La lettre de démission d’Émilise Lessard-Therrien est poétique et touchante. Mais pour comprendre son départ de Québec solidaire (QS), il faut aussi parler de problèmes plus terre à terre.

QS a une formule atypique de deux co-porte-paroles. Avec l’élection de Mme Lessard-Therrien, c’était encore plus compliqué. Elle n’était pas députée et elle habitait dans le Témiscamingue, à plus de sept heures de Montréal et neuf heures de Québec.

Il y avait également l’argent.

En principe, il aurait fallu que la nouvelle co-porte-parole dispose d’employés. L’autre co-porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, en a. C’était aussi le cas de Manon Massé.

Mais la commissaire à l’éthique a prévenu QS : n’étant pas députée, Mme Lessard-Therrien ne pouvait pas utiliser les ressources parlementaires.

Ces ressources devaient donc être payées par le parti. Or, la caisse était vide.

À l’élection de 2022, QS a perdu 15 000 votes. Son financement public a donc diminué. Peu avant l’arrivée de Mme Lessard-Therrien, trois employés avaient été licenciés et le personnel de la permanence négociait sa syndicalisation.

Pour accommoder la co-porte-parole, trois employés du parti ont été partiellement libérés afin de l’épauler. Malgré tout, la greffe n’a jamais pris.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Françoise David et Amir Khadir, en 2017

Françoise David et Amir Khadir formaient une équipe efficace, tout comme Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois. Ils se voyaient à l’Assemblée nationale et ils représentaient des circonscriptions voisines ou presque. Un point de presse prévu à la dernière minute ? Un trajet de 15 minutes et c’était réglé.

Avec Mme Lessard-Therrien, une jeune mère de deux enfants, les communications se faisaient souvent à distance. Même si un petit espace de travail lui avait été aménagé à l’Assemblée nationale, sa présence était à temps partiel. Difficile de créer une complicité par visioconférence, surtout quand les autres se trouvent dans la même salle et formaient déjà une équipe avant votre arrivée.

La structure de co-porte-parolat exige une relation presque symbiotique.

Les anciens tandems misaient sur la complémentarité. Mme David était très différente de M. Khadir, et la même chose est vraie pour Mme Lessard-Therrien et M. Nadeau-Dubois.

La native du Témiscamingue avait un talent indéniable. Son style était plus populaire et passionnel que celui de son collègue cartésien et pragmatique.

L’éloignement géographique de Mme Lessard-Therrien avait en outre un avantage : ancrer QS dans les régions, où son vote avait décliné en 2022 alors qu’il a progressé dans les villes.

Mais cette complémentarité est vite devenue une incompatibilité.

Dans sa lettre, elle déplore avoir été « grondée ou culpabilisée », et s’est sentie « invalidée » quand elle « nommait des besoins ». Le petit groupe de « professionnels » autour de M. Nadeau-Dubois exerce un « contrôle serré » du message.

Ce qui frappe toutefois, c’est la brièveté du mandat de Mme Lessard-Therrien. Peu après son début de mandat, elle partait en effet en congé de maladie. Elle aura été en poste moins de quatre mois.

Avant de briguer ce mandat, elle connaissait M. Nadeau-Dubois et son entourage. Elle pouvait anticiper les défis de son rôle inédit de co-porte-parole extraparlementaire en région. On peut penser qu’il faut au minimum une année pour se donner une chance de faire fonctionner la nouvelle équipe.

La directrice générale et la présidente du parti, Myriam Fortin et Roxane Milot, travaillaient sur un plan pour augmenter les ressources à la disposition de Mme Lessard-Therrien. Elle avait déjà reçu un budget spécial de 30 000 $ pour ses déplacements, amassé à la suite d’une collecte spéciale auprès de circonscriptions locales.

Un nouveau plan se préparait pour lui offrir plus de moyens. Pour cela, le parti envisageait notamment de faire un déficit. Mais Mme Lessard-Therrien n’en avait plus l’énergie. Peut-être qu’elle ne s’était jamais pleinement remise de l’éreintante course au porte-parolat féminin, gagnée avec à peine trois votes d’avance sur Ruba Ghazal. C’était devenu, dit-elle, un enjeu de santé.

Mais comme l’a dit avec beaucoup de tact sa collègue Christine Labrie : « J’aurais voulu qu’elle se donne une chance plus longue, parce qu’elle avait tout pour réussir. »

Impossible de parler de ce départ sans évoquer le cas de Catherine Dorion. Dans un récent livre où elle exposait sa vision de la politique, l’ex-députée de Taschereau réservait quelques critiques virulentes envers M. Nadeau-Dubois et son entourage.

Alors en pleine campagne pour le co-porte-parolat, Mme Lessard-Therrien avait relayé l’ouvrage. Les deux rêvaient que Québec solidaire soit moins calculé et plus revendicateur. Voire antisystème.

Mais concrètement, cela signifie quoi ? Par exemple, QS devrait-il revenir à des positions plus fermes comme la nationalisation de l’industrie minière ou la fin du monopole syndical ?

Faut-il larguer des idées plus controversées dans l’espoir d’obtenir des gains concrets ? Ce dilemme existe chez tous les partis idéalistes. Il est difficile de trouver l’équilibre. De comprendre quand promouvoir son projet de société, et quand écouter ce que les différentes catégories de l’électorat veulent.

Les compromis viennent avec une pression de résultat. Si on est condamné à l’opposition, mieux vaut parler avec ses tripes.

Les mots durs de Mme Lessard-Therrien ébranleront Gabriel Nadeau-Dubois et sa garde rapprochée. Le contrôle serré du message est aussi dénoncé à l’interne. Plusieurs militants le jugent trop propret, trop semblable aux « politiciens professionnels ».

Mais cette analyse a ses limites. Car peu importe son porte-parole, le parti de gauche n’a jamais obtenu plus de 20 % des votes. Il reste encore impopulaire dans les régions et chez les plus vieux.

Mme Lessard-Therrien a constaté ce défi lors de la dernière campagne électorale, quand elle a été défaite malgré son combat contre la multinationale Glencore. Une preuve que la tempête qui secoue ce parti va bien au-delà d’un conflit de personnalités.