(Lévis) Quand il entre aux Galeries Chagnon à Lévis, Bernard Drainville discute au « je » et au « tu » avec les citoyens qui l’interpellent familièrement. « L’éducation, c’est un gros Titanic », lui dit spontanément un homme. « C’est un gros paquebot », recadre M. Drainville, souhaitant que ses réformes ne connaissent pas la fin tragique du navire de la White Star Line.

En allant dîner avec son équipe dans un centre commercial, le député caquiste prend le pouls des citoyens sur les sujets qui les préoccupent. Les gens lui disent majoritairement qu’ils l’apprécient, mais certains ajoutent qu’ils hésitent à redonner leur appui à la CAQ. En octobre 2022, M. Drainville a gagné son siège avec 48 % des voix. Même si les prochaines élections ne sont pas pour demain, le site de projections électorales Qc125 estime que le Parti québécois a désormais une légère avance dans les intentions de vote.

Après avoir avalé en vitesse une poutine au poulet, qui lui rappelle qu’il doit prendre le temps de mieux manger pour retrouver la forme qu’il a perdue, le ministre se promène dans l’aire de restauration dans l’espoir d’être interpellé, ce qui ne manque pas d’arriver. En amont de ce reportage, La Presse a également sondé ceux que l’on appelle les « partenaires » du milieu de l’éducation, qui travaillent chaque semaine de près ou de loin avec le ministre et son entourage. Que pensent-ils du bilan de Bernard Drainville à l’approche du mi-mandat ?

À l’unanimité, les intervenants interpellés ont affirmé qu’ils aimeraient que leur ministre les consulte davantage, plutôt que de les informer d’une décision parfois à 24 heures d’avis. Certains se sont aussi dits exaspérés de ses déclarations maladroites et incendiaires, comme lorsqu’il a dit au micro de Paul Arcand que les classes de maternelle sont « moins exigeantes » ou qu’il a comparé le salaire des députés à celui des profs lors d’une entrevue au journal Le Devoir.

Il n’est plus un animateur de radio à donner un spectacle. Sa personnalité est excellente pour être un communicateur dans les médias, mais dans le contexte qu’il est ministre, je pense qu’il ne mesure pas l’ampleur de certaines sorties ou de ses maladresses.

Une personne qui a accepté de témoigner sans être nommée pour ne pas nuire à ses relations avec le ministre

Un intervenant souhaite aussi avoir un accès plus direct à Bernard Drainville et déplore que le gouvernement ait mis des filtres autour de lui.

« Tu m’as dit que tu passais la semaine avec Bernard Drainville et j’ai failli te demander si tu passais la semaine avec Robert Dupras. C’est son chef de cabinet, mais parfois, on peut se poser la question qui est le ministre de l’Éducation », a affirmé cette source. Une impression partagée par d’autres.

L’homme de l’ombre

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Robert Dupras, directeur de cabinet du ministre de l’Éducation Bernard Drainville

Dans son bureau bien ordonné adjacent à celui de Bernard Drainville, la télévision ouverte sur les réseaux d’information, Robert Dupras finalise les détails d’une réunion qu’il tiendra avec le ministre pour préparer la période des questions.

Calme, il affiche l’image d’une personne en contrôle de la situation. M. Dupras reste en retrait de la table où discutent le ministre et ses conseillers, mais il intervient lorsque c’est nécessaire – parfois en opinant simplement de la tête – pour guider le ministre dans ses décisions. Chaque minute compte dans cette journée chargée avant de quitter le 16e étage du complexe G pour se rendre au parlement.

« Robert, c’est mon bras droit [et] ma personne de confiance », résume M. Drainville, qui voit M. Dupras comme un « contrepoids » plutôt qu’un filtre.

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Pendant une réunion, Robert Dupras reste en retrait, mais suit d’une oreille les discussions du ministre Drainville et de ses conseillers, prêt à intervenir.

Proche de François Legault – il a travaillé avec lui lorsqu’il était ministre péquiste à l’Éducation et à la Santé, au début des années 2000 –, Robert Dupras a également participé à la fondation de la CAQ, épluchant les CV que le parti recevait. Dans le premier mandat caquiste au gouvernement, en 2018, il a été tour à tour directeur de cabinet de Simon Jolin-Barrette et de Sonia LeBel. Il travaille avec Bernard Drainville depuis sa nomination à l’Éducation, en 2022.

Dans le milieu scolaire, on perçoit l’homme comme étant le principal défenseur de l’idée d’un tableau de bord en éducation, que le ministre a récemment déployé afin de suivre les indicateurs qui mesurent la performance du réseau. Quand M. Drainville rencontre des intervenants, ces derniers observent qu’il se réfère beaucoup à son chef de cabinet – plus que d’autres ministres – avant de se prononcer sur des sujets.

« Mon rôle est de conseiller le ministre, de le soutenir et de lui apporter mon éclairage sur ce qu’on pense qui est bon ou pas politiquement », résume Robert Dupras.

« Le ministre est très exigeant et veut maîtriser l’ensemble de ses dossiers de A à Z. Il va tout lire et annoter avec ses crayons et ses marqueurs de couleur. Ça veut dire qu’il va poser mille et une questions dans les moindres détails pour pouvoir les argumenter et les défendre. C’est ça, le style Bernard Drainville », ajoute-t-il.