C’est l’histoire d’une mère qui ne comprend pas trop pourquoi, dans la classe de sa fille, la tablette est utilisée comme « récompense ». En fait, elle ne comprend pas pourquoi la tablette est même présente.

La fille d’Élodie Berthelier est en… maternelle.

Je ne vais pas nommer l’école en question. Je ne vais pas nommer le prof. Je vais leur éviter l’embarras. De toute façon, le problème que je vais décrire transcende ce prof et cette école. Ça démontre à quel point la présence du numérique en classe, dans cette province, relève du Grand N’importe quoi.

Je cite le courriel qu’Élodie Berthelier m’a envoyé : « Ils ont associé tablette et récompense. Chaque jour, un élève-vedette peut jouer à la tablette matin et après-midi. Il a le droit de choisir des amis pour le regarder. La tablette est donc présente tous les jours, matin et après-midi. Les jeux auxquels les enfants jouent sont soi-disant éducatifs (courir sur des rails et éviter de se faire attraper par la police n’a rien d’éducatif, selon moi !). »

Mme Berthelier étudie en neuropsychologie. Elle est au fait des études qui montrent qu’il faut limiter au maximum le temps d’écran chez les enfants, à plus forte raison quand ils sont d’âge préscolaire.

Elle a donc décidé de demander des explications à l’école, l’automne dernier. La directrice lui a cité le Plan d’engagement vers la réussite que chaque centre de services scolaire doit produire. Je suis allé le lire : si on y trouve une quelconque justification de l’utilisation de la tablette comme récompense à la maternelle… je ne sais pas lire.

Le prof a d’abord dirigé Mme Berthelier vers sa directrice. La mère a insisté auprès du prof, en lui disant qu’au-delà de son opinion à elle, de celle du prof, les faits sont les faits et, « si vous le souhaitez, je peux vous envoyer de nombreuses études sur les effets négatifs des écrans… »

« Les parents ont perdu le contrôle des écrans sur les enfants, a-t-elle ajouté. Ils les visionnent suffisamment chez eux. Le cerveau des jeunes enfants a besoin de vraies expériences et du monde réel pour se développer. En intégrant la tablette au préscolaire et en l’associant à l’élève-vedette, l’école envoie un message contradictoire. J’en connais et j’en vois assez sur le sujet pour malheureusement être déçue et triste que dès l’âge de 5 ans à l’école, l’écran soit présent. Durant deux périodes de jeu libre, chaque jour un enfant perd une opportunité de connexion avec les enfants de sa classe, mais aussi de bouger davantage. »

J’ai lu ça et je me suis dit : tout est là.

Tout ce que les spécialistes disent et craignent à propos des tablettes – préoccupations que je relaie dans cette chronique depuis quelques semaines – est résumé de façon splendide par Mme Berthelier.

Le besoin qu’ont les enfants de jouer dans le réel, face à face, est essentiel à leur développement. Ce temps de jeu est cannibalisé depuis quelques années par le temps d’écran, ce qui serait néfaste à leur développement cérébral et social. Est-il utile que l’école ajoute au temps passé devant les écrans ?

Le DJean-François Chicoine, pédiatre depuis 40 ans, a livré dans cette chronique un vibrant plaidoyer pour le jeu dans le réel, loin des écrans. Il prescrit même des débranchements à certains enfants !

Lisez la chronique « Nos vies de fou »

La Société canadienne de pédiatrie a pris position pour une réduction importante du temps d’écran chez les enfants et contre l’utilisation « passive » d’une tablette : un adulte devrait être présent… Tout le contraire de ce qui se passe dans cette classe de maternelle.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a publié récemment une synthèse (un état des lieux des connaissances scientifiques) qui montre que le numérique n’apporte rien de vraiment positif (tout le contraire) pour l’apprentissage chez les moins de 25 ans, en contexte éducatif.

Bref, le fait que le numérique devrait être utilisé avec parcimonie chez les enfants, que plus ils sont jeunes, moins ils devraient être exposés à des écrans, tout cela est connu si on se donne la peine de chercher.

Je reviens aux griefs d’Élodie Berthelier. Le prof a fini par envoyer une réponse à son conjoint, où il justifie l’utilisation de la tablette dans sa classe de maternelle. Il a cité 12 raisons.

Les voici, ça vaut la peine de les citer au long :

1. Que l’enfant soit capable de reconnaître des nombres au tableau afin d’accéder au code de la tablette pour avoir accès aux jeux.

2. Que l’enfant soit capable de tenir convenablement la tablette lors des déplacements afin d’éviter un bris de la vitre.

3. Que l’enfant soit capable de monter et de descendre le volume.

4. Que l’élève soit capable de faire des choix de jeux selon ses intérêts ou ce qu’il veut explorer.

5. Que l’enfant soit capable de se choisir un ami pour l’accompagner.

6. Favoriser l’entraide et la socialisation.

7. Que l’enfant soit capable de fermer la tablette après son utilisation afin de ne pas vider la batterie.

8. Augmenter l’estime de soi lorsque l’élève réussit à passer au niveau suivant.

9. Que l’enfant utilise sa créativité dans certains jeux proposés.

10. Que l’enfant apprenne à reconnaître et à tracer avec son doigt les lettres de l’alphabet et les chiffres.

11. Que l’enfant soit capable d’écouter des histoires interactives et de réaliser des défis à la hauteur de ses capacités.

12. Que l’enfant soit capable de s’arrêter lorsque le temps de jeu est terminé alors que sa partie n’est pas terminée.

Tenir convenablement la tablette sans l’échapper ? Augmenter l’estime de soi par la réussite d’un niveau ? Se souvenir d’éteindre la tablette ? Être capable de se choisir un ami ?

Ayoye.

J’avoue avoir été soufflé par la vacuité de ces explications. J’ai donc envoyé cette réponse au DChicoine, un expert, pour voir si j’étais dans le champ. Sa réaction : « Il décrit des opérations techniques insignifiantes. Le bout sur le volume comme acquis pédagogique serait un poème s’il ne signifiait pas si bien le four éducationnel dans lequel nous nous trouvons. »