu à Laval David Reinbacher est au nombre des joueurs qui suscitent l’engouement des partisans.

Reste que la majorité des meilleurs espoirs de l’équipe évoluent dans la NCAA ou en Europe, comme Reinbacher jusqu’à tout récemment ; il a disputé vendredi son premier match à Laval. Bref, ce n’est pas lui qui fait vendre des billets. À vue de nez, Logan Mailloux est peut-être celui qui génère le plus d’intérêt, tant par les réactions de la foule lorsqu’il transporte la rondelle que par les quelques chandails à son nom aperçus dans les gradins.

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Logan Mailloux

« Le marketing, c’est un défi. On ne peut pas vraiment mettre les joueurs à l’avant-plan. Du jour au lendemain, notre affiche n’est plus bonne parce que le joueur se fait rappeler. Donc l’expérience client, c’est gros. On a gagné deux années de suite le prix de la meilleure expérience client dans l’Est », souligne M. Hum.

Le spectre de la revente

Signe que les choses vont bien, la question de la revente de billets devient tranquillement un enjeu. Trois heures avant le match, des billets à plus de 100 $ étaient annoncés sur StubHub. Dans la section 113, on en affichait même un à 609 $.

Évidemment, rien ne dit que les billets ont trouvé preneur à ce prix. Il reste que le Rocket suit la situation de près. « On n’aura pas le choix, la demande est là, croit M. Hum. Pour le moment, nos membres ne peuvent pas revendre leurs billets sur TicketMaster comme pour ceux du Canadien. Mais on songe à le permettre. Le marché secondaire, c’est un phénomène mondial et c’est très difficile à contrôler. »

L’autre bémol, c’est la durabilité de ce succès. Le Canadien n’est pas même passé près d’une participation aux séries depuis trois ans ; un jour, ça ira mieux. Et surtout, il y a cette tendance lourde des 40 dernières années : le hockey junior a toujours eu du mal dans la région montréalaise. L’Armada de Blainville-Boisbriand avait connu un certain succès à ses débuts, mais la baisse observée avant la pandémie, qui coïncidait avec l’arrivée du Rocket, se poursuit.

Pas facile de sortir de l’ombre du Canadien…

Les années 1 et 2, les gens nous associaient beaucoup au Canadien et on essayait d’utiliser sa notoriété. Mais avec le temps, on s’est vraiment séparés, on veut créer notre propre identité et notre propre fanbase.

Patrick Hum, directeur des ventes et du marketing du Rocket

« Au niveau 200, il y a plus de chandails du Canadien, explique M. Hum. Mais en bas, ce sont des chandails du Rocket, des habitués. On commence à voir des casquettes dans le métro. C’est le fun de se séparer, de voir que les gens ne viennent pas nécessairement parce que c’est le p’tit frère du Canadien, mais pour ce que c’est. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Des partisans du Rocket lors d’un match de séries éliminatoires, en avril 2023

Les joueurs ressentent certainement cet appui. Samedi, le Rocket s’est incliné 5-2. Laval n’a pas offert une grande performance, mais a connu une embellie en milieu de match, après un temps d’arrêt demandé par Jean-François Houle. Et la foule a rugi.

« C’est incroyable. Tu fais un beau jeu, une mise en échec, tu entends la foule qui crie, même si tu es concentré, décrit le défenseur William Trudeau. On est vraiment chanceux. »