Dans Parc-Extension, la plupart des loyers sont au-dessus des moyens de réfugiés comme Semran, qui sont à la recherche d’une vie meilleure ou qui fuient la persécution dans leur pays. Ils se contentent donc de louer une chambre.

Semran partage la sienne avec son mari, Gagandeep, dans un 7 1/2, au rez-de-chaussée d’un triplex de l’avenue du Parc, au nord de la rue Beaubien.

Sur le plancher, entre la causeuse et le matelas, quelques boîtes de carton : c’est le garde-manger.

Quatre autres couples occupent chacun une chambre de l’appartement, où tout est propre et rangé. Quatre autres Indiens sous-louent la dernière chambre, et deux Indiens dorment dans le salon. Nombre d’occupants : 16.

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Semran et son mari, Gagandeep, dans leur chambre payée 1000 $ par mois. C’est là qu’ils prennent aussi leurs repas.

« C’est tout ce qu’on a trouvé », confie la femme de 33 ans, qui a demandé l’asile en posant le pied à Montréal, le 23 janvier, après avoir obtenu un visa de visiteur pour entrer au Canada.

Prix de la chambre : 900 $ par mois. Cela ne comprend pas l’utilisation du four, du micro-ondes, ni de la laveuse ou de la sécheuse, précise Semran. « C’est 100 $ de plus par mois. »

Ces conditions de vie sont de plus en plus courantes dans Parc-Extension, car le nombre de demandeurs d’asile indiens est en augmentation, et la crise du logement oblige de plus en plus de personnes à s’entasser dans des logements.

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Dans un coin de la chambre, Semran et Gagandeep ont aménagé un lieu de prière. Elle est hindoue, mais son mari est sikh.

Pire depuis deux ans

« La situation s’est détériorée depuis la pandémie », constate Sohnia Karamat, organisatrice communautaire au Centre d’action de Parc-Extension (CAPE), qui occupe un local au sous-sol de l’école Barthélemy-Vimont, rue Saint-Roch.

« Mais c’est vraiment pire depuis deux ans. »

Selon les données du gouvernement fédéral, le nombre de demandeurs d’asile de l’Inde est passé de 640 en 2021 à 1800 en 2022, puis à 4675 en 2023, au Québec.

Et ça s’accélère. En janvier, 675 demandes ont été enregistrées pour un seul mois. En février, 940, un record. (Les données pour mars ne sont pas encore connues.)

Bon nombre de ces demandeurs viennent du Pendjab, où 58 % de la population est sikhe.

« Ces gens-là sont malheureusement marginalisés dans leur pays et souvent ciblés, surtout avec le gouvernement au pouvoir qui prône l’hindouisme », explique MMarie-Josée Blain, qui représente de nombreux demandeurs d’asile indien, à Montréal.

Beaucoup sont venus avec un visa de visiteur et après, ils demandent l’asile. D’autres sont arrivés avec un permis d’études.

MMarie-Josée Blain, avocate

Et c’est principalement dans Parc-Extension qu’ils se font conduire en sortant de l’avion.

Délimité au nord par l’autoroute Métropolitaine et à l’ouest par le boulevard de l’Acadie, ce quartier est le plus densément peuplé de Montréal, et celui qui compte la plus forte population immigrante, soit 57 %.

Devant la hausse de demandes, des appartements convertis en maisons de chambres sont apparus.

« Ce qui se passe, c’est que des gens louent plusieurs appartements et signent plusieurs baux. Ces gens, des Indiens arrivés ici il y a plusieurs années, sont capables de trouver des appartements », explique Sohnia Karamat, du CAPE.

« Après, ce qu’ils font, c’est qu’ils louent les chambres de ces appartements à plusieurs familles, à 700 $ ou plus la chambre, sans jamais inscrire leur nom sur le bail. En gros, tout l’appartement est surchargé. »

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Le salon de cet appartement de Parc-Extension accueille deux locataires.

Des frais de vérification d’identité

À son arrivée, Semran a cherché un appartement sur Marketplace. « Des studios, des 3 1/2, des 4 1/2, dit-elle. Chaque fois, on nous demandait un historique de crédit. Ça fait juste deux mois et demi qu’on est ici, comment on peut avoir un historique de crédit ? »

Pour trouver, elle s’est fait conseiller de prendre un agent immobilier parlant le pendjabi.

« On a consulté deux ou trois agents, qui nous ont tous demandé 300 $ par personne et 75 $ de plus par personne pour des frais de vérification d’identité du gouvernement », lance-t-elle.

Les agents nous faisaient peur. Ils nous disaient : “Vous êtes nouveaux ici, vous n’avez pas de crédit, si vous n’acceptez pas les frais qu’on vous demande, vous ne serez jamais capables de trouver un endroit.”

Semran, demandeuse d’asile

Finalement, ils ont dit oui.

Le lendemain soir, un agent leur a fourni l’adresse d’un appartement à louer. Ils s’y sont rendus, croyant être seuls, mais 15 personnes étaient déjà sur place et faisaient une surenchère. Ils ont donc dû se résoudre à louer une chambre dans un appartement avec 14 colocataires, dont 2 femmes enceintes, à 1000 $ par mois.

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Balwinder dans la cuisine de son appartement

Le bon côté des choses

Balwinder a eu plus de chance.

Quand il est arrivé au Québec, en 2019, la situation était beaucoup plus facile, assure l’homme, un demandeur d’asile indien de 50 ans, qui travaillait jusqu’à récemment de nuit dans un Dollarama. Il partage un appartement avec trois autres hommes et paie 400 $ par mois pour sa chambre.

« J’ai eu mes documents et mon permis de travail en moins d’un mois, raconte-t-il. C’était plus facile de trouver un logement et un emploi. Ces jours-ci, je reçois entre 15 et 20 appels par jour de personnes qui cherchent un logement et du travail. C’est vraiment difficile. Je tente de les aider du mieux que je peux. »

Pourquoi ne vont-ils pas dans un autre quartier ?

Il y a deux raisons, explique Sohnia Karamat, du CAPE. « La première, c’est qu’il y a une forte communauté indienne ici. Mais c’est surtout parce qu’ils sont capables de vivre dans leur propre langue. »

Le langage est la principale barrière. Autrement, ils iraient ailleurs. Ils n’accepteraient jamais ces conditions inhumaines. Je vous le dis, ces conditions sont de plus en plus inhumaines.

Sohnia Karamat, organisatrice communautaire au CAPE

Kuku et son mari sont aussi arrivés à Montréal, en 2019, avec des visas de visiteur, avant de demander l’asile.

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Kuku et son mari dans leur appartement

Leurs trois enfants n’ont pas pu les accompagner parce que les fonctionnaires canadiens, en Inde, ont refusé de leur octroyer des visas. Ils avaient alors 11, 13 et 16 ans. Ils en ont aujourd’hui 15, 18 et 22.

Se loger à Montréal n’a pas été facile, confie la femme de 48 ans, qui habite un petit appartement au sous-sol d’un duplex. Après avoir loué des chambres dans des appartements de Parc-Extension, souvent infestés de souris et de coquerelles, où on lui a demandé un « extra » de 20 $ par mois pour des draps et de 50 $ supplémentaires pour les couvertures, elle a finalement trouvé ce logis, dont la porte d’entrée ne ferme pas à clé, à 1000 $ par mois.

Kuku s’efforce de voir le bon côté des choses.

« Au moins, le propriétaire est bon, dit-elle. Et on a un bail à notre nom. »

En chiffres

27 %

L’Inde est en tête du classement des pays de naissance de l’immigration récente au Canada. En 2022, 118 085 des 431 645 immigrants reçus étaient originaires de ce pays, soit 27 %.

11

Au Québec, l’Inde occupe le 11e rang des pays de naissance des immigrants. En 2022, 1714 nouveaux résidents permanents sur 68 700 provenaient de ce pays.

1,35 million

En tout, le Canada compte 1,35 million de personnes d’ascendance indienne.

66 000

Au Québec, près de 66 000 personnes sont originaires de l’Inde, soit 0,8 % de la population.

50 %

La communauté sikhe canadienne est la plus grande en dehors de l’Inde. Il y a plus de sikhs au Canada qu’en Angleterre et en Australie réunies. Les sikhs représentent près de 50 % de la population d’origine indienne au Canada, comparativement à 1,7 % en Inde.

4 %

Les Indiens admis au Québec entre 2016 et 2021 représentent 4 % des immigrants. En Ontario, cette proportion est de 24 %, et en Colombie-Britannique, 20 %.

Source : gouvernement du Canada