Sylvie a bossé 80 heures par semaine pendant plus de deux ans. Un quart de jour au magasin et un de soir au restaurant. Elle a ensuite eu une longue carrière au Dollarama, mais cette fois, pas question de cumuler les emplois. Mère de famille monoparentale, elle travaillait pour « faire vivre ses enfants » et devait être présente pour eux.

À l’époque, Sylvie Nadeau demeurait dans un HLM. Vingt et un ans plus tard, c’est toujours le cas. Par contre, la femme de 62 ans voue aujourd’hui son quotidien au bénévolat. Elle est membre de 11 comités (11 !), de la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec au Carrefour alimentaire en passant par la Table de la lutte à la pauvreté… Sylvie investit plus d’heures dans son implication citoyenne que ne l’exigerait un emploi à temps plein. Dans le documentaire Faire communauté, elle se dit d’ailleurs « bénéfolle ».

Le court métrage s’intéresse à l’engagement des résidants de HLM qui, comme Sylvie Nadeau, veillent à améliorer leur milieu de vie. Le film nous entraîne par exemple au rassemblement annuel des Citoyens locataires impliqués et concertés en Chaudière-Appalaches. Les participants y révèlent les initiatives déployées dans leur habitation communautaire pour favoriser le bien commun : café-jasette, boîtes à livres, distribution de paniers de légumes, sorties à la cabane à sucre, les idées pour « faire communauté » sont nombreuses. Surtout, elles sont imaginées et gérées par les principaux concernés.

« Souvent, on voit les HLM comme des ghettos où se rassemblent des gens qui ont des problèmes », déplore Jean-François Vachon. En posant sa caméra sur des résidants mobilisés, le coréalisateur de Faire communauté espère montrer une autre version de l’histoire.

PHOTO DAVID ÉLIAS, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Jean-François Vachon est coréalisateur du court métrage Faire communauté.

On entend que les locataires en HLM sont sur l’aide sociale, qu’ils sont sans ressources et qu’on les prend en charge… Mais non ! Ce sont des gens qui ont des compétences et qui s’impliquent. Il y a une richesse d’expériences de vie en HLM.

Jean-François Vachon. coréalisateur de Faire communauté

Sylvie Nadeau a justement accepté de participer au court métrage pour détricoter les idées reçues : « Je veux montrer qu’on n’a pas besoin d’avoir peur de demander un HLM ou d’avoir honte d’y vivre ! Ça peut être très solidaire et je pense qu’on lutte tous pour la même chose, au fond : pour que le monde puisse avoir des logements à prix très abordables. Maintenant, les logements à prix abordables ne sont pas si abordables que ça… Savais-tu qu’il y a 38 000 ménages au Québec qui attendent après un HLM ? »

Je l’ignorais.

Par contre, je savais bien que ces environnements peuvent être une formidable source d’entraide. Je vous l’ai déjà écrit : j’ai passé une bonne partie de mon enfance dans un HLM1. J’ai connu le pouvoir contagieux de la dignité dont font preuve les locataires qui tirent les autres vers le haut.

Je voulais aussi montrer que le bénévolat peut nous apporter beaucoup. C’est pas juste du poids qu’on se met sur les épaules ! Ma famille est ma raison de vivre, mais le bénévolat me fait vivre aussi. J’arrêterai d’en faire quand j’arrêterai de marcher.

Sylvie Nadeau

Il y a 67 000 HLM au Québec et l’implication citoyenne n’y a pas toujours été à ce point valorisée. La construction des premiers bâtiments remonte à 1969. Longtemps, on s’est surtout préoccupé de leur entretien et de leur gestion, comme le souligne le chercheur Paul Morin dans le livre Nos savoirs, notre milieu de vie : le savoir d’usage des locataires HLM familles. C’est en 2002 que le vent a changé puisque le gouvernement québécois a directement incité les « offices d’habitation » à « mettre en œuvre toute activité à caractère social et communautaire favorisant le mieux-être de sa clientèle ».

Aujourd’hui, les comités de résidants ont accès à des fonds pour réaliser des projets, mais rien ne se peut sans locataires organisés et aptes à mobiliser les troupes. Et comme le montre Faire communauté, la relève est parfois difficile à trouver…

C’est en travaillant avec le sociologue Paul Morin, qui oriente ses recherches vers les HLM depuis 20 ans, que Jean-François Vachon a commencé à s’intéresser au sujet. Il en a d’ailleurs fait le cœur de sa scolarité de doctorat en histoire. Puis, il s’est tourné vers le documentaire, convaincu (comme son mentor) que la médiation culturelle est un précieux outil quand vient le temps de communiquer la recherche.

Et ici, la recherche nous dit que ça vaudrait le coup de s’intéresser à l’implication citoyenne qui tient nos HLM tissés serré…

PHOTO STÉPHANIE NADEAU, FOURNIE PAR SYLVIE NADEAU

Sylvie Nadeau

Pour Faire communauté, Jean-François Vachon s’est allié au réalisateur Jean-Sébastien Dutil, avec qui il a notamment signé Le bien-être, documentaire au sujet des prestataires de l’aide sociale. Leur cinéma est pensé pour générer de la fierté chez ceux à qui ils tendent le micro. Jean-Sébastien sourit en soulignant que lors de la première du film, le 21 avril dernier, des participantes disaient se trouver belles sur le grand écran. « Tu vis dans un HLM, tu es monoparentale, tu n’atteins peut-être pas tes aspirations… Tu pourrais être défaitiste, réfléchit-il. Mais pas pantoute ! Il y a de la fierté et c’est vraiment beau à voir. »

Ça donne un bien beau film, d’ailleurs.

« C’est facile de faire un film quand tu suis une personne extraordinaire, répond Jean-Sébastien. C’est elle qui travaille, toi t’es juste là. »

Et regarder Sylvie Nadeau travailler, c’est recevoir un vaccin contre l’individualisme.

Je n’en dirai pas plus parce que la « bénéfolle » n’est pas du genre à aimer se faire lancer des fleurs. Elle désapprouvera probablement le titre de cette chronique, d’ailleurs, si je me fie à cet extrait de notre discussion :

IMAGE TIRÉE DU COURT MÉTRAGE FAIRE COMMUNAUTÉ

Aujourd’hui, les comités de résidants de HLM ont accès à des fonds pour réaliser des projets, mais rien ne se peut sans locataires organisés et aptes à mobiliser les troupes.

« Je dis souvent : ‟On est une équipe, on se tient, on trouve des solutions ensemble et y a personne mis de côté.”

— Vous êtes un bel exemple à suivre, Sylvie.

— Bof, non. Je suis une personne ben simple qui veut juste être heureuse. »

Faire communauté sera projeté au Café Baobab, à Sherbrooke, le 21 mai. Il sera aussi possible de voir le court métrage en ligne, au même moment.

Réservez votre billet pour la projection (en présentiel et en virtuel) 1. Lisez la chronique « Hommage à mon HLM »