Pas étonnant que les caquistes et les municipalités ne s’entendent pas sur les moyens pour financer le transport collectif. Ils ne partagent pas les mêmes objectifs. Ce serait toutefois plus simple s’ils l’avouaient clairement.

Combien manque-t-il d’argent ? La réponse : ça dépend des services voulus.

Les caquistes y voient d’abord un problème de dépenses. Ils exhortent les sociétés de transport à contrôler leur budget. Pour le reste, ils misent sur un retour de l’achalandage au niveau prépandémique. Avec moins de gaspillage et plus d’usagers, selon eux, on répondra à la demande. C’est une vision à court terme, si on peut parler de « vision ».

Les municipalités veulent augmenter l’offre. En principe, les caquistes y sont favorables. Ils sont prêts à financer l’ajout de ces services. Mais ils ne veulent pas payer davantage pour les opérer et les entretenir.

L’année dernière, l’aide spéciale du gouvernement (70 % du déficit renfloué) a permis d’éviter le pire. Les sociétés de transport collectif ont ainsi équilibré leur budget. Mais pour cela, elles ont reporté des dépenses en ajout et en entretien. Les services ont stagné.

Ce statu quo n’a rien d’un équilibre. Il équivaut à accepter l’auto solo, la congestion, l’étalement urbain ainsi que ses coûts financiers et écologiques.

Selon les villes, l’offre ne devrait pas s’adapter à la demande. Elles proposent le contraire. Plus le service s’améliorera, disent-elles, plus les usagers troqueront leur voiture pour le bus, le train et le métro.

Le passé montre que c’est possible. De 2006 à 2011, les services en transport en commun ont augmenté de 19 %, et l’achalandage y a bondi de 11 %.

Malheureusement, ce progrès a ralenti. De 2013 à 2018, dans le Grand Montréal, la fréquentation du bus, du métro et du train a augmenté de seulement 4 %⁠1.

Pire : dans l’ensemble du Québec, le recours à l’auto a augmenté.

Part modale de l’automobile

  • 2006 : 78,2 %
  • 2016 : 78,2 %
  • 2021 : 82,4 %

Source : Institut de la statistique du Québec

La politique de la mobilité durable du Québec vise pourtant à réduire l’auto solo. Et aussi à bonifier l’offre de transport collectif, de 5 % par année.

En 2019, l’ancien ministre des Transports François Bonnardel lançait une consultation sur le financement du transport collectif. Le constat : le modèle ne fonctionne plus. Les sociétés de transport peinent à entretenir leurs actifs. Or, leurs dépenses augmenteront avec l’ajout du REM, de bus, de métros et de trains. Et les revenus de la taxe sur l’essence diminueront à cause de l’électrification.

Depuis, de nombreux rapports d’experts ont proposé des solutions :

  • Taxe kilométrique (compliquée à implanter technologiquement)
  • Péage ou, pour Montréal, cordon de péage (qui nuira aux commerçants de l’île)
  • Hausse de la taxe sur l’essence (qui n’a pas été indexée)
  • Hausse de la taxe et des droits d’immatriculation (qui n’ont pas été indexés)
  • Redevance et captation foncière (ce qui déplaira aux promoteurs immobiliers)
  • Prélèvement dans le Fonds vert (qui alourdira le déficit)
  • Hausse des taxes foncières (déjà élevées)
  • Hausse du tarif aux usagers (alors qu’on veut les attirer)

Aucune solution n’est facile à vendre. C’est justement pour cela que les élus doivent y réfléchir ensemble.

À son arrivée en poste, la ministre Geneviève Guilbault a lancé une nouvelle ronde de consultation. Le problème fut reporté.

Malgré tout, il y avait de l’espoir. On notait sa décision d’ajouter « Mobilité durable » au nom de son ministère. Sa politique de sécurité routière a été bien reçue. C’est aussi elle qui a défendu l’abandon du troisième lien. Mais depuis la défaite de la CAQ à l’élection partielle de Jean-Talon, les communications en coulisses sont plus rares et tendues entre le cabinet de Mme Guilbault et les municipalités.

Si la ministre est réputée pour son ton cassant, certaines municipalités ne s’aident pas. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a rendu le transport collectif gratuit pour les aînés alors qu’elle dit manquer d’argent. Le maire de Laval, Stéphane Boyer, fait des sorties médiatiques solitaires cinglantes. L’automne dernier, il s’est permis d’attaquer le gouvernement caquiste lors d’une annonce où son service de police recevait une aide de 20 millions.

Puis, jeudi, le maire de Québec, Bruno Marchand, a dit ne plus avoir « confiance » en Mme Guilbault. C’est comme s’il misait sur un remaniement ministériel au cours des prochains mois. Mais la pire façon d’obtenir le dégommage d’une ministre, c’est de le demander.

Durant la pandémie, le gouvernement caquiste a épongé les déficits des sociétés de transport collectif. Mme Guilbault déplore que ces sociétés n’aient pas assez réduit leurs dépenses durant cette crise.

En effet, les municipalités pourraient resserrer leurs dépenses. Par exemple, leurs employés sont payés davantage que ceux du niveau provincial. Québec a d’ailleurs commandé des audits – même si elles en subissent déjà de la part de vérificateurs indépendants.

Mais cela ne change rien au fond du problème : pour se développer, le transport collectif aura besoin de nouvelles sources de revenus. Les « gains d’optimisation » réclamés par Mme Guilbault (354 millions sur cinq ans) n’équivalent qu’à une fraction du manque à gagner. Ça ne suffira pas. La solution devra aussi passer par une forme d’écofiscalité et par une contribution additionnelle des automobilistes.

Les caquistes s’y refusent. Avec les routes, leur discours est différent. Ils ne parlent jamais d’une route « déficitaire ». Pour l’asphalte, l’État ramasse la facture sans rechigner.

Bien sûr, les automobilistes paient plusieurs taxes. Mais cela ne suffit pas à payer pour les services qu’ils reçoivent, comme l’a déjà démontré Pierre-Olivier Pineau, de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Les caquistes reportent les décisions difficiles2. À moins qu’ils aient déjà tranché et abandonné la politique de mobilité durable.

1. Lisez les faits saillants de l’enquête Origine-Destination pour la région de Montréal 2. Lisez la chronique « La “fougère” desséchée du transport collectif »