(Ottawa) Le chef conservateur Pierre Poilievre s’engage à recourir à « tous les outils » constitutionnels à sa disposition pour adopter des mesures strictes en matière de justice pénale s’il est porté au pouvoir – une proposition « irresponsable », pourfend Justin Trudeau.

Le chef de l’opposition a formulé cet engagement dans un discours livré devant l’Association canadienne des policiers, lundi.

Au cours de cette allocution, il a moussé son futur programme de loi et d’ordre, notamment en proposant un resserrement des exigences en matière de libération sous caution.

« Toutes mes propositions sont constitutionnelles », a-t-il déclaré dans le discours dont certains extraits ont d’abord été rapportés par le réseau CBC, tard lundi soir.

« Nous les rendrons constitutionnelles en utilisant tous les outils que la Constitution me permet d’utiliser pour les rendre constitutionnels », a-t-il ajouté.

« Je pense que vous voyez exactement ce que je veux dire », a complété Pierre Poilievre.

Ses propos ont fait vivement réagir dans le camp libéral, à commencer par le premier ministre, qui s’est arrêté devant les caméras pour une mêlée de presse pour une première fois depuis un bon moment.

Renverser « les protections fondamentales garanties par la Charte des droits et libertés. Des protections pour les femmes, pour les communautés [LGBTQ+] » est « irresponsable », a-t-il déploré.

En matinée, en marge de la rencontre hebdomadaire du Cabinet, plusieurs ministres étaient montés au front.

« Je pense qu’il [Pierre Poilievre] devrait avoir le courage de dire qu’il sera le premier gouvernement fédéral à invoquer la clause nonobstant », a mis au défi le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc.

Son collègue à la Justice Arif Virani a déploré les velléités « idéologiques » du dirigeant conservateur, qui lui semblent limpides.

« Il a démontré très clairement à tous les Canadiens ce qu’il veut faire », a-t-il soutenu en mêlée de presse.

« C’est très idéologique pour lui », a poursuivi le ministre Virani.

Une promesse déjà faite

Il ne s’agit pas de la première sortie du genre de la part du chef du Parti conservateur, tel que l’a rappelé sa formation politique, mardi.

Il a déjà promis d’invoquer la disposition pour infirmer une décision rendue en 2022 par la Cour suprême du Canada en faveur de l’auteur du massacre à la grande mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette.

Et donc, il n’y a pas de cachette, a déclaré mardi sa porte-parole, Marion-Isabeau Ringuette.

« Pierre Poilievre et les conservateurs de gros bon sens défendront toujours les victimes et veilleront à ce que les criminels paient pour leurs crimes », a-t-elle indiqué.

C’est l’inverse des libéraux, qui « se plient en quatre pour défendre les criminels à chaque occasion », a-t-elle aussi plaidé.

Visions opposées

Un recours à la disposition de dérogation serait une première sur la scène fédérale.

La position des libéraux face à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés est diamétralement opposée à celle des conservateurs.

Le gouvernement Trudeau a reproché à des provinces comme le Québec, l’Ontario ainsi que la Saskatchewan d’avoir eu recours à la disposition de dérogation, ou « clause nonobstant », de façon abusive ou illégitime.

Il souhaite d’ailleurs que la Cour suprême du Canada clarifie les paramètres de son utilisation.

L’invocation de l’article 33 par un gouvernement accorde à celui-ci le pouvoir de soustraire une loi à tout recours judiciaire pour une période de cinq ans, même si cette loi viole certains droits garantis par la Charte.

Une légitimité confirmée, selon le Bloc

Et si un gouvernement Poilievre allait de l’avant, il ne pourrait par conséquent pas reprocher aux provinces de le faire, a argué le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.

« Le fait qu’un leader fédéral veuille utiliser cette clause veut clairement dire qu’il est absolument légitime pour le Québec et les provinces d’en faire autant », a-t-il fait valoir.

Le gouvernement québécois a invoqué la disposition de dérogation pour les lois 96 (langue française) et 21 (laïcité de l’État).

Le chef conservateur Pierre Poilievre est en désaccord avec la loi 21, et il s’est déjà montré favorable à une participation d’Ottawa à une contestation.

Le processus de contestation de la loi est en branle.

Mardi, c’était au tour du Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles d’annoncer le dépôt d’une autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

Interdire l’avortement ?

La proposition de Pierre Poilievre touche la criminalité, mais le chef pourrait bien vouloir l’utiliser à un autre escient, a pour sa part prévenu le ministre Pablo Rodriguez.

« Est-ce que, par exemple, il pourrait s’en servir pour interdire l’avortement ou toute autre mesure sociale importante pour les Canadiens ? », s’est-il inquiété à voix haute en mêlée de presse.

Alors « il peut bien dire criminalité, mais à partir du moment où il commence à l’utiliser, il s’en va jusqu’où, là ? », a aussi supputé le lieutenant de Justin Trudeau au Québec.