Règle générale, à moins que vous ne soyez ma mère, je ne réponds pas à votre appel téléphonique. Il y a bien sûr des exceptions. Je ne réponds pas toujours à ma mère... Attention, ne vous méprenez pas ! Je ne suis pas un sociopathe (du moins pas diagnostiqué). La preuve, c’est que je réponds au téléphone quand mes patrons sont au bout du fil. Le plus souvent au deuxième appel.

Je ne réponds presque jamais à un appel sur ma ligne fixe. J’ai installé chez moi il y a quelques années, en traficotant quatre fils multicolores avec des embouts de cuivre, un vieux téléphone à cadran beige des années 1960. Il fonctionne. Fiston m’a appelé sur mon téléphone intelligent, en faisant glisser ses doigts sur le disque rotatif de cette antiquité. Jamais a-t-on a vu un être humain doué de raison prendre plus de temps pour composer un numéro local.

Exceptionnellement, j’ai répondu. Même si j’étais à ses côtés. Pour voir ses yeux s’illuminer devant ce miracle de la technologie moderne, comme ceux d’Alexander Graham Bell quand il a entendu dans le combiné la voix de Tom Watson.

Ce que j’apprécie le plus de ce téléphone beige, outre sa couleur passe-partout, c’est qu’il ne sonne pas. Le dispositif est brisé. Il faut tendre l’oreille afin de percevoir, dans une pièce à l’étage, la sonnerie d’un téléphone plus moderne. Puis au moment de répondre, il faut attendre deux secondes avant d’être en ligne. Vous avez dit vintage ?

Avertissement : me laisser un message vocal sur une ligne fixe, à la maison ou au bureau, c’est courir le risque que je ne l’entende pas avant la prochaine éclipse solaire.

Je n’ai plus d’appareil téléphonique à mon poste au bureau. Pourquoi ai-je toujours une ligne fixe à la maison ? Pour une seule et très bonne raison : je suis très fier que mon bricolage de fils multicolores ait fonctionné.

D’un côté, j’ai un téléphone à cadran plus vieux que moi, qui ne sonne pas. De l’autre, un téléphone intelligent réglé en permanence en mode silence, aussi sourd aux appels de mes amis et de mes connaissances qu’à ceux des arnaqueurs et télémarketeurs.

« Pourquoi tu ne réponds jamais au téléphone ? », me demande-t-on souvent, avec un ton qui trahit une subtile frustration. Réponse diplomatique : la sonnerie de mon téléphone cellulaire est coupée parce que je suis souvent au cinéma (ce qui est vrai). Réponse moins diplomatique : si certaines réunions peuvent se résumer dans un courriel, plusieurs appels devraient se traduire par un texto.

Des deux camps bien distincts qui se dessinent dans le reportage de ma collègue Olivia Lévy, je me range résolument dans celui qui ne veut pas être dérangé par un appel. Mon credo ? « La personne que vous essayez de joindre n’est pas disponible. » À d’autres le « Votre appel est important pour nous ». Jésus en personne disait qu’il y avait « beaucoup d’appelés, mais peu d’élus ». Je les plains tous. Je ne suis candidat à aucune élection. Ne m’appelez pas.

Lisez « Pour ou contre les conversations téléphoniques ? »

Ne m’appelez surtout pas sans m’avoir au préalable averti de cette intrusion dans ma vie privée par texto. Je risque malheureusement de « rater » votre appel. Quel culot il faut, quand même, pour appeler sans avertissement ! Est-ce que je sonne chez vous à l’improviste, moi, en réclamant qu’on me serve le déjeuner illico ?

Une chance que j’ai, en plus d’un téléphone à cadran défectueux, c’est d’être l’heureux propriétaire d’un téléphone intelligent en perte d’autonomie (de batterie). Mon vieux téléphone cellulaire cesse de fonctionner fréquemment et inopinément, ce qui me fournit un autre prétexte pour justifier tous ces appels ratés.

J’ai une relation d’amour-haine avec cet appareil diabolique pourtant si utile, qui me siphonne du temps et de l’énergie. Mon père n’a pas de téléphone intelligent et ne s’en porte pas plus mal. Fiston, lui, songe carrément à troquer son cell pour un « flip ». Afin de se libérer des chaînes de cette laisse électronique, à commencer par le diktat de l’instantanéité.

La dernière mode chez les jeunes adultes, m’explique-t-il, est de ne surtout pas répondre sur-le-champ à un message texte. Afin de ne pas donner l’impression que l’on est devenu esclave de son téléphone et pour se convaincre que l’on a une vie à vivre, loin des technologies.

Le téléphone de Fiston lui sert surtout à écouter de la musique. Inutile de préciser qu’il ne répond pas plus rapidement à mes appels qu’à mes textos. Il a sorti des boules à mites le vieux Discman de sa mère. Après avoir adopté le 33-tours, voilà qu’il achète des CD. Ma discothèque, qui amasse la poussière au sous-sol depuis des années, sert de nouveau. Je ne serais pas surpris qu’il fouille dans mes vieilles cassettes des années 1980 et 1990, lui qui a adoré le film Perfect Days de Wim Wenders.

On assiste, chez certains, au retour du balancier technologique. J’aurais aimé pouvoir en dire autant du couple de mon âge assis aux côtés de ma mère et moi au théâtre, il y a deux semaines. Accros à leurs téléphones au point de les consulter, pendant une quinzaine de minutes, jusqu’à ce qu’un placier vienne les avertir de les ranger. Sans le moindre scrupule, la luminosité de leur appareil au maximum, devant des acteurs en chair et en os !

Au théâtre, comme en toutes circonstances, la sonnerie de mon téléphone est éteinte. Par respect pour les autres spectateurs. Et aussi, si je suis bien franc, parce que c’est une bonne raison de ne jamais répondre au téléphone. Je le répète : il y a, bien sûr, des exceptions. Rien de tout ça ne s’applique à toi, maman.

Lisez « Téléphone intelligent : Utile pour tout, sauf appeler ! »