Avec sa stratégie en infrastructures, le ministre Jonatan Julien souhaite soulever la « chape de plomb » qui alourdit les relations entre le gouvernement et les entreprises du secteur de la construction, qui tournaient de plus en plus le dos aux contrats gouvernementaux malgré une hausse majeure des investissements publics. À Québec, aucun consortium n’a voulu réaliser le projet de tramway, par exemple. Son objectif : construire plus vite et plus rapidement. Le statu quo était intenable, estiment les observateurs.

Meilleure planification

Québec veut mieux planifier ses travaux dans chacune des régions, pour éviter la surchauffe. « Des approches innovantes seront utilisées, comme la gestion par programmes et par portefeuilles de projets, le virage numérique du secteur de la construction ainsi que le recours à davantage de préfabrication », précise le document déposé par le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien.

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« Si Bernard Drainville décide de construire deux écoles secondaires dans une région, Christian [Dubé] arrive avec un centre hospitalier et Geneviève [Guilbault] avec un projet d’infrastructure routier important, il faut être en mesure d’avoir la capacité [de tout réaliser] », a-t-il expliqué en conférence de presse, faisant référence à ses collègues de l’Éducation, de la Santé et des Transports.

Approche collaborative

C’est le nerf de la guerre de la stratégie gouvernementale. Avec son projet de loi, M. Julien veut encourager à grande échelle l’usage de l’approche collaborative, qui permet de faire participer les entrepreneurs à l’élaboration des projets publics. La vieille façon de faire est trop rigide, a dit le ministre : « On met entre les mains du marché une idée fixe, on les met dans une chape de plomb. »

Entre 2008 et 2024, le nombre d’articles, de dispositions législatives et de règlements pour encadrer l’attribution de contrats publics a « quadruplé », note Nicholas Jobidon, professeur de droit public à l’École nationale d’administration publique. Cet encadrement, nécessaire pour protéger les deniers publics, peut être lourd pour les projets majeurs.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien

Le projet de loi ajoute une voie plus adaptée aux projets de haut niveau. Car les mêmes règles s’appliquent pour un contrat de déneigement de 250 000 $ et pour le tramway de Québec.

Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures

Le comité de sélection aura beaucoup plus de liberté pour choisir celui qui remporte la soumission. Québec rompt même avec un « tabou » : le donneur d’ouvrage pourra avoir un « dialogue » avec les soumissionnaires pour « l’aider à définir ses besoins », indique M. Jobidon.

Exemple concret : un entrepreneur pourra tout de suite dire à un donneur d’ouvrage qu’un débarcadère « trop large de six pouces » nécessitera des portes de garage sur mesure, avec un surcoût de 200 000 $, explique Guillaume Houle, de l’Association de la construction du Québec.

Partage du risque

Mais le gros changement, c’est le partage du risque entre l’État et l’entrepreneur qui vient avec cette approche. « Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la mort [des projets] où on transfère 100 % du risque au privé, en échange de profits. Le privé n’est plus en mesure d’absorber ce risque, car il est trop grand et ça mène à l’avortement des projets », note Pierre Barrieau, chargé de cours à la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. « Le tramway de Québec a été le grand révélateur de la situation », souligne Christian Savard, de Vivre en Ville. Aucune entreprise n’a voulu soumissionner pour ce projet.

Et dans les cas où un projet va de l’avant, « les entrepreneurs additionnent les contingences, et on paie la totalité des risques, même ceux qui ne se matérialisent pas », a dit le ministre Jonatan Julien.

Plus de concurrence

Avec l’approche collaborative, qui simplifie la résolution des conflits, et permet des paiements plus rapides aux entrepreneurs, l’État québécois va devenir plus « sexy », a souvent répété M. Julien. Caroline Amireault, directrice générale de l’Association québécoise des entrepreneurs en infrastructure, confirme qu’il y avait un « désintérêt » des entrepreneurs. « Mais le marché va revenir, il va y avoir plus de compétition », se réjouit-elle. Pour elle, cette réforme est une « victoire ». Elle souligne toutefois que le gouvernement devra rapidement changer la Loi sur les cités et villes, car les municipalités n’auront pas cette souplesse, et elles vont être « désavantagées ».

Moins de bureaucratie

Le gouvernement Legault veut réviser la Directive sur la gestion des projets majeurs d’infrastructure publique, qui vient encadrer de façon plus stricte les projets de plus grande ampleur. La première modification vise à « majorer les seuils d’assujettissement » qui forcent un projet à passer par ce processus « plus rigoureux », a indiqué le ministre responsable, pour s’adapter à la hausse des coûts de construction.

Projets pilotes

En se basant sur des projets pilotes menés par la Société québécoise des infrastructures pour la construction d’écoles « pour lesquels certaines initiatives incluses dans la Stratégie ont été appliquées », les mesures déployées devraient permettre de réduire les coûts jusqu’à 15 % et les délais jusqu’à 25 %. Difficile toutefois de savoir si ces gains se traduiront dans le cas de projets beaucoup plus complexes, comme des ponts ou des infrastructures de transport collectif. « Le gouvernement n’avait pas le choix d’agir. Dans 15 ans, lorsqu’on aura construit 150 kilomètres de tramway, je pourrai vous confirmer si les chiffres fonctionnent », lance Pierre Barrieau.

En chiffres

Parc d’infrastructures publiques du Québec

  • Valeur totale de remplacement de plus de 650 milliards
  • Près de 12 800 immeubles, dont des écoles et des centres hospitaliers
  • 31 100 kilomètres de routes et 9900 ponts, tunnels et murs de soutènement
  • Plus de 100 000 kilomètres de conduites d’eau potable, d’eaux pluviales et d’eaux usées
  • Plus de 500 kilomètres de réseaux pour les voies réservées, les trains de banlieue et le métro de Montréal