« Face à la marchandisation de nos enfants, la Commission propose de reprendre le contrôle des écrans », écrit en préambule de son rapport un groupe d’experts français mandaté par le gouvernement. Ses recommandations captent déjà l’attention au-delà de l’Hexagone.

Temps d’écran très limité

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Le rapport remis à l’Élysée déconseille que les enfants de 3 à 6 ans soient exposés aux écrans.

Aucun temps d’écran pour les moins de 3 ans. Une exposition déconseillée, au pire très limitée, pour les 3 à 6 ans. Puis, un accès modéré à partir de 6 ans. Les recommandations formulées par 10 experts français dans le rapport Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu sont en phase avec ce qui est déjà préconisé au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. « Tout le monde va un peu dans le même sens », observe la doctorante Marie-Andrée Binet, de l’Université de Sherbrooke. « Mais les recommandations préconisées sont plus sévères en termes de temps d’écran. Ceci contraste avec d’autres courants de pensée ou approches moins ‟prescriptives” qui souhaitent s’éloigner des limites de temps d’écran pour plutôt se concentrer sur les contenus choisis et les contextes d’usage. » Le problème… c’est que ces recommandations sont peu connues ou suivies. « On sait que c’est très difficile pour les parents d’attendre avant d’introduire les écrans », dit Mme Binet.

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Accès restreint aux réseaux sociaux

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Les réseaux sociaux, estiment les auteurs du rapport, ne devraient pas être accessibles aux adolescents de moins de 15 ans.

Là où le rapport va plus loin, note la professeure Élizabeth Harvey, du département des sciences de l’éducation de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, c’est qu’il aborde la question des contenus qui s’affichent sur les écrans. « Il y a plusieurs résultats de recherche de chercheurs canadiens et autres qui montrent que les contenus ont aussi une influence. » Les réseaux sociaux, estiment les auteurs du rapport, ne devraient pas être accessibles aux adolescents de moins de 15 ans. Et encore : ces réseaux devraient être « éthiques », notamment pour limiter la dépendance. L’accès à la pornographie devrait être grandement resserré. Les enfants ne devraient pas posséder de téléphone cellulaire avant l’âge de 11 ans, et l’État devrait généraliser l’interdiction des téléphones dans les collèges. « Ce qui fait la richesse d’une Nation, c’est sa jeunesse, et la nôtre n’est pas à vendre », martèlent les auteurs.

Responsabilité des entreprises technos

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Les concepteurs d’applications mobiles devraient être tenus de respecter certains standards, selon le rapport.

Maintenant, la grande question : comment intervenir pour protéger les enfants ? « On ne mettra pas un policier devant chaque foyer », a déclaré sur le réseau français RTL le psychiatre addictologue Amine Benyamina, coprésident de la commission qui a produit le rapport à la demande du gouvernement. D’autres acteurs que les parents doivent être responsabilisés, expliquent les experts. D’abord, ceux-là mêmes qui produisent des « services prédateurs à la conception délétère pour les enfants », par exemple, les mécanismes conçus pour capter l’attention des enfants, les « enfermer […] sur leurs écrans, les contrôler, les réengager, les monétiser ». Ce devrait être à ces concepteurs de prouver que leurs produits répondent à un « standard éthique ».

Guider plutôt que contraindre

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Les recommandations plaident pour l’adoption de mesures plus sévères que la simple sensibilisation.

Les auteurs du rapport insistent : il faut viser à « protéger, plutôt que contrôler, les enfants ». Mais les recommandations plaident pour l’adoption de mesures plus sévères que la simple sensibilisation, comme l’ont fait les gouvernements jusqu’ici, incluant au Canada. « Le temps d’écran est en augmentation et demeure au-delà des recommandations des associations pédiatriques, pour tous les groupes d’âge, rappelle Élizabeth Harvey. Donc, il faut définitivement aller au-delà de tout ce qui a été fait jusqu’à maintenant. » Marie-Andrée Binet abonde dans le même sens. « J’aime l’idée d’une approche collective », dit-elle. Les recommandations ont souvent le défaut de rejeter toute la responsabilité sur les parents, note Mme Binet. « Mais il y a des compagnies qui produisent les contenus. » Et des adultes, enseignants ou autres, qui ne donnent pas toujours le bon exemple…

Tous concernés

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Gabriel Attal, premier ministre de France

« Tout le monde doit balayer devant sa porte, y compris l’État et l’Éducation nationale et les collectivités locales impliquées dans l’Éducation nationale », a déclaré mardi le premier ministre français, Gabriel Attal. Certaines politiques gouvernementales devront être « repensées », a noté le chef du gouvernement. Notamment sur l’utilisation des écrans à l’école. Dans certains établissements d’enseignement en France – comme au Québec –, « les manuels ont été remplacés par des écrans », a rappelé M. Attal. « Je ne suis pas technophobe à considérer qu’il faut proscrire tout écran », a-t-il ajouté, notant qu’il « peut y avoir une visée pédagogique et un intérêt pédagogique ». « Mais l’écran pour l’écran n’a aucun intérêt, il peut être dangereux et donc on devra repenser aussi un certain nombre de politiques qui sont aujourd’hui menées dans nos services publics, notamment dans l’éducation. » Pour sa part, le président Emmanuel Macron a dit mercredi « donner un mois au gouvernement pour examiner ces recommandations et les traduire en actions ».

Consultez le rapport remis au gouvernement français

Avec l’Agence France-Presse