(Lévis) Bernard Drainville rejette l’étiquette d’homme qui a le sens du théâtre. Il est tout au plus un « intense », réplique celui qui a abandonné en 2022 un contrat d’au moins 1,3 million de dollars sur trois ans avec le 98,5FM pour revenir en politique. À ceux dans le réseau scolaire qui en ont assez de son style à l’emporte-pièce et qui prient pour qu’on le change de ministère, il répond faire le vœu de « rester ministre de l’Éducation » jusqu’en 2026.

Un peu plus tôt ce mois-ci, La Presse a suivi pendant une semaine le ministre de l’Éducation dans tous ses déplacements, de son bureau de circonscription à Lévis, où il a la plus belle vue sur le Château Frontenac, à des visites d’écoles en Beauce et en Chaudière-Appalaches, des réunions à son cabinet du 16e étage du complexe G à Québec, jusqu’au bureau de François Legault, pour qui il déclare sa loyauté et écarte l’idée d’un jour lui succéder à titre de chef de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Sur ce point, le contexte politique actuel est propice aux bruits de couloir. Les caquistes accumulent les mauvais sondages et le premier ministre vient de perdre le whip en chef de son caucus, Eric Lefebvre, qui sera candidat pour les conservateurs fédéraux de Pierre Poilievre. Dans les coulisses, des noms circulent sur l’identité de celles ou de ceux qui s’imaginent prendre le siège du fondateur de la CAQ.

« Je me suis déjà vu premier ministre […], mais honnêtement, j’ai des aspirations plus réalistes maintenant. J’ai passé mon tour », affirme M. Drainville à son bureau de Lévis, le dos appuyé sur un coussin ergonomique qui le suit partout en raison des maux de dos qu’il traîne avec ses nombreuses heures passées à travailler en voiture.

Dans un peu plus de deux ans, au prochain scrutin général, le ministre caquiste aura 63 ans. Il confirme déjà qu’il veut renouveler son mandat de député, mais dit surtout vouloir servir avec François Legault comme chef. Le premier ministre a plusieurs fois affirmé qu’il serait de la ligne de départ.

Je veux que M. Legault se représente. Je veux gagner avec lui. Et je trouve qu’après 2026, on est rendus loin. J’ai hâte d’être grand-papa. J’ai aussi une femme que j’aime et à un moment donné, on va peut-être vouloir prendre un peu de temps pour nous. En d’autres mots, je n’ai pas cette aspiration.

Bernard Drainville

Des mois éprouvants

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Bernard Drainville pose des questions à des élèves lors de la visite d’une école primaire à Saint-Georges, en Beauce.

Bernard Drainville est à la barre de l’Éducation depuis octobre 2022. La première moitié de son mandat a été difficile. Elle a notamment été marquée par l’importante pénurie d’enseignants qualifiés et de professionnels dans les écoles, puis par l’adoption d’un projet de loi controversé sur la gouvernance scolaire, avec lequel il s’est donné les pouvoirs de nommer et de limoger les directeurs généraux des centres de services scolaires. Le ministre a également traversé une grève historique en éducation qui s’est soldée par le renouvellement in extremis des conventions collectives grâce aux votes serrés des syndiqués, témoignant de leur profonde insatisfaction envers l’état du réseau public.

En parallèle de tous ces enjeux, la personnalité colorée de Bernard Drainville a aussi plus d’une fois fait les manchettes en raison de ses nombreuses sorties émotives pour la défense du troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis que son gouvernement a promis, abandonné, puis remis sur la carte. Sur l’internet, des photos de ses grimaces ont été transformées en mèmes humoristiques, où certains l’ont rebaptisé « Burnout » Drainville.

C’est dans ce contexte que La Presse a proposé ce printemps au ministre de l’accompagner une semaine dans ses fonctions, pour observer de près – et sans filtre – sa façon de travailler. Nous avons demandé d’avoir le plus grand accès possible sans compromettre, en contrepartie, la confidentialité de certaines discussions. Bernard Drainville a accepté notre offre, expliquant qu’il souhaitait ouvrir une fenêtre sur le quotidien d’un ministre, lui qui doit maintenant livrer les résultats promis par ses réformes.

« J’aime beaucoup mon travail et je suis de très bonne humeur », assure-t-il. Ses collègues affirment d’ailleurs que l’énergie n’a jamais flanché au cours des derniers mois. Le matin, vers 5 h 30, il envoie fréquemment des messages vocaux par texto à ses collaborateurs (parfois longs de plus de 20 minutes), dans lesquels il déballe ses idées fraîches sur les enjeux de l’heure pendant qu’il se livre à sa séance quotidienne de tapis roulant.

Mais dans les coulisses, ceux que l’on nomme les « partenaires » du ministère de l’Éducation s’impatientent face à leur ministre, qu’ils accusent de faire à sa tête sans les consulter.