(Québec) Après Venise ou encore Amsterdam, les Îles-de-la-Madeleine représentent la dernière destination à mettre en place une redevance pour l’aider à prendre en charge les coûts associés au tourisme de masse.

L’affaire était dans l’air depuis 2022. Les autorités des Îles l’ont finalement annoncé jeudi : les visiteurs devront payer une redevance touristique de 30 $ par personne dès l’été prochain.

La municipalité assure que les sommes recueillies serviront à améliorer les infrastructures destinées aux touristes, mais aussi à payer une partie des frais encourus par la hausse importante des déchets en été, lesquels doivent être envoyés sur le continent.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Antonin Valiquette, maire des Îles-de-la-Madeleine

Cette redevance est mise en place dans un contexte où les municipalités cherchent par tous les moyens à augmenter leurs revenus. Le gouvernement québécois leur a donné la possibilité de percevoir de telles redevances en 2017.

« Grâce au paiement de la Passe Archipel, les visiteurs soutiendront la préservation de l’environnement naturel de l’archipel et l’amélioration des infrastructures récréotouristiques », a assuré le maire des Îles, Antonin Valiquette.

La redevance de 30 $ devra être payée par les visiteurs entre le 1er mai et le 14 octobre. Les résidants et les propriétaires de maison secondaire en sont exemptés. Les enfants de 12 ans et moins aussi. Un maximum de 100 $ par famille a été décrété.

La municipalité fait valoir que puisque le séjour moyen aux Îles-de-la-Madeleine est de 10 nuitées, la redevance « représente donc une somme de 3 $ par jour pour bénéficier de tout ce que les Îles ont à offrir ». L’archipel reçoit bon an mal an 70 000 touristes.

La perception de la taxe se fera sur une plateforme en ligne qui sera lancée le 1er mai. « Le visiteur acquittera sa Passe Archipel via une plateforme de paiement sécurisée générant un code QR de confirmation qui sera validé à la sortie du territoire », peut-on lire sur le site de la municipalité.

Qu’arrivera-t-il aux touristes récalcitrants ? La municipalité avertit qu’ils seront passibles d’une amende de 1000 $ en vertu d’un règlement municipal. Des employés municipaux pourront demander aux visiteurs leur code QR.

Des déchets envoyés à Victoriaville

La municipalité espère à terme toucher 1 million par année avec la redevance. Le maire des Îles-de-la-Madeleine explique en entrevue que les sommes recueillies doivent être injectées dans un tout nouveau Fonds de gestion durable du territoire. Le Fonds servira par exemple à payer l’entretien des plages, l’établissement d’un nouveau parc régional ou encore la gestion des déchets.

Les Îles n’ont ni site d’enfouissement ni incinérateur. Les déchets sont donc envoyés par bateau puis par camion dans un centre d’enfouissement de Victoriaville, ce qui entraîne des dépenses importantes, notamment en été quand la population de l’archipel double.

« La gestion des matières résiduelles représente 18 % des dépenses de la municipalité. C’est énorme », laisse tomber le maire Antonin Valiquette. « Et jusqu’à aujourd’hui, les Madelinots étaient les seuls à payer pour ces services. »

La mise en place de la redevance n’a pas suscité de levée de boucliers à la Chambre de commerce des Îles-de-la-Madeleine. Son directeur général dit comprendre pourquoi la municipalité a besoin d’argent. « La capacité des citoyens des Îles de payer devient limitée », indique Alexandre Lavoie.

« On comprend. Par contre, on a certaines inquiétudes. On ne veut pas décourager les gens de venir. Le tourisme est le deuxième secteur économique le plus important avec la pêche ici, alors il ne faut pas trop jouer avec ça », ajoute M. Lavoie.

Le directeur de la Chambre de commerce note que le secteur touristique devra faire un bilan l’automne prochain pour voir si la redevance a fonctionné ou pas.

« C’est sûr que le timing n’est peut-être pas le meilleur avec le contexte économique et l’inflation. Est-ce que des familles pourraient être découragées de venir aux Îles à cause de la redevance ? Il faudra surveiller ça. »

Pionnier du Québec

Le maire des Îles indique que sa municipalité a dû agir « en pionnier » pour mettre en place la redevance. Il n’existe pas vraiment d’exemple similaire au Québec.

La municipalité de Percé a aussi tenté de mettre en place une redevance touristique. Mais cette dernière a été contestée devant les tribunaux avec succès par des commerçants, qui étaient responsables de la percevoir.

La Cour supérieure a décrété que les municipalités ne peuvent faire percevoir la redevance par d’autres, à moins d’avoir leur accord. Or, plusieurs commerçants de Percé s’opposaient à la redevance de 1 $ qu’on leur avait demandé de percevoir sur chaque tranche de 20 $ d’achats faits par des visiteurs.

Dans le cas des Îles, il semble que la mise en place d’une plateforme de paiement contourne cet écueil. Le maire confirme que la municipalité a obtenu des avis juridiques pour s’assurer du bien-fondé de son règlement.

Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’UQAM, pense que la redevance mise en place aux Îles est « audacieuse » et « intelligente ».

« Les touristes parfois contribuent, malgré eux, à la dégradation de certains milieux. Leur donner la possibilité de contribuer, c’est gagnant-gagnant, dit-il. Plutôt que de dire que le tourisme est un problème, c’est dire que le tourisme fait partie de la solution. »

Plusieurs grandes destinations prisées des touristes imposent des redevances ou des taxes à travers le monde. À Amsterdam, la Ville impose depuis des années une taxe sur les nuitées. En 2024, cette taxe a grimpé substantiellement pour atteindre 12,5 % de la facture d’hôtel ou d’Airbnb.

Venise a quant à elle mis en place cette année une taxe pour les visiteurs journaliers – ceux qui ne dorment pas sur place – de 5 euros. M. Vachon cite aussi la Crète ou encore le Bhoutan.

Le titulaire de la Chaire de tourisme Transat serait surpris que le modèle des Îles se multiplie au Québec. Selon lui, la même redevance serait difficile à percevoir dans un contexte qui n’est pas insulaire. Comment savoir si les gens couchent sur les lieux ou ne font que passer, par exemple ?

« En plus, les Îles-de-la-Madeleine, c’est un produit d’appel très fort, un peu à la Disney, dit-il. On a une offre unique, beaucoup de gens veulent y aller, alors on peut se permettre de demander quelque chose. »