Quand le gouvernement du Québec a lancé le processus pour trouver le premier patron de Santé Québec, Geneviève Biron n’a pas soumis d’emblée sa candidature. Il a fallu qu’une firme de chasseurs de têtes lui téléphone pour qu’elle décide de tenter sa chance. Mais son intérêt pour le poste était déjà bien réel.

« Je me sentais dans les gradins, à regarder notre système de santé en me disant : “ça, je ferais ça différemment, ça, je ferais ça comme ça”. Là, on va me donner l’opportunité de m’impliquer », lance en entrevue la présidente et cheffe de la direction de la nouvelle agence, qui chapeautera le réseau de la santé québécois.

Le nom de l’ancienne dirigeante de Biron Groupe Santé, l’entreprise familiale qu’elle a dirigée de 2014 à 2021, a émergé dans la dernière ligne droite, après un appel de la firme Mandrake – qui avait compilé une liste de moins d’une dizaine de candidats potentiels.

Elle n’avait pas envoyé son CV à Québec, car, dit-elle, le fort volume d’aspirants PDG l’avait quelque peu dissuadée au départ. Le concours a été ouvert en janvier ; au début de février, au moins une cinquantaine de volontaires avaient déjà postulé. « Il y avait tellement de candidats… », souffle-t-elle.

Quand elle plonge dans le processus plus tard dans le mois, le comité de sélection piloté par le Secrétariat aux emplois supérieurs n’avait pas encore commencé les entrevues.

« Je suis finalement allée de l’avant. Je me suis dit : “je vais faire le processus, et si ce n’est que pour partager comment je vois les choses, bien ce sera déjà ça”, relate-t-elle. Je pense que mes idées étaient porteuses parce qu’ils ont choisi de poursuivre [avec ma candidature]. »

Un produit du privé

La nomination de Geneviève Biron a fait grincer des dents dans l’opposition à Québec et chez les syndicats, qui ont accusé le ministre de la Santé, Christian Dubé, de faire entrer « les loups du privé » dans la bergerie.

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Geneviève Biron en entrevue dans les locaux de La Presse

Dénicher un « top gun » issu du privé en santé n’était pourtant pas l’objectif initial du ministre, nous a confié une source impliquée dans les discussions du recrutement, qui n’est pas autorisée à en parler publiquement. On ne voulait pas créer un ressac dans le réseau public.

« Je ne suis pas là pour encourager le privé en santé. Ce n’est pas mon objectif. Mon objectif, c’est de vraiment faire un système public fort », assure la femme de 54 ans, qui refuse pour l’heure de s’aventurer sur la place que le privé devrait occuper dans le réseau public.

Président de la commission d’étude qui a passé au crible le réseau de la santé il y a près de 25 ans, Michel Clair a côtoyé Geneviève Biron lors de la création, en 2011, du Conseil des entreprises privées en santé et mieux-être (CEPSEM), dont Biron Groupe Santé est l’une des entreprises fondatrices. Selon le CEPSEM, « le Québec devrait mieux mettre à contribution le secteur du privé en santé et mieux-être pour sauver [le] système public, tout en assainissant les finances publiques ».

« Les valeurs de Geneviève m’ont toujours paru être celles d’une entrepreneure qui voulait, bien sûr, poursuivre le développement de la société fondée par son père, mais avec un esprit de service à la population », relate M. Clair, dont le rapport publié en 2001, qui recommandait la création d’une « agence nationale » centrée sur les opérations, a été une source d’inspiration pour Christian Dubé.

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Geneviève Biron sera épaulée par l’ex-PDG du CHUM Frédéric Abergel (au centre), qui a été nommé premier vice-président aux opérations et à la transformation de Santé Québec.

Aux yeux de Québec, Geneviève Biron a l’avantage de ne pas partir de zéro devant le mammouth de la santé. Elle a fait sa marque en créant Imagix, un réseau de cliniques en imagerie médicale en marge du réseau public. N’empêche, la nomination simultanée du premier vice-président aux opérations et à la transformation, l’ex-PDG du CHUM Frédéric Abergel, est une tentative de rééquilibrage.

Une entrevue au-delà des attentes

Lors de la préparation de ce portrait, La Presse a consulté une dizaine de proches et d’ex-collaborateurs de la femme de 54 ans. Les mêmes mots reviennent souvent. On la décrit comme une « force tranquille », déterminée, qui « joue selon les règles » et qui n’est jamais dans la confrontation.

Son approche a apparemment séduit les membres du comité de sélection, dont elle a surpassé les attentes avec un très haut niveau de préparation, nous a-t-on indiqué. Chaque candidat devait présenter un plan de priorités à mettre en œuvre et disposait d’environ une heure pour vendre sa salade.

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Geneviève Biron, nouvelle PDG de Santé Québec

J’ai essayé de réfléchir à un indicateur qui [démontre] qu’un système de santé fonctionne bien.

Geneviève Biron, nouvelle PDG de Santé Québec

Mme Biron choisit de sortir des sentiers battus et d’aborder une étude du magazine scientifique The Lancet, qui a développé un indicateur pour mesurer la confiance des populations dans leur capacité d’accéder à des soins de santé de qualité et à les financer en cas de maladie grave.

L’étude menée dans 15 pays (le Canada n’en fait pas partie) a été effectuée deux ans après le début de la pandémie et démontre que cette confiance est globalement faible. « Cette confiance-là, elle est importante, […] je la [noterais actuellement] de manière insatisfaisante ici », dit celle qui souhaite développer une telle mesure au Québec.

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Le ministre de la Santé, Christian Dubé, et la PDG de Santé Québec, Geneviève Biron, lors de l’évènement Première ligne en santé au Palais des congrès de Montréal, le 2 mai dernier

Dans l’entourage du ministre Dubé, on évoque une certaine « communion d’esprit » entre lui et elle. « C’était quand même rafraîchissant par rapport à la culture actuelle », affirme une source près de M. Dubé.

Sa vision entrepreneuriale – très orientée sur le service à la clientèle, l’innovation et l’implantation des meilleures pratiques de gestion – fait mouche.

Confirmée lundi dans ses fonctions, la PDG n’a pas étayé publiquement cette vision durant ses premiers jours à la tête de Santé Québec, usant davantage de formules convenues comme le souhait d’améliorer l’accès au système et la performance de ce dernier.

Geneviève Biron a d’ailleurs répété vouloir se « donner le temps d’arriver » avant de se prononcer sur les priorités de son mandat, d’une durée de trois ans, à sa demande, plutôt que cinq.

Une prudence qui n’étonne pas ceux qui la connaissent. « Geneviève, c’est quelqu’un qui est très analytique, qui va poser beaucoup de questions et qui est très à l’écoute », souligne Jean-François Rioux, ancien vice-président exécutif de Biron Groupe Santé.

« Elle aime avoir les deux mains dans la pâte », fait pour sa part valoir sa sœur aînée, Eve-Lyne, qui l’a précédée à la tête de l’entreprise familiale. Pas surprenant alors qu’elle veuille d’abord « écouter » les gens du terrain avant de s’avancer, nous dit-on. Elle devra aussi apprendre à être dans l’œil du public, ce qui est nouveau pour elle, rapporte sa sœur.

Carte blanche à Dubé

François Legault avait donné carte blanche à son ministre de la Santé pour nommer le premier patron de la nouvelle société d’État. « Quand Christian Dubé m’a parlé de Geneviève Biron, j’ai dit : Wow ! Christian, tu as fait toute une prise », a-t-il commenté jeudi.

Mme Biron et le premier ministre ne se sont pas encore rencontrés, mais la gestionnaire ne s’en cache pas : elle adhère aux orientations en santé du gouvernement Legault. Elle et son mari, l’avocat Sylvain Poirier, conseiller stratégique senior pour le réseau public de la santé, ont donné une fois 100 $ chacun à la CAQ, en 2019.

« Probablement qu’à ce moment-là, le programme [que le parti] mettait de l’avant, et là, ça date, me plaisait, relate-t-elle. L’orientation, actuellement, me convient, sinon je n’aurais pas pris le poste. »

De sa première rencontre avec Christian Dubé, elle retient qu’il lui a assuré qu’il « veut terminer ce qu’il a commencé dans les deux prochaines années » avec son Plan santé.

« C’était important pour moi, je n’aurais pas voulu qu’il y ait un changement de direction le lendemain matin », illustre-t-elle.

Une lettre ouverte de 2005

En 2005, Mme Biron avait cosigné une lettre ouverte dans La Presse en appui au manifeste « Pour un Québec lucide ». Signée par douze personnalités, dont Lucien Bouchard, l’initiative dénonçait le « statu quo » et s’inquiétait du poids de la dette publique. Le souci d’une saine gestion des finances publiques préoccupe toujours Mme Biron. Selon elle, les Québécois n’en ont pas pour leur argent avec le système de santé actuel. Dans leur lettre de l’époque intitulée « De jeunes parents lucides », les cosignataires se disaient « inquiets pour l’avenir de leur enfant » en raison « du fardeau qu’ils porteront » à cause de « l’endettement public combiné au vieillissement de la population ». « Notre système de santé, le financement des universités et le refus systématique des Partenariats Publics-Privés (PPP) sont trois exemples parmi de nombreux autres qui illustrent très bien l’immobilisme actuel », écrivaient-ils. En entrevue, Mme Biron admet que cela remonte à loin et qu’il faudrait qu’elle se « réactualise » sur le sujet.

Geneviève Biron en quelques dates

Depuis 2021

Présidente et fondatrice, Propulia Capital

Mars 2021 à aujourd’hui

Membre du conseil d’administration d’Hydro-Québec

2014–2021

Présidente et cheffe de la direction, Biron Groupe Santé

2005–2014

Présidente et cheffe de la direction, Imagix Imagerie médicale inc.

1998–2005

Vice-présidente aux opérations, Biron Groupe Santé

1990–1998

Directrice des ressources humaines, Biron Groupe Santé

Un mur de Chine

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Geneviève Biron a dirigé l’entreprise familiale Biron Groupe Santé de 2014 à 2021.

Pour accomplir sa nouvelle mission, Geneviève Biron a promis d’ériger « un mur de Chine » entre elle et l’entreprise familiale, qu’elle a quittée en 2021, mais qui a été au cœur de sa vie depuis l’enfance.

« Je me suis engagée à vraiment créer une distance », rappelle-t-elle lorsqu’on l’interroge sur les moments marquants de son parcours professionnel et même ses souvenirs de jeunesse.

Ce ne sera pas une mince tâche. Les sœurs Biron se sont succédé à la tête de l’entreprise depuis 1995. Après Eve-Lyne, puis Geneviève, c’est aujourd’hui la cadette, Caroline, qui tient les rênes de Biron Groupe Santé.

En 1952, leur père, Denis Biron, inaugure son tout premier laboratoire d’analyse à Montréal. Autour de la table de cuisine, chez les Biron, ça jasait affaires. « Le soir, au souper, on parlait du bureau », se remémore Geneviève Biron.

Son père apporte régulièrement des prélèvements de ses patients à la maison qu’il entrepose directement dans le frigo familial. Dans ses temps libres, il initie ses filles à la lecture au microscope et à la coloration des échantillons de laboratoire.

Denis Biron tente de transmettre à ses filles son enthousiasme pour la science. Son souhait est de leur léguer l’entreprise. « C’est une chance que lui n’avait pas eue », laisse savoir Geneviève Biron.

Mais à ses yeux, c’est à sa mère qu’on doit le véritable succès de l’entreprise familiale.

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Geneviève Biron en entrevue dans les locaux de La Presse

Ma mère, elle organisait les choses pour que ça fonctionne bien. C’est vraiment elle qui a fait que ça marche.

Geneviève Biron, nouvelle PDG de Santé Québec

Le patriarche s’est éteint à 89 ans, en 2019.

Un « écran déontologique »

Geneviève Biron ne détient plus aucun intérêt dans l’entreprise. Après son départ, elle a fondé une plateforme d’investissement, Propulia Capital, qui « participe à l’essor d’entreprises » en démarrage, notamment en santé et sciences de la vie. Lors de sa nomination, il a été précisé qu’elle demeure propriétaire, mais qu’elle « se dégagera des décisions dans les investissements qui pourraient toucher le secteur de la santé au Québec ».

Quand elle a pris les commandes de Santé Québec, il a été convenu que, pour « éliminer tout potentiel conflit d’intérêts », un « écran déontologique, communément appelé un mur de Chine » sera mis en place « entre elle et les membres de sa famille ». Cela prévoit « qu’aucun échange ne soit possible relativement à tout dossier lié au domaine de la santé dans lequel sa famille ou son mari pourrait être impliqué sur le plan professionnel et qui pourrait avoir un lien avec Santé Québec ».

Biron Groupe Santé, spécialisé dans l’imagerie médicale, les laboratoires et les soins du sommeil, est inscrit au registre des lobbyistes, car il fait des « représentations auprès des autorités gouvernementales afin d’obtenir des contrats » auprès du ministère de la Santé.

Le mari de Geneviève Biron, Sylvain Poirier, est aussi un avocat conseiller pour les établissements publics et les entreprises privées de soins de santé.

Une famille de « performants »

Les Biron étaient « une famille de performants », raconte Caroline Biron. « Nos parents l’ont été, et nous, on l’est devenues », ajoute-t-elle.

Adolescentes, les trois sœurs s’impliquaient déjà au sein de l’entreprise : messagère sur la route, réceptionniste, tâches administratives. « On faisait la vaisselle au laboratoire », illustre Geneviève Biron. C’est cependant sur les terrains de golf – une passion partagée par les Biron – que leur père leur a enseigné l’importance de la rigueur, souligne-t-elle.

« On a eu la chance d’être plongées là-dedans très jeunes. On a touché à plein, plein de choses », relate l’aînée, Eve-Lyne. Leurs parents « tenaient vraiment à ce que ça soit une entreprise familiale et que tout le monde soit impliqué », dit-elle.

Pas dans la confrontation

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Geneviève Biron est la toute première patronne de Santé Québec, qui gérera tout le volet opérationnel du réseau de la santé et des services sociaux.

Pour reprendre l’expression de Christian Dubé, Geneviève Biron n’est pas du genre à « shaker les colonnes du temple » pour arriver à ses fins. Son style est ailleurs, selon des proches et ex-collaborateurs. Elle tend à se tenir loin de la confrontation et des conflits.

« J’aime le dialogue, trouver des voies de passage […]. La confrontation, je ne vais pas la nourrir. Je vais essayer de la défaire », explique la principale intéressée.

Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a vu à l’œuvre la nature conciliante de Geneviève Biron.

En 2019, la Chambre était en désaccord avec le gouvernement sur les seuils d’immigration. Alors membre du conseil d’administration, elle voulait trouver des moyens pour réduire les tensions potentielles avec le gouvernement.

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Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc

[Geneviève Biron] posait des questions, s’impliquait dans les discussions. Elle voulait qu’à la fin, la Chambre ne soit pas en porte-à-faux avec le gouvernement.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

La femme d’affaires est toujours centrée sur le concret et les résultats, dit M. Leblanc. Un contraste avec les personnes « toujours dans les discours » qu’il côtoie dans le milieu.

Une ancienne collaboratrice, qui n’est pas autorisée à parler publiquement, admet avoir été surprise lors de l’annonce de sa nomination. « Elle n’aime pas ça, la chaleur. Elle n’aime pas le conflit. Quand il y a des débats houleux, elle ne s’en approche pas. »

Geneviève Biron sait néanmoins prendre des décisions difficiles, ajoute-t-elle. « Mais je ne sais pas si elle réalise que c’est presque aussi prenant qu’un travail de ministre de la Santé », ajoute cette source.

« Une grande détermination »

Fréquentant les mêmes cercles, Geneviève Biron et Isabelle Hudon, présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, se sont liées d’amitié au fil du temps.

En 2015, Mme Hudon recrute Mme Biron pour faire partie de la seconde cohorte de l’effet A, une initiative visant à « propulser l’ambition féminine ». La première édition avait réuni des leaders comme Sophie Brochu (alors patronne d’Énergir), Kim Thomassin (Caisse de dépôt et placement du Québec) et Isabelle Marcoux (Transcontinental).

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La présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, Isabelle Hudon

C’est une force tranquille. Elle est extrêmement solide.

Isabelle Hudon, présidente et cheffe de la direction de la Banque de développement du Canada, à propos de Geneviève Biron

Selon Mme Hudon, son amie incarne un style de leadership « qui inspire les autres à nous suivre ».

« J’aimais cette force-là qu’elle dégageait, mais elle ne l’impose jamais, sa force, Geneviève. Elle ne joue pas d’autorité », poursuit l’ancienne ambassadrice du Canada à Paris.

Sa forte détermination est revenue à plus d’une reprise lors des entrevues réalisées pour ce reportage.

« La construction d’Imagix, en soi, c’est la démonstration d’une grande détermination parce que c’était un chemin avec beaucoup d’obstacles. Elle a réussi, et elle a réussi à s’entendre avec les radiologistes de son réseau, autrement, ça n’aurait pas marché », résume pour sa part Michel Clair.

On dit d’elle qu’elle ne change pas facilement d’idée une fois convaincue du bon choix à faire.

Geneviève Biron a aussi le talent de « bien s’entourer », dit l’ancien vice-président exécutif de Biron Groupe Santé, Jean-François Rioux. « Elle aime entendre les différentes perspectives. C’est définitivement un style de gestion participative. »

En savoir plus
  • 652 000 $
    Le salaire annuel de Geneviève Biron pour les deux premières années de son mandat, en raison d’une prime de 15 %. Ensuite, son salaire sera de 567 000 $.
    SOURCE : SECRÉTARIAT aux EMPLOIS SUPÉRIEURS