Depuis sa plus récente apparition officielle, lors de la messe de Noël, Kate Middleton se hisse en tête des sujets les plus abordés et catalyse les conjectures scabreuses. Très peu d’informations ont été fournies pour expliquer son improbable disparition.

Le 17 janvier dernier, le palais de Kensington a fait savoir que la femme du prince William se remettait d’une opération à l’abdomen dite « planifiée », mais les rumeurs n’ont cessé de se multiplier. D’innombrables théories du complot circulent sur l’internet : Kate aurait été assassinée, elle aurait subi un lifting brésilien des fesses, elle aurait un sosie, son couple battrait de l’aile, etc.

PHOTO TIRÉE DE X @KENSINGTONROYAL

La photo truquée publiée par la princesse Catherine à l’occasion de la fête des Mères britannique

Celle qu’on dit tour à tour cocue, anorexique, fugueuse et même comateuse se trouve désormais au centre d’une tempête médiatique se métastasant à la vitesse grand V. À l’heure où les médias veulent nous prémunir contre les fausses nouvelles, cette profusion de complots loufoques indiquerait-elle une incapacité croissante à distinguer le vrai du faux ?

Comploter pour le plaisir

Selon le journaliste américain Ryan Broderick, ce foisonnement de conspirations soulignerait plutôt une soif de distractions. « La mésinformation est amusante. […] Elle fait maintenant office de divertissement », avance-t-il dans son infolettre Garbage Day1. Le réel a parfois moins d’importance que le plaisir qu’on tire de ces fictions collectives. Et si on alimente la mésinformation numérique, ce n’est pas nécessairement dans l’intention de tromper les autres, mais dans le but de se joindre à une conversation plurielle.

D’ailleurs, nul besoin de croire dur comme fer aux complots qui circulent en ligne pour en jouir. Il suffit de suspendre provisoirement son incrédulité, comme le font par exemple les spectateurs au théâtre.

Malgré le portrait que l’on trace souvent des théories du complot, elles ne sont pas l’apanage de l’extrême droite ou encore des partisans de Donald Trump. Elles se présentent même à l’occasion comme des jeux participatifs. Le professeur de littérature et de communication Jon Glover écrit dans Real Life que les croyances conspirationnistes engendrent des expériences immersives, à l’image des jeux de rôle grandeur nature. « Elles ajoutent une dimension ludique à la vie quotidienne, confèrent à des objets, des situations et des gestes banals une signification plus grande que nature2. »

Vers une intelligence collective

D’après Alexandre Coutant, professeur en communication à l’UQAM et chercheur au LabCMO, les fictions populaires comme l’affaire Kate Middleton servent de lubrifiant social. « Elles alimentent les conversations un peu ordinaires qu’on a à la machine à café, en attendant le bus », me dit-il en entrevue. Si ces badinages fédérateurs ont toujours existé, le numérique les rendrait plus visibles. D’ailleurs, plutôt que de favoriser notre crédulité, ces conversations permettraient d’activer notre esprit critique. Selon Coutant, « les enquêtes sur les usages des médias sociaux numériques montrent globalement que la plupart du temps, [les conversations sur les plateformes] sont utiles. Il y a de l’entraide, les gens s’apportent des connaissances complémentaires, des éléments de contextualisation ». Ainsi, loin de nous abrutir, ces échanges permettraient de mettre en commun les expertises de tout un chacun au profit d’une intelligence collective.

C’est d’ailleurs en tirant parti de cette intelligence de groupe que les internautes ont su débusquer des incohérences dans le cliché que le couple royal a partagé à l’occasion de la fête des Mères, dans le but implicite de dissiper les rumeurs autour de la princesse. Photographes, fashionistas, retoucheurs photo ou simples adeptes de la royauté se sont alors entraidés pour identifier de nombreux éléments permettant de prouver que la photo de Kate et de ses enfants avait été manipulée. Dans la foulée, de nombreuses agences de presse ont dépublié l’image, la déclarant truquée. La princesse de Galles s’est même vue contrainte de publier un court mea-culpa.

Pour l’unité d’un peuple

Il faut dire qu’après la publication des mémoires de Harry et les accusations d’agression sexuelle portées contre le prince Andrew, la #Katespiracy n’est pas le seul évènement récent qui vient fissurer la réputation de la Couronne.

L’affaire Middleton signale une certaine débâcle, mais elle met aussi de l’avant le rôle fédérateur de la monarchie et réaffirme sa valeur symbolique.

Car la famille royale britannique se veut rassembleuse, par-delà les allégeances politiques de son peuple : elle maintient l’unité nationale. Il en va de même pour les récits collectifs, qui ont le pouvoir d’unir les gens, de leur faire oublier leurs différences, au profit d’un récit plus grand.

La Katespiracy frappe d’ailleurs au moment où la guerre à Gaza divise le Royaume-Uni. Les débats sur un cessez-le-feu durable sèment la zizanie à l’intérieur même des partis politiques. Supputer sur la princesse distrait peut-être les Brits d’enjeux politiques plus graves et leur permet de faire la conversation. Ce n’est pas la première fois qu’on sacrifie la vie privée d’une princesse sur l’autel de la nation. La dernière fois que c’est arrivé, j’avais 7 ans.

Consultez le texte de l’infolettre Garbage Day (en anglais) Consultez le texte dans Real Life (en anglais)