Sur une échelle d’ironie allant de 1 à 10, cela valait un bon 6,5.

Quand Pierre Poilievre a traité Justin Trudeau de « cinglé » (wacko) et d’« extrémiste » pour avoir prôné la décriminalisation des drogues dures en Colombie-Britannique, il a omis un détail : c’était entre autres à la suggestion de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP).

En 2020, l’ACCP écrivait que la décriminalisation aidait à réduire les méfaits pour la santé publique et la sécurité de la population⁠1. La Colombie-Britannique avait elle aussi réclamé cette mesure. C’est pour cela que M. Trudeau a accepté de modifier le Code criminel pour autoriser le projet pilote dans cette province.

Pour être cohérent, M. Poilievre devrait donc aussi traiter les personnes suivantes de « cinglées » : le gouvernement britanno-colombien, les policiers, les coroners, les médecins et les autres experts en santé publique.

L’ironie est que lundi, M. Poilievre s’adressait justement à l’ACCP pour vanter ses propositions en justice. Lundi, il courtisait le vote des policiers. Mardi, il les traitait indirectement d’extrémistes.

Ce qui est surtout extrême, c’est le simplisme des explications de M. Poilievre. Dans l’hypothèse, bien sûr, où il veut expliquer et régler le problème.

Dommage que la Chambre des communes soit privée d’un débat mature. Car un chef de l’opposition officielle de bonne foi aurait des critiques pertinentes à adresser à M. Trudeau.

Le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique veut maintenant revenir à la criminalisation pour la consommation – et non la possession – dans les lieux publics. L’ACCP y est favorable. Les grandes municipalités aussi. Le coroner en chef de la province et plusieurs de ses experts en santé publique sont fermement contre.

L’ACCP soutient aujourd’hui que ce laisser-faire a banalisé l’injection d’opioïdes, en plus de rendre la cohabitation plus tendue entre les toxicomanes et le reste de la population. Sans miser d’abord sur la répression – un échec documenté –, elle veut rééquilibrer son approche⁠2.

Malgré ce désaccord, tous les intervenants conviennent de ceci : la décriminalisation n’était qu’un outil. Sur l’objectif principal, le consensus demeure : miser sur une approche de santé publique, avec un approvisionnement sécuritaire et d’autres soins.

La Colombie-Britannique demande à M. Trudeau de modifier le Code criminel pour mettre fin au projet pilote. Pressé de questions par M. Poilievre mardi, le premier ministre a refusé de répondre. Mercredi, il a enfin laissé entendre qu’il y consentirait.

Les libéraux ont souvent pratiqué un fédéralisme de supervision avec les provinces au lieu de les laisser gérer leurs propres enjeux de santé. M. Poilievre avait raison de talonner le premier ministre. Mais le chef conservateur a embrouillé ce débat au lieu de le faire avancer.

Devant les chefs de police lundi, M. Poilievre a vanté trois propositions en justice criminelle : rétablir les peines d’emprisonnement successives, resserrer les libérations conditionnelles et baliser le transfert de détenus vers des prisons à sécurité moindre.

Les progressistes devraient se méfier du manichéisme et analyser chacune séparément.

Pour la première idée, la Cour suprême a dit non à l’unanimité. Le chef conservateur s’inquiète que des meurtriers soient libérés après 25 ans. Or, c’est une possibilité évaluée au cas par cas, et non un droit. Le modèle américain, qui inspire M. Poilievre, a prouvé ses limites.

Pour les libérations conditionnelles, toutefois, M. Poilievre a des inquiétudes légitimes. L’année dernière, les provinces et les chefs de police avaient eux aussi critiqué les assouplissements adoptés par les libéraux. Sous pression, l’ancien ministre de la Justice David Lametti était revenu en arrière. Son projet de loi a depuis été adopté. Reste à voir s’il permettra d’éviter des cas comme celui du trafiquant d’armes William Rainville, vite relâché⁠3.

Quant au transfert de détenus, il s’agit notamment d’une réponse au déplacement controversé de Paul Bernardo vers un pénitencier de sécurité moyenne. Tout en s’opposant à ce cas, on peut craindre que les politiciens veuillent microgérer les dossiers individuels.

Pour cette réforme du droit criminel, M. Poilievre songe à recourir à la disposition de dérogation. Politiquement, c’est un pari.

Il en cautionnerait l’usage par les provinces. À l’Assemblée nationale, caquistes et péquistes défendent cet outil, prévu dans la Constitution pour les provinces, afin de défendre la nation québécoise. Mais d’un point de vue canadien, si d’autres provinces y recourent de façon fréquente, par exemple pour restreindre les droits des syndicats ou de la communauté LGBTQ+, cela pourrait devenir difficile à gérer.

Une dernière ironie : quelques jours avant de s’adresser aux chefs de police, M. Poilievre a serré la main de sympathisants du groupe d’extrême droite Diagolon. À ces militants qui occupaient depuis trois semaines un terrain entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, il a dit : « Tout le monde est avec vous ! »

Des milices de ce groupe ont été arrêtées durant la pandémie au poste frontalier de Coutts, en Alberta, avec un petit arsenal insurrectionnel.

Tout le monde est avec eux ? Les policiers devaient sans doute vouloir nuancer cette affirmation.

La droite a changé. Dans la coalition conservatrice, un courant appuie désormais quelque chose de différent : la loi et le désordre.

1. Lisez le rapport de l’Association canadienne des chefs de police (ACCP) de 2020 2. Lisez la nouvelle position de l’ACCP énoncée la semaine dernière 3. Lisez « Un jeune passeur d’armes obtient sa libération conditionnelle totale »