Quand l’Office québécois de la langue française (OQLF) a mesuré que la place du français dans l’espace public était restée stable entre 2016 et 2021, les optimistes se sont empressés de conclure que tout allait bien.

Pour avoir un portrait d’ensemble, il faudrait toutefois considérer les rapports précédents qui mesurent la baisse d’autres indicateurs. Par exemple, depuis 2021, le nombre d’immigrants temporaires ne connaissant pas le français a triplé au Québec.

On aura bientôt un document synthèse. Ce rapport quinquennal de l’OQLF sera rendu public dans les prochaines semaines.

En l’attendant, certains chiffres déjà disponibles montrent l’utilité de plusieurs mesures du plan d’action présenté dimanche par le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, et cinq de ses collègues ministres.

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Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

Une chronique ne suffit pas pour tout l’analyser. Je m’intéresserai ici à la culture, à l’international et à l’immigration.

Une langue n’est pas qu’un outil de communication. C’est un ancrage culturel et un réservoir de sens.

Or, les forces économiques poussent dans la direction contraire. Si on analyse en fonction de la couleur de la peau, il est vrai que les contenus des plateformes offrent plus de diversité.

Mais la diversité s’analyse aussi sous un autre aspect : la langue. Et là-dessus, les plateformes propagent l’hégémonie anglo-saxonne. Ses usagers y subissent aussi le tri opaque fait par les algorithmes.

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, espère déposer d’ici 12 mois un projet de loi pour forcer ces plateformes à rendre le contenu québécois francophone plus visible. Comment ? On l’ignore. Mais M. Lacombe a néanmoins déjà avancé le travail. Il a commandé et reçu un rapport d’experts sur la « découvrabilité des contenus culturels ». Il s’intéresse au modèle de l’Union européenne et de la France en particulier. Reste à voir comment cela s’intégrerait au plan fédéral qui promet aussi de s’y attaquer – mais moins fermement, selon Québec.

Un rapport de l’Observatoire de la culture illustre le défi à venir.

La langue parlée à la maison est un indicateur à utiliser avec prudence. Après tout, l’État n’a pas sa place dans les cuisines. On souhaite qu’un immigrant ajoute la culture québécoise à son identité, sans effacer celle de son pays d’origine.

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Mais cet indicateur n’est pas impertinent non plus. Il permet de voir des tendances qui passent inaperçues quand on n’examine que les moyennes.

Consultez le rapport de l’OQLF sur les langues de consommation des contenus culturels au Québec

Regardez les graphiques qui accompagnent cette chronique. Notez comment les plateformes éloignent du français, surtout chez les allophones.

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Autre différence majeure, non visible dans ces graphiques : peu importe l’activité culturelle, les jeunes sont moins susceptibles de la pratiquer en français.

On peut y voir la preuve que les médias doivent faire plus d’efforts pour séduire les nouveaux publics. L’école a aussi un rôle à jouer, et les caquistes prévoient instaurer un passeport pour initier les jeunes aux œuvres d’ici – les détails ne sont pas connus.

Mais ces enjeux ne devraient pas faire oublier l’impact du rouleau compresseur de la Silicon Valley sur la culture québécoise.

En enseignement supérieur, on connaissait déjà les exigences pour les étudiants étrangers dans les universités anglophones. Ces établissements poursuivent le gouvernement. Des dizaines de chroniques ont été publiées là-dessus.

Le plan déposé dimanche contient une mesure moins controversée, mais fort pertinente.

Le discours habituel sur le français ressemble à ceci : petite enclave francophone isolée en Amérique du Nord, le Québec doit défendre sa langue. Ce n’est pas faux, évidemment. Mais le français est aussi au cinquième rang des langues les plus parlées dans le monde.

Les universitaires et les entrepreneurs devraient pouvoir miser davantage sur leur langue. Le plan prévoit des initiatives pour « faire rayonner la recherche » et pour renforcer les ententes économiques entre francophones.

Ça ressemblera à quoi ? Des annonces sont attendues pour le préciser.

Pour l’immigration, le plan est plus précis. Les candidats voulant s’établir de façon permanente devront connaître le français. Les travailleurs venant au Québec avec un permis fermé – à l’exception de ceux du secteur agricole – devront eux aussi démontrer une connaissance de base. À noter que cela exclut les travailleurs venant avec un permis ouvert, un programme géré par le fédéral.

Quelques chiffres à ce sujet. De 2016 à 2023, le nombre d’immigrants temporaires est passé de 86 000 à 528 000. Parmi eux, le tiers est incapable de soutenir une conversation en français.

À peine 36 % de ces travailleurs qui ne parlent pas le français s’inscrivent à des cours. Les raisons sont multiples : offre de cours insuffisante et désorganisée, manque de temps et d’argent, et possibilité de fonctionner en anglais au travail, de toute façon.

La ministre responsable Christine Fréchette veut miser entre autres sur la francisation en entreprise. Excellente idée. Mais est-ce que ce sera durant les heures de travail ? Et qui payera ? Si on demande un effort déraisonnable à un nouvel arrivant, le taux restera faible.

Québec a créé Francisation Québec et augmenté les budgets. Cet organisme est tout neuf. Mais pour l’instant, dans plusieurs régions, les délais pour accéder aux services dépassent l’objectif de 45 jours.

Le plan dit vouloir « inverser le déclin ». C’est ambitieux, et on ignore quand cet objectif sera atteint. Mais tant qu’une mesure aide, elle devrait être bienvenue. En attendant de voir les détails, bien sûr. Et d’ici là, au lieu d’attendre tous les cinq ans, un rapport synthèse sera publié chaque année. Voilà une excellente façon de prévenir la récupération partisane des chiffres.