L’arrivée de Geneviève Biron, qui provient du privé en santé, fait déjà grincer des dents dans l’opposition et chez les syndicats.

(Québec) Christian Dubé jette son dévolu sur une top gun du privé en santé pour diriger Santé Québec. L’ex-patronne de Biron Groupe Santé, Geneviève Biron, prend les rênes de la société d’État. Le numéro 2 est un candidat de « l’interne », le PDG du CHUM, Frédéric Abergel.

Le choix du ministre s’est arrêté sur une top gun, qui provient non seulement du secteur privé, mais du privé en santé. C’est une décision qui fait déjà grincer des dents dans l’opposition et chez les syndicats, qui disent craindre de voir la place du privé en santé augmenter.

« J’ai souvent mentionné que ce n’était pas le travail d’une seule personne, mais bien d’une équipe », a fait valoir lundi le ministre de la Santé, lors d’une conférence de presse dans les bureaux du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui abriteront le siège social de Santé Québec, à Québec.

« Mme Biron et M. Abergel, c’est le duo complémentaire de gestionnaires dont les Québécois ont besoin », a-t-il plaidé, soulignant que l’un vient de l’externe et l’autre, de l’interne. Le conseil des ministres s’est réuni de façon extraordinaire en matinée pour donner le feu vert aux deux nominations.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Geneviève Biron, le ministre de la Santé, Christian Dubé, et Frédéric Abergel

Plus d’une soixantaine d’aspirants ont envoyé leur candidature à Québec.

Geneviève Biron a occupé différents postes au sein de Biron Groupe Santé, une entreprise fondée par son père, Denis Biron. Elle en a pris la tête en 2014, et ce, jusqu’à son départ, en 2021. Mme Biron a notamment mis en branle le « plus important réseau de cliniques d’imagerie médicale » au Québec, Imagix.

Depuis, elle a fondé Propulia Capital, une plateforme d’investissement en capital qui « participe à l’essor d’entreprises » en démarrage, notamment en santé et en science de la vie.

La nouvelle patronne de Santé Québec dit entrer en fonction avec « un regard différent » et vouloir que le réseau public de la santé devienne « encore plus beau » et « plus performant ».

Moi, je ne suis pas gênée d’arriver du privé. J’ai 30 ans d’expérience dans des entreprises où le service à la clientèle et l’excellence opérationnelle étaient au cœur des motivations.

Geneviève Biron, présidente et cheffe de la direction de Santé Québec

Le gouvernement Legault n’a pas lésiné sur les moyens pour attirer un top gun du secteur privé à la tête de la société d’État. Au début de l’année, Québec a dévoilé que le grand patron toucherait un salaire de base de 567 000 $ par année, en plus d’une prime de 15 % pour les deux premières années de son mandat, ce qui équivaut à près de 652 000 $ annuellement.

En comparaison, le salaire annuel du PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, est de 639 000 $.

Un mur de Chine

Geneviève Biron ne détient plus aucun intérêt dans Biron Groupe Santé, qui est maintenant dirigé par sa sœur, Caroline. Pour « éliminer tout potentiel conflit d’intérêts », un « écran déontologique, communément appelé mur de Chine » sera mis en place « entre elle et les membres de sa famille », a-t-on indiqué.

Biron Groupe Santé, qui se spécialise dans l’imagerie médicale, les laboratoires en santé et les soins du sommeil, est inscrit au registre des lobbyistes, car il fait des « représentations auprès des autorités gouvernementales afin d’obtenir des contrats en prestation de services de laboratoire et de santé ». Le MSSS a confirmé lundi n’avoir aucun contrat en cours avec l’entreprise.

Son mari, l’avocat Sylvain Poirier, est également conseiller stratégique senior pour le réseau public. Il a été nommé avocat de l’année en droit de la santé par la publication Best Lawyers en 2017, alors que sa clientèle était composée à la fois d’établissements publics et privés.

« Dans le processus de nomination, j’ai été très transparente […] On a convenu de mettre en place cette structure-là […] qui va mettre la distance qu’il faut », a-t-elle assuré.

Mme Biron n’a pas voulu s’aventurer à élaborer les grandes priorités de son mandat. D’ailleurs, il sera d’une durée de trois ans et non cinq ans comme prévu initialement. « C’est ce qui a été convenu avec Mme Biron », a seulement précisé le cabinet du ministre. Elle dit vouloir mettre l’accent sur l’accès aux soins.

« Écoutez, j’arrive, là. Je vais commencer par rencontrer les gens, bâtir l’équipe. C’est un peu toujours la même chose. Il faut se donner un petit moment pour regarder ce qui se passe et identifier vraiment les enjeux prioritaires et mettre en place le plan d’action », a-t-elle expliqué sans fournir d’échéancier.

Un premier entretien téléphonique avec les PDG des établissements était prévu lundi après-midi. Mme Biron veut également rencontrer les employés du MSSS alors qu’il y a actuellement encore beaucoup d’incertitude autour du transfert de personnel du Ministère vers Santé Québec.

Un défi de taille

Avec plus de 330 000 employés, Santé Québec deviendra l’un des plus grands employeurs au pays. Il est acquis que le futur grand patron devra opérer un changement de culture au sein du réseau de la santé et des services sociaux.

« C’est un défi de taille, sans doute. Mais j’ai l’ambition de pouvoir offrir aux Québécois le système de santé qui leur est dû. Ça ne se fera certainement pas sans difficulté, mais je serai appuyée d’une équipe pour appuyer cette mission », a exprimé Mme Biron.

Au cours de ma carrière, j’ai souvent été celle à qui on confiait les situations les plus difficiles pour trouver des solutions et mobiliser les équipes.

Geneviève Biron, présidente et cheffe de la direction de Santé Québec

Mme Biron sera épaulée par l’actuel PDG du CHUM, Frédéric Abergel, qui devient vice-président exécutif aux opérations et à la transformation. La création de ce poste n’était pas prévue dans la réforme de Christian Dubé adoptée sous bâillon en décembre. Il s’agit d’une recommandation du comité de transition.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Frédéric Abergel devient vice-président exécutif aux opérations et à la transformation

« On [nous] a dit que c’était important d’avoir un coordonnateur de nos 35 PDG, qu’on a appelé donc notre chef des opérations. Ce n’était pas comme tel dans le projet de loi, mais c’est ressorti clairement », a précisé M. Dubé.

« Tout comme Geneviève, mon premier objectif est d’améliorer l’accès des Québécois. Ça doit passer par trois ingrédients : une meilleure coordination dans le système de santé, les meilleures pratiques mondiales et l’innovation », a exprimé M. Abergel.

Ce dernier touchera une rémunération de 453 000 $ à laquelle s’ajoute également une bonification de 15 % pour les deux premières années.

Les 13 postes à pourvoir au sein du conseil d’administration de Santé Québec ont aussi été convoités alors que 800 personnes ont postulé pour y siéger. Des annonces sont prévues au cours des prochaines semaines.

Avec Tommy Chouinard, La Presse

Geneviève Biron

  • Depuis 2021 : présidente et fondatrice, Propulia Capital
  • Mars 2021 à aujourd’hui : membre du conseil d’administration d’Hydro-Québec
  • 2014–2021 : présidente et cheffe de la direction, Biron Groupe Santé
  • 2005–2014 : présidente et cheffe de la direction, Imagix Imagerie médicale inc.
  • 1998–2005 : vice-présidente aux opérations, Biron Groupe Santé
  • 1990–1998 : directrice des ressources humaines, Biron Groupe Santé

Frédéric Abergel

  • Depuis 2023 : PDG du CHUM
  • 2018–2023 : PDG du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal
  • 2015–2018 : PDG adjoint du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal
  • 2008–2015 : directeur à l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal

Une nomination qui provoque plusieurs réactions

Pour nous, l’enjeu par rapport à la création de Santé Québec demeure bien plus important que la personne qui en occupera la présidence. Après des mois d’échange avec le ministre Dubé, il n’a toujours pas réussi à faire la démonstration qu’une nouvelle agence, qui centralisera davantage les pouvoirs, aura un effet positif sur la qualité ou la disponibilité des soins aux patients.

André Fortin, porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de santé

Ce parti pris en faveur du privé en santé est consternant, mais la nomination de Geneviève Biron a le mérite d’être claire : le privé est désormais aux commandes de notre réseau de santé. Le proverbial accueil veut qu’on laisse la chance au coureur, mais ce virage vers le privé me fait craindre le pire.

Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière de santé

Sans remettre en cause les qualités et les compétences de Mme Biron, nous sommes préoccupés par la nomination d’une gestionnaire issue du secteur privé en santé pour consolider et relancer le réseau public de santé au Québec, tant sur les plans symbolique qu’opérationnel.

Joël Arseneau, porte-parole du Parti québécois en matière de santé

Dans un article paru en 2020, Geneviève Biron estimait notamment que le rôle du privé était complémentaire au réseau public. Maintenant qu’elle est à la tête de Santé Québec, ce ne sont plus des clients que Mme Biron devra servir, mais bien des citoyennes et des citoyens qui paient son salaire.

Caroline Senneville, présidente de la CSN

Mme Biron va avoir besoin de l’expertise pointue de nos membres pour mener à bien cette réforme titanesque. Or, la très grande majorité d’entre eux ne veut pas être transférée si les conditions de travail ne sont pas maintenues. C’est un enjeu majeur et urgent et nous lui offrons notre collaboration afin de résoudre ce problème.

Guillaume Bouvrette, président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)

L’avenir de notre réseau public va être confié à Geneviève Biron, une personne venant non seulement de l’entreprise privée, mais ayant également fait directement concurrence à notre réseau public, particulièrement dans le secteur des laboratoires et des services d’imagerie médicale. […] Elle a de grands défis devant elle, à commencer par démontrer sa compréhension et son adhésion à la culture du réseau public.

Robert Comeau, président de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)

Le ministre Dubé a pris le temps de choisir son équipe et de confier à une femme ce poste clé qui, nous le souhaitons, permettra de revaloriser le travail du personnel du secteur de la santé. La FTQ s’engage à travailler en pleine coopération avec son équipe pour atteindre ces objectifs communs.

La FTQ dans un communiqué

Nous espérons que Mme Geneviève Biron […] comprend le poids immense qui repose sur ses épaules, car ce n’est pas une énième réforme de la structure du réseau qui va le rendre plus efficace : le ministre peut secouer les colonnes du temple autant qu’il le veut, si les professionnelles en soins quittent pour le privé à cause des horribles conditions de travail, ça ne donnera rien.

Julie Bouchard, présidente de la FIQ

Le leadership de madame Biron sera un atout et un pilier pour la mise en place de Santé Québec. En effet, son ouverture à l’innovation, sa curiosité pour les approches du futur telle la médecine de précision, mais surtout son style de gestion axée sur la concertation et l’obtention de résultats permettront de transformer le système de la santé et des services sociaux.

Le Conseil des entreprises privées en santé et mieux-être

La [Fédération des médecins omnipraticiens du Québec] souhaite que l’accès aux services, autant en première ligne de soins qu’en établissement, soit au cœur des priorités de leur mandat à venir.

La FMOQ sur X

Le Collège salue la nomination de la présidente et cheffe de la direction et du vice-président exécutif aux opérations de la nouvelle agence Santé Québec. La tâche est grande, mais les appuis seront nombreux pour amorcer les changements attendus pour élargir l’accès aux soins.

Le Collège des médecins sur X