Vous vous appelez Gilles Crevier, vous payez des taxes et impôts et vous vous attendez à ce que le médecin puisse vous voir quand vous avez un bobo. Vous faites ce que l’État suggère de faire pour voir un médecin, je laisse M. Crevier vous expliquer…

« Par l’entremise du 811, j’ai pris un rendez-vous pour consulter un médecin de mon GMF. Après avoir soumis le problème pour lequel je voulais consulter un médecin, j’ai souligné à l’infirmière que j’avais aussi un autre problème à soumettre au médecin. Croyez-le ou non, elle m’a dit que ce n’était pas possible et que je devais prendre un autre rendez-vous pour ce problème. J’ai eu beau lui dire que ça n’avait pas de bon sens que je repasse à travers tout le processus (appel, retour d’appel, attente en ligne) et que je n’aurais pas à me déplacer deux fois et recommencer avec un autre médecin les questions de base lors d’un rendez-vous… »

Bref, M. Crevier avait deux bobos, pas un. Il a plaidé sa cause à l’infirmière du 811 : ce serait lourd, complexe et absurde de devoir prendre un autre rendez-vous pour mon deuxième bobo, non ?

Réponse de l’infirmière, relayée par M. Crevier : « Pas possible. »

C’est un cas parmi mille qui illustre à quel point la fameuse « première ligne » est difficile d’accès, au Québec.

Ça illustre à quel point le système de santé, ce mammouth, est peu « agile », pour reprendre un terme cher aux consultants en management.

Et chaque jour, l’actualité nous fournit d’autres exemples de ratés, de lourdeurs, de difficultés d’accès. Tenez, récapitulons trois cas des derniers jours…

Un : des médecins de l’Outaouais ont récemment lancé un cri du cœur : on perd des effectifs au profit de l’Ontario, on manque de matériel de pointe et bientôt, des patients vont finir par mourir… Un coroner, justement, a déjà décrit la salle des urgences de l’Hôpital de Gatineau comme étant « une des pires » en Occident1.

Deux : 12 urgentologues des Hautes-Laurentides ont récemment dénoncé les conditions de soins dans les hôpitaux des Pays-d’en-Haut : on manque de bras, d’équipement et d’espace pour soigner les patients de façon sécuritaire2. Certains ont choisi de ne plus pratiquer aux urgences de Rivière-Rouge : « Nous considérons que nous ne pouvions plus y offrir des soins sécuritaires sans mettre en jeu nos permis de pratique. »

Trois : des associations de médecins et de technologistes médicaux ont dénoncé récemment Optilab, ces laboratoires qui analysent les échantillons des patients3. Tests sanguins, biopsies, etc. : pour établir le bon diagnostic, il faut parfois des tests de laboratoire… Mais les résultats sont souvent perdus ou oubliés4. Ce n’est pas la première fois que ce genre de ratés chez Optilab est dénoncé.

Je sors de l’actualité, je vous entraîne encore dans ma messagerie : un enfant a des problèmes d’otite, sa mère veut le faire soigner. Avez-vous déjà eu sur les cuisses un enfant qui hurle à cause d’otites ? C’est assez infernal. La mère fait une demande pour consulter un oto-rhino-laryngologiste au Centre de répartition des demandes de service (CRDS), la patente qui fait le triage des demandes pour voir un médecin spécialiste…

Et la réponse vient assez vite (surprise), la mère est dirigée rapidement vers un ORL (surprise). Le rendez-vous est pris, le bébé de 16 mois est examiné par le médecin qui croit qu’il faudra procéder à l’installation de tubes dans les oreilles de l’enfant, une opération de routine…

Mais (surprise), le médecin sort un lapin de son chapeau : « C’est ma dernière journée au public, annonce-t-il à la mère, venez me voir à ma clinique privée, je pourrai alors l’opérer… »

Coût de l’opération au privé : plus ou moins 3000 $.

Je vous parle ici de cas dans ma messagerie ou dans les manchettes, depuis quelques jours, la semaine où le ministre Christian Dubé a annoncé son duo de top guns pour gérer le système de santé.

Geneviève Biron a fait carrière dans les laboratoires du même nom, donc du privé. Frédéric Abergel a fait carrière dans le réseau public (PDG d’un CIUSSS et patron du CHUM).

Je ne sais pas si une « agence » va ramener le système de santé sur le sens du monde. Et j’avoue ne pas encore avoir bien compris en quoi une « agence » sera plus efficace qu’un « ministère ». Mais c’est un cas, je le crains, de « Rendu là… »

Rendu là, je veux dire dans cette Lada en forme de système de santé : pourquoi ne pas tenter le coup ?

Rendu là, bis : une PDG qui arrive du privé, qu’a-t-on à perdre ? Ce n’est pas comme si les gestionnaires du public avaient réussi à faire du mammouth une gazelle depuis 25 ans, bien au contraire.

Enfin, on souhaite bonne chance à Mme Biron.

Cette semaine, Léger a présenté un sondage dévastateur pour l’idée même des services publics au Québec : 75 % des répondants estiment ne pas en avoir pour leur argent, pour leurs taxes et impôts, quand il est question des services gouvernementaux reçus5.

Jean-Marc Léger, le sondeur : « Ça fait près de 40 ans que je fais ce métier-là, et ce sont les pires résultats que j’ai vus sur l’efficacité gouvernementale. »

Dans ce sondage, 17 % des répondants ont affirmé recevoir assez de services gouvernementaux pour leur argent.

C’est très élevé, 17 %, je trouve, au vu du désastre.

1. Lisez un article de Radio-Canada 2. Lisez un article du Devoir 3. Lisez un article de TVA Nouvelles 4. Écoutez une entrevue menée par Patrick Lagacé au 98,5 FM 5. Lisez un article du Journal de Québec