S’il y a bel et bien pénurie d’enseignants, il n’y a pas de pénurie de bonnes idées pour y faire face et en minimiser les effets sur les élèves.

C’est ce que je me suis dit en lisant les nombreux lecteurs, dont plusieurs enseignants, qui ont réagi à ma chronique sur l’étourdissant ballet de profs dans une classe de 1re année1.

Alors que la désertion des enseignants s’aggrave dans les écoles publiques du Québec – 4880 enseignants ayant des postes permanents ont démissionné depuis cinq ans, ce qui constitue une hausse de 76 %, selon un bilan rendu public lundi par Le Journal de Montréal –, plusieurs proposent tantôt leur diagnostic, tantôt leurs remèdes.

Simon Bucci-Wheaton, qui s’est découvert une vocation d’enseignant en septembre 2019 après avoir répondu à l’appel urgent d’un directeur d’école primaire cherchant désespérément à pourvoir un poste, trouve inquiétant que l’on normalise le ballet « classique » de profs qui se fait au détriment de l’enfant.

« Ça arrive beaucoup plus souvent que nous le pensons. Par contre, les parents ont peur de dénoncer pour toutes sortes de raisons », constate l’enseignant qui complète sa formation pour devenir un « vrai » prof et qui a publié récemment le livre Mais pourquoi l’école ? Questions et réflexions d’un prof qui n’en était pas un (KO).

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le professeur au primaire Simon Bucci-Wheaton, qui signe le livre Mais pourquoi l’école ?

Qui protège l’élève si l’employeur ne prend pas lui-même la situation au sérieux ? demande l’enseignant.

À l’instar du philosophe de l’éducation Normand Baillargeon, qui signe la préface de son livre, Simon Bucci-Wheaton rêve d’une commission Parent 2.0. Plus de 60 ans après la grande réflexion collective ayant mené à la création d’un ministère de l’Éducation aux nobles ambitions devenu un dernier de classe2, le temps est venu de « refaire le casse-tête qu’est l’éducation », croit-il.

Si l’on considère que l’éducation est vraiment une priorité dans notre société, ce serait en effet une excellente idée.

Par quel morceau du casse-tête commencer pour protéger l’élève et mettre fin à la désertion d’enseignants qui s’épuisent à pallier les défauts de notre système d’éducation ?

Il faudrait en toute priorité revoir la composition des classes, avance l’enseignant. L’inclusion en classe ordinaire d’élèves en difficulté, peu importe leur diagnostic, est une idée fort louable en théorie. Mais si les services essentiels à leur réussite ne suivent pas, ce sont les professeurs qui se retrouvent en grande difficulté. Surtout si les parents ne collaborent pas, observe-t-il.

« L’enseignant fait beaucoup de discipline, enseigne moins, n’amène pas les élèves où il aimerait académiquement, ce qui brûle chacun d’entre nous. Pris dans la paperasse bureaucratique pour faire des demandes de services [qui n’arrivent pas] pour ces élèves qui demandent du soutien intensif… »

Dans un tel contexte, comment s’étonner que le quart des nouveaux enseignants quittent la profession dans les cinq premières années de leur carrière ?

Il ne suffit pas de recruter de nouveaux enseignants. Il faut veiller à leur offrir le soutien et les conditions de travail nécessaires pour qu’ils n’aient pas envie de partir en courant.

« Le ballet actuel a beaucoup à voir avec le chorégraphe qui a décidé, en pleine pénurie de personnel, d’ouvrir des classes de maternelle 4 ans dans tous les centres de services scolaires. Et le reste du ballet vient de l’insensibilité bureaucratique des différentes instances en ce qui a trait au bien-être des enfants », m’écrit une autre enseignante.

Sa solution ? Changer de direction artistique et assouplir les règles bureaucratiques pour prioriser en tout temps le mieux-être des enfants.

Si “partir du bon pied”, “agir tôt” ne sont pas juste des paroles en l’air, ce serait chouette que l’enfant soit en haut de la liste pour vrai. L’enfance, c’est court, c’est juste une fois et c’est la base sur laquelle tout le reste sera érigé.

Une enseignante

L’enseignante en question raconte avoir déjà pris un congé sans solde après un congé de maladie pour épuisement professionnel, sentant qu’elle n’avait pas d’autre choix pour ménager sa santé et préserver la stabilité de ses jeunes élèves. « Un retour progressif temporaire et le ballet qu’il engendre étaient inacceptables à mes yeux. »

Il y a parfois des enseignantes qui, pour ne pas être pénalisées financièrement, sont forcées de revenir en classe en toute fin d’année scolaire, observe-t-elle. « Payer l’enseignante quelques jours pour garder la stabilité du groupe aurait été une meilleure idée. Pas pour la bureaucratie. »

À cette enseignante qui exprimait ses préoccupations quant au bien-être de ses élèves, on a répondu qu’elle n’avait pas à s’en soucier. Les enfants finissent toujours par s’adapter, n’est-ce pas ? Comme s’il appartenait aux élèves de s’adapter aux besoins d’un système bureaucratique plutôt qu’au système de s’adapter aux besoins des élèves.

Une autre solution mise de l’avant par plusieurs lecteurs consiste à accélérer la reconnaissance des compétences d’enseignants étrangers. On m’a cité l’exemple d’un professeur de lycée qui, en dépit de la pénurie d’enseignants, n’arrive pas à travailler dans son domaine. Ou encore celui d’une enseignante française ultraqualifiée, venue au Québec à la suite d’une mission de recrutement du gouvernement à Paris, qui s’est butée aux portes closes de plusieurs centres de services scolaires. En pleine pénurie, de nombreux professeurs prêts à travailler se sont retrouvés dans la même situation absurde lors de la rentrée scolaire3.

Entonnant le refrain populiste bien connu « c’est la faute aux immigrants », le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a souvent attribué les maux du système d’éducation, y compris la pénurie d’enseignants, à l’immigration. « Le bar ouvert en immigration, arrêtez ça ! », a-t-il lancé au gouvernement fédéral, en janvier dernier.

Il y a pourtant parmi ces immigrants de nombreuses personnes compétentes qui, accoudées au bar, n’attendent que de faire partie du « bar ouvert » de solutions.

1. Lisez « L’étourdissant ballet de profs » 2. Lisez « Les derniers de classe du bulletin des ministères » 3. Lisez « Des profs prêts à travailler sont ignorés par les centres de services scolaires »