« Gérer le transport collectif et les sociétés de transport, ce n’est pas une mission de l’État. »

Ceux qui se posaient encore des questions sur la vision de la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, auront obtenu leur réponse, mercredi, pendant l’étude des crédits budgétaires à Québec.

Les sociétés de transport en commun comme la STM et exo sont dans le rouge foncé. Leur déficit dépassera le demi-milliard l’an prochain. Il est question de réduire drastiquement la fréquence du service, et de hausser une série de tarifs, pour combler une portion du manque à gagner.

Réaction de la ministre ? Arrangez-vous avec vos problèmes !

« Nous, on n’a pas le luxe de refiler notre déficit ailleurs, a-t-elle lancé. Chacun, comme j’aime bien dire, doit gérer sa fougère et trouver ses propres solutions. »

J’ai une nouvelle pour Mme Guilbault : la fougère des transports collectifs est desséchée.

Le jardinier qui avait promis d’en prendre soin, le gouvernement Legault, a abdiqué. Il semble résolu à regarder la plante flétrir petit à petit. Toutes ses promesses d’encourager la « mobilité durable » et d’accroître « l’offre de service » de 5 % par année n’étaient que ça, on dirait : des promesses.

Des mots creux.

La pandémie de COVID-19, on le sait, est venue donner un coup de bâton dans les tibias de l’industrie. L’achalandage a chuté de façon draconienne, et il n’est toujours pas revenu aux niveaux « d’avant ».

Québec a injecté plus de 2 milliards pour aider les transporteurs depuis la pandémie. C’est un coup de pouce « historique », comme le répète la ministre Guilbault. En effet.

Mais pour la suite des choses, pour demain et après-demain, il n’y a toujours pas de plan de match précis. Les déficits qui se profilent à l’horizon sont vertigineux.

Le manque à gagner, pour l’exploitation des réseaux de bus, de métro et de trains de banlieue, se chiffre à 561 millions en 2025 dans le Grand Montréal. Sur cinq ans : à près de 3 milliards. Plusieurs scénarios sont sur la table pour renflouer les coffres, et aucun d’entre eux n’est réjouissant.

On parle de taxer davantage les immatriculations automobiles. D’augmenter l’impôt foncier. De fusionner ou d’abolir certaines sociétés. De rehausser les tarifs pour les usagers. De réduire la fréquence des bus, des trains de banlieue et du métro.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, on a appris mercredi que la mise en service des prochains tronçons du Réseau express métropolitain (REM) sera encore repoussée. Date d’inauguration ? Inconnue.

La crise financière à laquelle on assiste en ce moment est aiguë, mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Cela fait plus d’une décennie que les sociétés de transport peinent à boucler leurs budgets. Ces agences tombent sous la responsabilité des villes, qui doivent négocier avec le gouvernement du Québec à chaque fin d’année, dans l’urgence, afin d’obtenir des fonds pour éponger leur manque à gagner.

La situation de déficit chronique est devenue critique depuis la pandémie.

La mise en service d’un premier segment du REM est venue creuser encore plus le manque à gagner. Les villes doivent verser des contributions à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) pour le faire fonctionner, ce qui réduit d’autant les sommes destinées au réseau existant.

Comment dénouer l’impasse budgétaire ?

Une réunion est prévue d’ici la fin de juin entre la ministre Guilbault et les maires de la Communauté métropolitaine de Montréal, qui regroupe 82 villes. Ils discuteront (encore une fois) des problèmes de financement récurrents des réseaux de transport collectif de la région. Voilà tout.

Ce à quoi on assiste pourrait se résumer ainsi : une partie de ping-pong (de plus en plus disgracieuse) entre Québec et les villes.

La position de Geneviève Guilbault va comme suit. Québec investit déjà beaucoup dans le transport collectif, mais les municipalités ont aussi entre les mains des outils pour récolter de nouveaux revenus afin de les financer. Elles devraient les utiliser.

Les villes sont ouvertes à employer certains leviers, mais elles estiment que Québec devrait respecter sa « Politique de mobilité – 2030 », qui prévoit une hausse constante de l’offre de service.

C’est là où ça accroche, de part et d’autre. Personne ne veut porter l’odieux d’imposer de nouvelles taxes ou redevances. Le ballon s’en va dans le champ.

Ça devrait pourtant être un choix de société évident. Investir davantage dans les transports collectifs, pour l’État québécois, devrait aller de soi, d’autant plus à la lumière des milliards qui sont injectés dans la filière batterie.

Les bottines ne suivent pas les babines, comme dirait l’autre.

Il y a des économies à faire, cela dit. Il y a eu du gaspillage, de la mauvaise gestion, des excès.

Geneviève Guilbault a demandé aux transporteurs de réduire leurs dépenses pour éponger une partie de leurs déficits. La STM a déjà annoncé des compressions récurrentes de 86 millions (5 % de son budget), et il y en aura d’autres. La bonne chose à faire.

La ministre a commandé des audits indépendants qui donneront un portrait de l’état réel des finances et de la gouvernance dans chacune des sociétés de transport. Résultats d’ici l’automne.

L’ARTM a elle aussi commandé des études qui analysent différents scénarios « d’optimisation ». Selon mes sources, l’idée d’abolir ou de fusionner certaines agences est envisagée. On parle même d’arrêter des trains de banlieue.

Mais dans tous les cas, même en fusionnant et compressant au carré, les économies pourraient difficilement dépasser les 200 millions. Ça laissera un trou énorme qui pourra difficilement être comblé sans réduire de façon majeure la qualité du service ou imposer une série de nouvelles taxes.

Rien pour donner envie à qui que ce soit de délaisser son char pour sauter dans un bus.