Chaque jour, Patrick Leroux dénonce de faux profils utilisant ses photos sur les réseaux sociaux. Si son image sert parfois à promouvoir de la cryptomonnaie, elle est surtout détournée pour soutirer de l’argent à des femmes qui croient tomber amoureuses d’un veuf ayant deux grandes filles et un chien mignon comme tout.

Mi-février, j’ai publié une chronique au sujet de la première étude canadienne sur les victimes de fraude amoureuse en ligne. Patrick Leroux m’écrivait le jour même : « Depuis 3-4 ans, des fraudeurs usurpent mon identité. Je perds environ deux heures par semaine à dénoncer et bloquer ces faux comptes. Facebook et Instagram ne font rien. »

Lisez la chronique « Elles ne voulaient qu’être aimées »

Davis Jackson, Bobby Guinto, David Huderson, Lambert Charpentier… Les noms d’emprunt sont nombreux, mais les profils ont des points communs : l’homme est veuf, ingénieur civil, il travaille à l’étranger et il se cache derrière des photos de Patrick Leroux posant avec ses enfants et son chien. (Le plus fou, c’est que plusieurs fraudeurs vont jusqu’à utiliser son vrai nom. Aucune gêne.)

Ces usurpations d’identité, Patrick Leroux ne les compte plus. J’ai vu des centaines de captures d’écran montrant des profils différents. J’ai lu les messages de victimes découvrant que l’homme qu’elles aiment est en fait un Québécois marié. Quand ce n’est pas un de leurs proches qui lance l’alerte… « Simplement pour vous informer que vous avez demandé ma sœur en mariage. »

Croyez-moi : c’est le bordel.

Patrick Leroux a beau dénoncer les fraudeurs, de nouveaux comptes apparaissent chaque jour. Pire encore, Meta refuse parfois de les effacer, considérant qu’ils ne contreviennent pas aux règlements de la plateforme. L’homme est à bout : « C’est comme si Facebook ne prenait pas ça au sérieux, alors que plein de femmes vulnérables se font arnaquer et perdent énormément d’argent. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Patrick Leroux

L’une d’elles vient d’être dépouillée de 100 000 $ américains, si on souhaite être précis.

J’ai discuté avec sa fille, April. C’est elle qui a contacté Patrick Leroux pour le mettre au fait du crime commis avec son image. April tient à préserver l’anonymat de sa mère, qui croule déjà sous la honte, mais elle a accepté de me raconter leur histoire. En 2022, la septuagénaire de l’Alabama a perdu son mari des cinquante dernières années. Une catastrophe qui l’a laissée seule et vulnérable. Puis, un Allemand l’a contactée, en ligne. Il ressemblait étrangement à l’amour de sa vie, il était gentil et, surtout, il la faisait sourire. Seul pépin : il avait le cancer et manquait de sous pour payer ses soins médicaux. En bonne chrétienne souhaitant aider son prochain et en amoureuse voulant plaire, elle a volé à son secours.

Quatre mois plus tard, elle a avoué à sa fille qu’elle avait fait une erreur… Elle venait de verser 100 000 $ à son prétendant. Une somme léguée par son défunt mari, une somme qu’elle ne reverrait jamais.

« Je n’en revenais pas, me raconte April. Je lui ai demandé : “Mais as-tu au moins déjà vu cet homme ?” Elle m’a juré que oui. »

April l’a donc appelé par FaceTime. Le gars a répondu. Sur l’écran, c’est bien le visage de Patrick Leroux qui s’est affiché… Mais en réalité, le fraudeur filmait de très près une vidéo de Patrick dénichée sur YouTube et il parlait par-dessus. Du lipsync.

C’est en faisant une recherche par image sur le web qu’April a pu découvrir la provenance des photos volées et des vidéos détournées.

Mais que peut bien faire Patrick Leroux, une [énième] fois informé ? Alerter la police ? C’est ce que le SPVM recommande aux victimes comme lui, mais Patrick ne se fait pas de faux espoirs, sachant les criminels nombreux et, surtout, établis à l’étranger.

Quitter les réseaux sociaux ? En tant que coach d’affaires, l’homme y puise son travail. C’est sur ces plateformes qu’il fait rayonner son offre auprès de clients potentiels. Évidemment, il a effacé plusieurs photos, mais le mal est fait. Elles ont été archivées par les criminels et continuent de circuler.

De toute façon, le problème, ce n’est pas qu’un homme ait laissé des traces de sa vie sur les réseaux sociaux… C’est que les plateformes ne protègent ni son identité ni l’intégrité des femmes manipulées grâce à ces images.

Patrick Leroux dit être une victime collatérale des fraudes amoureuses.

La cofondatrice de la Clinique de cybercriminologie estime plutôt qu’il en est une victime directe. Il perd du temps, mais il doit aussi composer avec les réactions outrées (et compréhensibles) de personnes flouées et voir sa réputation mise en jeu. Quand j’ai parlé du cas de Patrick à Fyscillia Ream, elle m’a révélé n’avoir jamais été contactée pour ce type de dossier. Sans doute parce que ce sont des victimes québécoises qui ont recours aux services de la Clinique et que celles-ci succombent pour des fraudeurs qui utilisent surtout des photos de Français, m’a-t-elle expliqué. Aux États-Unis, ce sont les profils d’Australiens qui sont majoritairement pillés. Les images de Patrick servent donc vraisemblablement à voler des femmes qui ne sont pas d’ici.

« Les réseaux sociaux font malheureusement très peu de choses sur ce plan », m’a confirmé Fyscillia Ream. Pourtant, certains recours existent pour améliorer la sécurité en ligne. Elle m’a donné l’exemple de sites de rencontre qui impose la reconnaissance faciale aux utilisateurs créant un nouveau profil. Impossible de voler l’image d’autrui.

Et que pense Meta de tout ça ?

J’aimerais vous le dire, mais mes demandes d’entrevue ont été déclinées. Si on se montre souvent transparent sur les réseaux sociaux, on ne peut pas en dire autant des plateformes. Un silence cher à payer pour Patrick et un nombre crève-cœur de femmes.

Un silence injuste.

Vous êtes dans la même situation ? Le module des cyberenquêtes du SPVM vous conseille de signaler la fraude amoureuse aux autorités locales, de faire des captures d’écran des messages, de prendre en note les identités des comptes qui alimentent les menaces, de ne pas vous engager dans les échanges et de cesser tout contact.