Êtes-vous déjà allé aux Îles-de-la-Madeleine ? C’est magnifique. Probablement le plus bel endroit au Québec. J’y suis allé deux fois, je rêve d’y retourner…

Mais je crains qu’après cette chronique, les Madelinots vont me forcer à dormir dans mon char1.

La municipalité des Îles-de-la-Madeleine vient d’adopter une « redevance » de 30 $ par touriste, payable via la « Passe Archipel »2, de mai à octobre. Ceux qui ne paient pas sont passibles d’une amende de 1000 $.

Pas 30 $ pour accéder à un pont. Pas 30 $ pour accéder à un parc national. Non : 30 $ imposés à des Québécois pour accéder à une portion du territoire québécois.

La municipalité des Îles prétexte divers problèmes liés au « tourisme de masse », comme sa gestion des déchets en été, quand la population de l’archipel double. La municipalité doit envoyer ses déchets par bateau et par camion à Victoriaville. Compliqué, coûteux.

Mais le précédent est consternant : il n’existe aucun endroit au Québec où des Québécois doivent payer pour accéder à une portion de territoire. Je n’ai vu aucun élu provincial dénoncer cette mesure inusitée.

J’ajoute qu’il faudra s’enregistrer auprès de la municipalité pour accéder aux Îles. Donc, donner ses infos pour accéder, je le répète, au territoire québécois ! Du jamais vu, hors d’une urgence sécuritaire ou sanitaire.

Aucun Québécois ne doit payer pour accéder à Montréal, à Saint-Tite ou au Vieux-Québec sous prétexte de surtourisme ou autre. Et là, une ville décide que des Québécois devront payer pour accéder au territoire québécois ? C’est scandaleux, c’est liberticide.

Ai-je dit qu’il faudra payer pour accéder au territoire des Îles-de-la-Madeleine ?

Oups, le maire des Îles, Antonin Valiquette, un fin finaud, serait en désaccord avec cette formulation3 : « Y a personne qui va vous empêcher d’entrer sur le territoire des Îles-de-la-Madeleine si vous avez pas pris votre Passe Archipel, a-t-il déclaré au conseil municipal du 9 avril, y a personne qui va vous mettre en prison si vous faites l’objet d’une vérification au départ des Îles-de-la-Madeleine… »

Oh, la vérification sera faite au moment de quitter les Îles, par traversier ou par les airs ! Ce n’est donc pas un empêchement d’entrer aux Îles ! Et en plus, les contrevenants ne seront pas jetés en prison : bonus !

Le maire Valiquette dit avoir des « avis juridiques solides » pour tarifer des Québécois qui veulent avoir accès à une portion du territoire québécois. J’espère que ces avis sont plus solides que les « arguments » qu’il a servis à une citoyenne qui s’inquiétait de la légalité de tarifer l’accès aux Îles, toujours lors du conseil municipal du 9 avril : il a comparé cette taxe au droit de passage du Pont de la Confédération, qui relie l’Île-du-Prince-Édouard au continent…

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Antonin Valiquette, maire des Îles-de-la-Madeleine

Personne ne « paie » pour accéder à Laval via le pont (privé) de l’autoroute 25, en provenance de Montréal. On paie pour emprunter le pont. Laval ne perçoit pas une cenne de ce passage. La nuance est hypersimple à comprendre, je présume que le maire Valiquette n’est pas un con, alors je déduis qu’il cabotine.

Mais là où il joue à un jeu dangereux, le maire des Îles, c’est quand il parle du principe de l’utilisateur-payeur : « On demande une contribution au visiteur, parce qu’on est sur le territoire, on impose une redevance, une Passe Archipel, on y va sur le principe de l’utilisateur-payeur… »

Si le maire Valiquette veut parler du principe de l’utilisateur-payeur, on peut. On peut commencer par ce fait : si on appliquait le principe de l’utilisateur-payeur aux Îles-de-la-Madeleine, il n’y aurait pas grand-chose aux Îles…

Parce qu’avec une population de 12 000 personnes, les Îles-de-la-Madeleine ne pourraient pas se payer un hôpital, un aéroport, un port, une route principale, des profs, des flics…

Sans parler des dollars pour affronter les changements climatiques⁠: ces 32 millions pour sécuriser la route 199, Monsieur le maire, est-ce payé par les 12 000 Madelinots ? Non, c’est payé par les Québécois à qui vous voulez imposer 30 $ de frais d’entrée, euh, de sortie…

Comme Québécois, je ne veux pas qu’on commence à sortir la calculette pour savoir qui paie trop, assez ou pas assez, selon les régions. Mais si le maire Valiquette sort la sienne, on peut commencer à faire des calculs, mais les gens des Îles vont trouver que ça coûte cher, payer seuls les infrastructures qu’ils utilisent et que TOUS les Québécois paient.

Je parlais d’un précédent dangereux. J’aimerais qu’un avocat en libertés civiles teste cette Passe Archipel liberticide inusitée qui repose sur ces « avis juridiques » supposément solides. Il y a là un cas existentiel en matière de liberté de mouvement qui doit être testé.

Et ce précédent liberticide est motivé en grande partie par… la gestion des vidanges ? C’est à pleurer.

Si les Îles-de-la-Madeleine peuvent sans problème imposer une taxe d’entrée de 30 $ aux Québécois qui veulent accéder au territoire québécois des Îles-de-la-Madeleine au nom de la gestion des vidanges et autres considérations environnementales, je ne vois pas en quoi Montréal se priverait de tarifer l’entrée des Québécois ne résidant pas à Montréal, au nom du principe de l’utilisateur-payeur : est-ce à moi, contribuable montréalais, de payer pour les nids-de-poule des automobilistes du 450 (et du 418 et du 819) ?

En plus, ce serait bon pour l’environnement… Moins de chars à Montréal !

Je déconne… Mais pas autant que le maire des Îles.

Le scandale, ici, ce n’est pas qu’un maire fasse un power trip en érigeant des barrières à l’entrée du territoire québécois…

C’est le bruit assourdissant du silence de nos élus à Québec.

1. Lisez le texte « D’autres Jeux » 2. Lisez le texte « Îles-de-la-Madeleine : les visiteurs devront payer une redevance touristique de 30 $ dès l’été prochain » 3. Voyez la séance du conseil municipal du 9 avril 4. Lisez le texte « Plus de 50 millions investis pour contrer l’érosion des îles de la Madeleine depuis 2018 »