Sur le papier, huit fois le même visage aux traits parfaits. La femme demeure lisse et souriante de ses 20 à 90 ans. Pascale Montpetit a nommé cette illustration Femme en aluminium brossé garantie à l’épreuve du temps. Et moi, comme plusieurs, je suis tombée sous le charme.

Avant le Conservatoire d’art dramatique, Pascale Montpetit a mené des études en arts visuels. Or, si elle dessine depuis 45 ans, elle a longtemps gardé sa production privée. Ce n’est qu’avec la pandémie que la comédienne, « cherchant une fenêtre sur le monde », a commencé à publier ses créations sur les réseaux sociaux. Il y a un an, elle vivait sa première exposition et apprenait du même coup à accepter l’idée qu’elle avait du talent.

« Ces gens qui n’étaient pas mes amis n’achetaient pas mes dessins pour me faire plaisir, lance-t-elle presque gênée. C’était donc sûrement parce qu’ils aimaient vraiment ça. »

Je lui confirme entre deux gorgées de thé qu’il y a beaucoup de choses à apprécier dans son travail. Personnellement, c’est sa manière de présenter l’état de femme qui me bouleverse. J’ai l’impression qu’avec ses nues, elle pèse sur les bobos que sont la crainte de la vieillesse, la pression du regard extérieur et la quête d’agentivité. J’étais d’ailleurs curieuse d’en savoir plus sur sa démarche, à l’approche de la Journée internationale des droits des femmes.

Elle sourit en haussant les épaules.

« Montaigne a écrit : ‟Quand je danse, je danse. Quand je dors, je dors.” Moi, quand je dessine, je dessine ! Je ne veux rien dire, je m’amuse.

— Donc, le tableau nommé Les dessous du casting féminin présentant une femme comme une pièce de viande rouge ne veut rien dire ? »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @PASCALEMONTPETIT.ART

Les dessous du casting féminin

Pascale Montpetit éclate de rire avant de lâcher un « Bon… » bien senti.

Elle m’explique qu’elle puise ses nus lors d’ateliers de modèles vivants. Après une séance de trois heures, elle est souvent interpellée par une pose en particulier. Elle met alors ce corps en scène, comme si son papier était une scène de théâtre. Et oui, son parcours vient parfois teinter le tableau.

« On est dans un train qui ne s’arrête jamais, réfléchit-elle. On n’y pense pas quand on est jeune et c’est très bien comme ça, mais à la soixantaine, j’ai commencé à reconnaître que je changeais. »

En tant que comédienne, je fais un travail d’image. Je ne peux pas dire que l’image n’est pas importante ! Le casting sert à trouver la bonne image. Je ne suis pas fâchée.

Pascale Montpetit

Elle ajoute que l’héroïne typique a souvent moins de 40 ans. La femme se retrouve un jour à jouer la mère ou la voisine, ainsi va la vie.

  • Femme en aluminium brossé garantie à l’épreuve du temps

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    Femme en aluminium brossé garantie à l’épreuve du temps

  • Derniers retranchements

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    Derniers retranchements

  • Bête de scène

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    Bête de scène

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Les choses ne seraient-elles pas différentes si on avait droit à plus de films comme le magnifique Good Luck to You, Leo Grande ? Dans cette fiction de Sophie Hyde, Emma Thompson incarne une veuve de 56 ans cherchant à découvrir les plaisirs de la chair. Elle expose son corps nu, révélant une beauté, une vulnérabilité et une soif d’exister qui coupent le souffle.

« Ce qui me frappe, c’est que tous les corps nus sont beaux, me répond Pascale Montpetit. Pourtant, il y a beaucoup de filles qui sont en guerre civile entre leur corps et leur esprit. C’est peut-être comme ça pour les hommes aussi, il faudrait que j’en parle davantage avec eux… Quand j’ai dessiné la Femme en aluminium brossé garantie à l’épreuve du temps, je venais de regarder le documentaire Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig. Je me disais que ce qu’on veut est impossible. Autant pour le regardeur que la regardée. On ne veut pas vieillir du tout et ça ne se peut juste pas. »

On peut ralentir le processus, par contre.

On a d’ailleurs recommandé à Pascale Montpetit d’avoir recours à des interventions esthétiques si elle souhaitait éviter de perdre des rôles.

« Bien franchement, si j’avais 30 000 $ à mettre là-dessus et que j’étais certaine du résultat, je le ferais, avoue-t-elle sans détour. Si je pouvais signer un pacte avec le diable pour redevenir plus jeune, je le ferais aussi ! »

Même s’il y a des avantages à vieillir, comme se câlicer plus du regard des autres. C’est une liberté chèrement acquise que de pouvoir dire ce que tu penses.

Pascale Montpetit

Parlant de s’exprimer librement, Pascale Montpetit a participé à la 12e édition du Combat contre la langue de bois, en 2022. Dans son numéro, elle soulignait que si on compte l’âge des chiens en le multipliant par sept, c’est pareil chez les actrices. Du haut de ses 63 ans, aux yeux de l’industrie, Pascale en a vraiment 441. Notons qu’elle terminait ce même numéro flambant nue. Une audace que je retrouve dans ses illustrations, bien qu’elle estime « rester inoffensive » dans son art.

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La reine-garçon

« J’en pense bien plus que je ne le montre ! Je ne veux déranger personne, mais je veux être vue. »

Si nul ne rêve d’être invisibilisé, les femmes finissent souvent par l’être. J’admire la résistance de Pascale Montpetit.

« Te sens-tu libre, en tant que femme ?

— Oui, autant qu’on puisse être libre en tant qu’être humain. On est tous névrosés et pognés. Et ça n’empêche pas qu’il y a encore des inégalités patentes. L’injustice, c’est ma limite.

— Dis-moi, arrives-tu à être de bonne humeur au quotidien tout en étant contre les injustices ?

— J’ai un élan vital qui ne se dément pas, mais pour être heureux, il faut ruser beaucoup. On doit tourner le dos à certaines choses, faire des microajustements perpétuels et se dire que ça vaut parfois la peine d’avoir le vent dans la face. »

Je l’aime beaucoup.

Pour voir les œuvres de Pascale Montpetit, on peut visiter son exposition commune avec Angelo Barsetti du 22 au 28 mai 2024 à la Galerie Espace, à Montréal.