Voir la nature retrouver son manteau vert et ses couleurs de pétales est un spectacle parmi les plus beaux du monde. Après la dormance, les semences des plantes se préparent à sortir de terre et à participer au grand éclat estival qui nous apaise et nous soigne.

Pour reprendre la formule du biologiste américain Thor Hansen, chaque graine est un bébé qui dort avec son lunch. En effet, il suffit de le réveiller et de le mettre dans les bonnes conditions pour voir émerger une plantule.

Championnes de la résilience, certaines semences sont capables de roupiller pendant très longtemps avant de se réveiller. Ainsi, on a déjà réussi à faire germer des graines de lupins arctiques âgées d’au moins 10 000 ans, trouvées dans des terriers de lemming au Yukon. Des semences gelées qui ont entamé leur long sommeil hivernal au néolithique, alors que nos ancêtres lointains commençaient juste à se sédentariser.

Cependant, l’exemple que je veux vous faire partager dans ce texte est celui des graines de dattier trouvées pendant les fouilles de la forteresse de Massada.

Avant d’entrer au cœur de mon sujet, un petit résumé historique s’impose.

La forteresse naturelle de Massada, devenue un important site touristique israélien, est perchée en haut d’une impressionnante falaise du désert de Judée. La citadelle aurait été fortifiée vers l’an 35 av. J.-C. par le roi Hérode le Grand.

Après, Massada tombera entre les mains de rebelles juifs appelés les Sicaires. Ces redoutables guerriers, qui n’avaient pas la réputation d’être tendres avec leurs ennemis, contesteront ouvertement la domination romaine. Pour mater la révolte, l’Empire romain enverra alors une colonne de légionnaires dirigée par le général Lucius Flavius Silva.

Lorsque ce dernier arrive au pied de la falaise en 72 de notre ère, il réalise rapidement que le seul et sinueux chemin qui pouvait mener à la cité, le Sentier du serpent, était gardé par les redoutables et combatifs Sicaires. Pour ne pas risquer inutilement la vie de ses soldats, Flavius Silva opta pour un siège prolongé de la forteresse.

Les troupes romaines mettront alors des mois à construire une gigantesque rampe qui permit à l’expédition d’escalader le rocher et de prendre possession de la place. Du moins de ce qui en restait, car l’historien Titus Flavius Josèphe raconte qu’avant que les Romains n’entrent dans la cité, ses habitants avaient choisi le suicide à la reddition. La légende raconte que 960 personnes y avaient trépassé de cette façon qu’ils jugeaient plus honorable.

Cette histoire, qui inclut une forte dose de légende, a pris une grande importance symbolique dans la culture juive. Elle est même devenue un mythe fondateur israélien. Le site, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, attire chaque année des centaines de milliers de visiteurs.

Je vais cependant laisser aux historiens les détails de cette saga et arriver au sujet qui intéresse bien plus le biologiste que je suis. Après la prise de la cité par l’expédition romaine, la forteresse sera habitée par des moines chrétiens, qui, à leur tour, la quitteront vers le VIe siècle de notre ère. Massada tombera alors en ruine et dans l’oubli jusqu’à sa découverte en 1828. Puis, des fouilles y commenceront en 1963. Les archéologues y trouveront de nombreux artéfacts, mais aussi des graines du palmier dattier de Judée qui a disparu de la planète depuis très longtemps.

Ce dattier, qui produisait de gros et délicieux fruits, était cultivé sur le bord du Jourdain, de la mer Morte et du lac de Tibériade. En 2005, deux chercheuses, Sarah Sallon et Elaine Solowey, entreprennent la folle idée de faire germer ces graines.

Elles réussirent à faire pousser un de ces noyaux dont l’âge estimé par les datations au carbone 14 se situait entre 1800 et 2200 ans. Un coup d’éclat qui sera relayé par la presse scientifique à la grandeur de la planète.

En hommage au personnage le plus vieux mentionné dans l’Ancien Testament et qui aurait vécu 969 années, la plantule sera baptisée Mathusalem. Malheureusement, ceux qui espéraient goûter un jour à la datte de Judée devaient encore s’armer de patience. En cause, la plantule sortie de terre était un mâle. Il fallait lui trouver une partenaire, un pied femelle pour espérer, un jour, avoir une fécondation et une production ultérieure de fruits.

Heureusement, en 2020, d’autres jeunes palmiers, dont des femelles, ont émergé de ces vieilles semences. Donc, si la tendance se maintient, dans quelques années, ces arbres commenceront à livrer des fruits à l’humanité. On espère qu’ils produiront ces variétés de dattes disparues ou au moins des hybrides portant des caractères phénotypiques du fameux dattier de Judée. Ces dattes sont mentionnées dans la bible et ont fait saliver Pline l’Ancien, mais aussi Théophraste, qui est considéré comme le père de la botanique moderne.

Dans la nomenclature scientifique, le palmier dattier est appelé Phoenix dactylifera. Or, le phénix est un oiseau mythologique qui renaît de ses cendres. On peut donc dire que le dattier de Judée est un phénix qui est sorti des cendres de la forteresse de Massada. Comme dirait le grand Charles Tisseyre : « fascinantes sont les plantes ! »