Quand on parle de l’éthique d’un politicien, c’est habituellement pour commenter les conflits d’intérêts et le respect des autres normes.

Tout cela est juste et bon. Mais il y a une autre responsabilité éthique importante : être honnête avec les électeurs. Appelons cela le degré zéro.

Des élus réussissent parfois à atteindre un niveau supérieur : s’adresser à notre intelligence en osant une pensée complexe, qui montre que deux choses en apparence contradictoires peuvent être vraies en même temps.

Voilà ce qu’a fait Pierre Fitzgibbon jeudi. Juste avant de reculer et de prétendre que tout cela n’était qu’une blague…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon

Les automobilistes peuvent en témoigner : le prix à la pompe est difficile à comprendre. Il monte vite pour suivre le marché, mais redescend plus lentement quand le cours du brut diminue… Et la marge de profit des détaillants semble varier selon les régions. Même dans la Capitale-Nationale, où les clients ne manquent pourtant pas, le prix est inexplicablement plus élevé.

Ce phénomène a été documenté dans un rapport d’expert⁠1. En réaction, le ministre de l’Énergie a déposé un projet de loi sur l’essence. Il obligera les stations-service à informer la Régie de l’énergie quand elles modifient le prix. Et il abolira le prix plancher. Le but : renforcer la transparence et la concurrence.

La réception de cette loi entre dans la grande catégorie du « pourquoi pas ». Les analystes en énergie sont sceptiques quant à l’efficacité de la future loi. Mais on ne perd rien à essayer. D’autant plus que la modification législative sera simple et rapide.

En ce sens, le ministre donne raison aux automobilistes qui trouvent que l’essence coûte trop cher.

Mais en toute fin de point de presse jeudi, il a dit autre chose. Un collègue lui demandait s’il souhaitait, comme le chef conservateur fédéral Pierre Poilievre, réduire les taxes sur l’essence cet été afin de donner un répit aux vacanciers.

M. Fitzgibbon rangeait ses feuilles, déjà pressé d’être ailleurs. « Baisser les taxes sur les carburants ? Je pense qu’il faudrait les monter ! », a-t-il dit en sortant de la salle.

Le ministre a l’habitude de se moquer des questions qu’il n’aime pas. Il s’amuse à propager des frissons de controverse dans les médias.

Sa réponse était mi-sérieuse, mi-provocatrice. Oui, il pense que si les taxes devaient être modifiées, il faudrait que ce soit à la hausse. Mais non, son gouvernement n’a pas l’intention de le faire.

Il faudra un jour qu’un anthropologue avec des compétences transversales en psychanalyse s’intéresse à notre rapport à l’essence. Aucun autre bien n’a un tel statut. Le prix à la pompe est affiché en format géant à l’extérieur. La moindre hausse génère de la colère. Et pourtant, le nombre de véhicules augmente plus vite que celui de la population, et les modèles sont de plus en plus gros.

Si l’essence coûte trop cher, on envoie le message contraire à ceux qui la vendent. Et l’industrie pétrolière s’intéresse plus à nos comportements qu’à nos émotions.

Il est vrai que des citoyens aux revenus modestes souffrent des hausses de prix. Certains n’ont pas le choix de conduire pour se rendre au travail. Surtout les habitants des régions et les grandes familles. Mais s’il faut les aider, le rabais à la pompe est une mesure mal ciblée. Car les dépenses en essence sont corrélées aux revenus. Plus vous êtes riche, plus vous faites le plein souvent. Surtout si vous conduisez un VUS de luxe.

Ironiquement, c’est au nom de la défense des moins riches que Québec refuse un système de bonus-malus – à coût nul – qui hausserait le prix des modèles énergivores, pour réduire en contrepartie celui des modèles moins gloutons.

Les automobilistes payent moins en taxes que ce qu’ils coûtent à l’État (coûts directs avec l’entretien et la construction de routes, et coûts indirects avec la pollution et la congestion). Et ce déficit s’aggrave, car la taxe sur l’essence n’a pas été indexée, et parce que le fonds qui paye pour les travaux routiers est de plus en plus déficitaire.

Ne le prenez pas mal. Ce n’est pas une attaque personnelle, un jugement de valeur ou une position militante. C’est un simple exposé factuel.

Libre ensuite à chacun de proposer ses solutions. Mais ce qui est certain, c’est que quelqu’un doit payer. La question est de savoir si la facture doit être partagée par tous les contribuables ou si certains doivent en faire plus. Bref, s’il faut passer d’un modèle du pollueur-subventionné à celui du pollueur-payeur.

Voilà le portrait d’ensemble que M. Fitzgibbon devait avoir en tête quand il a formulé sa réponse.

C’est aussi à cela qu’il pensait quand il affirmait l’année dernière qu’à long terme, le Québec devrait diminuer de moitié son nombre de véhicules.

Cette semaine, deux autres vérités en apparence contradictoires ont dû venir en tête au ministre. Certains automobilistes payent en même temps trop cher (aux stations-service) et pas assez cher (à l’État). Et si on impose une taxe aux essenceries, elles la refileront aux consommateurs.

Mais même si le ministre utilisait le conditionnel en évoquant une hausse de taxe, elle aura finalement bel et bien lieu, sous une autre forme. Avec le marché du carbone du Québec, la taxe augmentera avec le temps, tout comme ailleurs au pays avec le système fédéral analogue.

Et à long terme, cette taxe à la pompe disparaîtra graduellement, car la vente de nouveaux modèles à essence sera interdite à partir de 2035.

M. Fitzgibbon a violé une règle non écrite, qui est de ne pas souhaiter une mesure contraire à ce que propose son parti. Mais pour ce qui est de la franchise et de la capacité à dire des vérités déplaisantes, sa performance éthique était nettement au-delà de la moyenne. Tout comme son plaisir à voir les réactions indignées.

1. Lisez l’étude sur le marché de la vente au détail de l’essence du professeur Robert Clark