On entend souvent dire que les hommes ne parlent pas. La Presse en a convié trois pour parler de masculinité.

Qui sont-ils ?

Joseph Rindone

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Joseph Rindone

22 ans

Il est né et a grandi à Montréal, il a repris cette année des études universitaires en sciences de la gestion après avoir fait une pause post-cégep.

Joseph Sarenhes

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Joseph Sarenhes

25 ans

Il est né et a grandi à Wendake, communauté huronne-wendat enclavée dans la ville de Québec. Il se consacre à sa musique, qui amalgame ses racines autochtones et africaines.

Marc-Antoine Lemay

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Marc-Antoine Lemay

24 ans

Il est né et a grandi à Shawinigan, mais est désormais établi à Montréal. Il travaille pour un centre d’intervention pour hommes agressés sexuellement.

Les gars et l’école

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Joseph Rindone, Joseph Sarenhes et Marc-Antoine Lemay

« J’avais beaucoup de problèmes avec l’autorité. Je n’étais pas méchant ou whatever, c’est juste que quand on demandait de faire quelque chose, je faisais souvent le contraire ou je remettais les choses en question. J’étais vu comme un tannant », se souvient Joseph Rindone.

Joseph Sarenhes se reconnaît un peu dans ce portrait. « J’avais vraiment l’impression que l’école, ce n’était pas fait pour moi. Pourtant, il y a des matières que j’haïssais à l’école avec lesquelles je suis tombé en amour par moi-même après, dit-il. On est souvent vus comme des éléments turbulents, comme incapables de se concentrer, alors qu’il y a peut-être autre chose : une envie de créativité, un besoin de dépense physique… »

Convaincus qu’il avait un TDAH, plusieurs enseignants ont incité ses parents à le faire diagnostiquer afin qu’il soit médicamenté. « Mes parents n’ont jamais voulu. Tous les gars de ma classe étaient diagnostiqués, croit-il se rappeler. Je pense qu’il y a un problème à ce niveau-là. »

En quête de modèle

« Moi, je n’en avais pas de modèle, sauf peut-être des figures fantaisistes dans des films ou des BD, dit Joseph Sarenhes. J’avais l’impression que tous les hommes autour de moi étaient critiqués d’une manière ou d’une autre. Du côté africain de ma famille, j’ai beaucoup de ce que j’appelle des Africains durs. Des hommes très renfermés, qui ont été éduqués en se faisant dire que les hommes, ça ne pleure pas. Ils étaient critiqués parce qu’ils n’étaient pas capables de s’ouvrir. Puis, il y avait aussi autour de moi des gars qui avaient une facilité à exprimer leurs émotions et eux, on les traitait de noms, on leur disait qu’ils étaient moins masculins… C’était dur de se situer là-dedans. »

Marc-Antoine se rappelle avoir connecté avec un enseignant de cinquième année, le seul homme qu’il a eu comme professeur. « Je ne sais pas si ce qui m’a rejoint, si c’est parce que c’était un homme ou sa passion pour l’histoire, souligne-t-il. Moi aussi, j’aimais l’histoire. »

L’empreinte du père

Joseph Sarenhes laisse échapper un grand soupir. Il a idéalisé son père lorsqu’il était enfant. « Puis, on se rend compte que nos pères, comme tous les hommes, ont des défauts, dit-il. Je pense que mon père a été un modèle pour certaines choses, mais pas un modèle complet. J’essaie d’aller chercher une parcelle de ce qui m’inspire chez chaque homme que je rencontre pour me construire l’homme que j’aspire à devenir. »

« En grandissant, j’ai commencé à avoir une meilleure relation avec mon père, plus intime », dit pour sa part Joseph Rindone. Jeune, il était plutôt attiré par le côté rebelle des rappeurs qu’il aimait écouter.

Les relations avec les femmes

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Joseph Sarenhes, Joseph Rindone et Marc-Antoine Lemay

« Je me tenais beaucoup avec les filles au primaire. J’avais plus de difficulté à connecter avec les garçons, se rappelle Marc-Antoine. Il me semble qu’il y avait même eu des interventions de la part du milieu scolaire, comme si ce n’était pas normal que mes amis soient surtout des filles. Je ressentais aussi une pression d’aller jouer au soccer, alors que ça ne m’intéressait pas. »

« J’ai l’impression que j’ai toujours eu des relations un peu superficielles avec les filles. Il y en avait dans mes groupes d’amis à l’école, mais je n’avais pas de vraies amitiés avec elles, songe Joseph Rindone. J’étais un peu le contraire de Marc-Antoine : j’étais plus soccer et hockey, je faisais plus des trucs de gars… J’avais peut-être plus de misère à aller dans l’intimité. »

Joseph Sarenhes a surtout vécu avec sa mère, entouré de femmes. Il juge que ça l’aide beaucoup à connecter, maintenant, avec les femmes. Il a des amies qui sont dans sa vie depuis longtemps avec qui c’est simple. Ses relations plus récentes restent plus en surface, dit-il, en raison de l’ambiguïté qui peut exister si l’un ou l’autre ressent une attirance…

#metoo

« Je pense que #metoo était un mouvement très important, une belle étape sociale et je pense qu’on n’en a pas eu assez. Je pense que ça ne s’est pas rendu au locker room, dit Joseph Sarenhes. Ça ne s’est pas rendu assez loin dans la tête des garçons. Moi, je n’ai pas vu de différence. J’étais encore dans l’équipe universitaire de basket et c’est vrai que c’est un endroit où les gars vont se laisser aller à la masculinité toxique justement entre garçons. Je trouve qu’il était plus que temps que ça arrive et qu’il faut emmener la discussion entre nous, entre les gars. » Il regrette que les hommes soient souvent exclus de la discussion sous prétexte qu’ils ne savent pas ce que c’est que de se faire harceler. Il croit néanmoins que les hommes doivent être mieux outillés pour être de meilleurs alliés. « On va arriver quelque part quand les hommes d’aujourd’hui vont avoir les outils pour éduquer les garçons qui seront les hommes de demain. »

« Je suis d’accord avec ce que Joseph dit, mais je trouve que ça montre aussi qu’il y a un problème de communication, par exemple dans les relations sexuelles avec les filles. Des fois, c’est un vrai manque de délicatesse. Il y a beaucoup de personnes qui sont convaincues de n’avoir rien fait de mal, dit Joseph Rindone. Ça montre l’importance de communiquer, de demander à l’autre : est-ce que t’es sûre ? »

Une oreille pour se confier ?

Quand on leur demande s’ils ont quelqu’un à qui se confier dans leur entourage, le malaise est palpable. La question est accueillie par un long… silence.

« Pas vraiment, finit par dire Joseph Sarenhes. Avec certains amis, j’y arrive, parce qu’on s’est justement parlé de ça. On s’est dit qu’on n’avait pas d’espace où être vulnérable sans se sentir jugé. On a fait l’exercice, consciemment. Sans ça, non, je n’ai personne avec qui je peux atteindre le niveau de vulnérabilité qui pourrait me faire du bien. » Joseph Rindone non plus n’a personne avec il se sent vraiment intime. « Même dans mes relations amoureuses », dit-il.

« Je trouve que je n’en ai pas assez, mais j’en ai. J’ai ma psychologue, mais en relation amoureuse aussi, j’ai une grande facilité à m’ouvrir, à être vulnérable, à communiquer », dit Marc-Antoine. Il a aussi quelques amis gars avec qui c’est possible, mais il reste un peu sur ses gardes. Plus jeunes, ses amis et lui arrivaient à avoir des discussions intimes après avoir pris de l’alcool. « Sans casser cette gêne-là, dit-il, on n’aurait pas été capables. »

Joseph Sarenhes pense que la peur d’être jugé empêche les garçons de se confier. « On a peur d’être vu comme autre chose que ce qu’on veut que les autres voient de nous. En société, on nous demande d’être quelque chose, qu’on agisse d’une certaine manière en tant que garçon, mais on n’est pas ça. On essaie de l’être, songe-t-il. S’ouvrir, ça veut dire aux gens : regardez, je ne suis pas aussi bon que je le laisse paraître. Ça prend beaucoup de confiance pour faire ça. »

La masculinité toxique

L’association entre masculinité toxique et les injonctions du genre : les gars ne pleurent pas, ils doivent être forts, se fait immédiatement dans la tête des trois jeunes hommes. « Oui, définitivement, ça existe, à divers degrés », estime Joseph Rindone. Il donne l’exemple de l’homme toujours en contrôle, « qui doit faire de l’argent, s’occuper des gens autour de lui et ne pas avoir peur ».

Joseph Sarenhes trouve par contre que l’expression est utilisée un peu à toutes les sauces maintenant. Il admet qu’il y a des comportements toxiques, des jugements toxiques – comme le fait de considérer qu’un autre homme n’est pas assez masculin –, mais il trouve qu’il y a une confusion qui incite à croire que des valeurs comme la force et le courage sont forcément négatives. « Il faut faire attention avec ces termes-là, pense-t-il. On les lance aujourd’hui à gauche et à droite, et des fois, ce n’est pas vraiment justifié. »

« Moi, je trouve qu’on ne parle pas assez de masculinité toxique, dit toutefois Marc-Antoine. Je pense que c’est présent dans les réseaux sociaux, plus que dans la vraie vie. Quand je vois des Andrew Tate, moi, ça m’inquiète. » Il songe qu’un ado qui se cherche ou qui vient de vivre un échec amoureux peut facilement être attiré par une recette toute faite empreinte de misogynie.

La place des hommes

Est-ce que vous avez l’impression que les hommes sont mis de côté dans la société ?

« Un peu, dit Joseph Rindone, mais en même temps, j’ai l’impression qu’il est difficile de se plaindre : les hommes prennent beaucoup de place dans la société. » On ne parle pas assez du « calvaire des hommes », croit pour sa part Joseph Sarenhes, qui pense que les femmes et les hommes devraient « évoluer une main dans l’autre ». Marc-André est d’accord. « Les féministes nous invitent au contraire à prendre la parole, dit-il. On a beaucoup à apprendre d’elles. Il faut oser et prendre la parole. C’est aux hommes à prendre l’initiative. »

Ce qu’ils auraient aimé qu’on leur dise à l’adolescence

« J’imagine qu’on me l’a dit, mais que c’est rentré par une oreille et que c’est ressorti par l’autre, mais c’est de me remettre en question, dit Joseph Rindone. De me demander quel genre de personne je veux être, quelles sont mes valeurs. »

Marc-Antoine, lui, aurait aimé qu’on l’aide à normaliser les inévitables émotions négatives qui surviennent dans la vie et qu’on l’incite à se confier. « J’ai mis trop de temps avant d’aller chercher de l’aide psychologique, dit-il. Je ne suis pas en grande détresse, mais ça fait du bien de parler de ce que je vis. […] On n’a pas besoin d’avoir des idées noires pour aller consulter. »

« Une des choses que j’aurais aimées, c’est d’avoir de l’encouragement venant de modèles masculins […] Quand je suis confronté à un choix, je m’imagine avoir un fils et je me demande s’il serait fier du choix que je fais. Je me demande si ce que je vais faire représente le père que j’aurais voulu avoir et l’homme que je veux devenir, dit Joseph Sarenhes. Je tends vers ce modèle-là. Ça m’aide beaucoup. Et la plupart du temps, ça me fait changer de choix ! »