(La Visitation-de-l’Île-Dupas) En perte d’autonomie, Suzanne Leblanc est contrainte d’utiliser une toilette sèche et se lave à la débarbouillette, car elle ne peut adapter sa maison en raison des règles de zone inondable. Malgré le soutien de sa municipalité, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) ne permet aucune exception.

« Je suis super bien ici. Je suis à côté de l’eau tous les matins. Je déjeune en regardant l’eau. Des fois, il y a des poissons qui sautent. Il y a des oiseaux », dit Mme Leblanc, en jetant un regard vers sa fenêtre, qui s’ouvre sur un bras du fleuve Saint-Laurent.

Dans son domicile logé au bout de l’île Dupas, situé dans l’archipel du Lac-Saint-Pierre, elle a tout ce qu’elle souhaite : un logis abordable, le droit d’avoir des animaux de compagnie, la tranquillité. Sauf qu’elle n’a pas de toilette au rez-de-chaussée. C’est un problème majeur, car depuis quelques années, elle ne peut plus gravir les escaliers en raison de son état de santé.

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Elle croyait que son problème serait résolu lorsqu’elle a obtenu une subvention lui permettant de construire une salle de bains dans une annexe érigée au rez-de-chaussée de son logis, sur la recommandation de la Société de l’habitation du Québec.

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La pointe sud-ouest de la municipalité de La Visitation-de-l’Île-Dupas

Mais sa joie a été de courte durée : elle s’est heurtée aux règles strictes édictées par le ministère de l’Environnement en 2022 pour les propriétaires de maisons situées en zone inondable.

« Au début, ma fille voulait venir s’installer ici, on aurait fait un agrandissement, elle aurait pu s’occuper de moi. Mais ils n’ont pas voulu. Ils ne veulent même pas que j’ajoute une salle de bains. Regarde ce que j’ai comme toilette », lance Mme Leblanc en montrant du doigt une toilette sèche, installée entre sa cuisine et sa salle à manger.

Blocage

Le maire de La Visitation-de-l’Île-Dupas, Alain Goyette, a pris fait et cause pour sa concitoyenne. Son sort, et celui des autres résidants « prisonniers » des zones inondables, l’émeut, d’autant plus que le ministère de l’Environnement se fie à des cotes de crues « caduques », selon un rapport de la firme de génie WSP commandée par la MRC d’Autray en 2017.

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Alain Goyette, maire de La Visitation-de-l’Île-Dupas

Malgré tout le mal qu’il pense de la réglementation en vigueur, son administration n’a pas le droit de délivrer un permis de construction. « Le plancher de la salle de bains aurait été en bas de la cote de crues de 100 ans, ce qui est interdit. Mais si on met une marche, ça ne fonctionne plus pour Mme Leblanc. Et de toute façon, il est interdit de planter des pieux », laisse-t-il tomber.

Dans le combat qu’elle mène, elle a pourtant le soutien de la direction du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées du CISSS de Lanaudière, qui a rédigé une lettre d’appui.

« Nous espérons vous faire prendre conscience des nombreuses difficultés vécues par Mme Leblanc et sensibiliser les décideurs aux possibilités qui existent pour elle. Mme Leblanc pourrait dorénavant avoir un environnement adapté à ses besoins si la réglementation, qui ne tient pas compte de ses besoins de base et de la particularité de sa situation, pouvait être modifiée », peut-on lire dans la lettre rédigée par le CISSS le 20 octobre 2023.

Le maire Alain Goyette en a pris bonne note. Et il a décroché le téléphone pour plaider la cause de Mme Leblanc auprès du ministère de l’Environnement.

Le gars du ministère de l’Environnement m’a dit : “Il va falloir qu’elle parte, il n’y a pas d’exception humanitaire.” C’est dur… Et à force de le pousser à bout, il m’a dit : “Appelez un journaliste”.

Alain Goyette, maire de La Visitation-de-l’Île-Dupas

Au ministère de l’Environnement, on confirme qu’aucune exception n’est possible. « Le régime transitoire ne prévoit pas de mécanisme permettant de faire des exceptions pour des cas particuliers. Il impose des règles uniformes pour l’ensemble du territoire du Québec », indique Josée Guimond, relationniste de presse.

Pour Mme Leblanc, quitter sa résidence ne fait pas partie des plans. « Les autres places, c’est trop cher, je ne suis pas capable de partir », lance-t-elle. « La population est vieillissante ici. Je ne suis pas la seule qui va être de même. On ne veut pas aller dans les maisons pour vieux tout le temps », ajoute-t-elle.

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Les maires du bassin du lac Saint-Pierre mettent en doute la validité des cartes utilisées par le ministère de l’Environnement.

La colère gronde

Parmi les maires du bassin du lac Saint-Pierre, la colère gronde. Les règles de 2022 ne passent pas, et certains élus craignent que le nouveau régime qui doit être déposé par le ministre Benoit Charette (voir autre texte) soit pire. M. Goyette a convié ses collègues à une réunion au début du mois de mars.

Dans un premier temps, les maires mettent en doute la validité des cartes utilisées par le ministère de l’Environnement. Un rapport commandé par la MRC et rédigé par l’hydrologue Pierre Dupuis conclut que « les cotes retenues par le gouvernement du Québec pour produire les cartes de zones inondables en 2013 sont trop hautes et inexactes » et qu’elles « doivent donc être considérées comme caduques ».

M. Dupuis, maintenant à la Communauté métropolitaine de Montréal, estime que le gouvernement du Québec surestime les cotes de crues d’environ un demi-mètre, ce qui a une incidence importante sur les cartes de zones inondables dans un territoire aussi plat. Malgré tout, dénonce M. Goyette, le gouvernement n’a pas bougé. Le Ministère rétorque qu’une « mise à jour de cette cartographie devra être effectuée en tenant compte des exigences méthodologiques minimales du MELCCFP ».

Le maire de Saint-Barthélemy, Robert Sylvestre, et le maire de Lanoraie, l’ancien député péquiste André Villeneuve, appuient le maire Goyette. Les règles mises en place par l’État risquent de faire tout perdre aux propriétaires de maisons situées en zone inondable, dénoncent-ils.

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Robert Sylvestre, maire de Saint-Barthélemy, a en main les conclusions du rapport Dupuis qui souligne que les cartes du ministère de l’Environnement sont caduques.

La maison, c’est le patrimoine. Lorsqu’ils vont tenter de vendre leur maison, ce sera à quel prix si l’acheteur qui s’en vient ne peut pas avoir un prêt hypothécaire ? Les valeurs vont s’effondrer probablement. Et ils ne peuvent pas modifier leur maison, même pas faire agrandir des fenêtres.

Robert Sylvestre, maire de Saint-Barthélemy

« Une maison, c’est le fruit de toute une vie de travail, et du jour au lendemain, tout ça est mis en péril. […] C’est fou raide », ajoute M. Villeneuve.

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André Villeneuve, maire de Lanoraie et ancien député péquiste

Mais qu’en disent les députés locaux ? « C’est le détachement des élus qui m’a surpris. Ce qu’ils nous disent, c’est tout simplement qu’ils ne veulent plus de monde dans les zones inondables. Ils ne veulent plus payer. “On ne veut plus payer pour ça”, c’est ce qui revient tout le temps », souligne Alain Goyette.

Les maires exigent maintenant que le gouvernement du Québec montre les nouvelles cartes de zone inondable avant d’adopter un règlement, plutôt que l’inverse, pour que les citoyens concernés puissent réagir. Ils veulent des règles adoucies pour les propriétaires de maisons « immunisées », et surtout, ils demandent un mécanisme « d’appel » lorsqu’un citoyen, comme Suzanne Leblanc, est lésé.

« Lorsque les inconvénients sur la vie de quelqu’un sont plus graves que le préjudice causé, ça prend des exceptions », laisse tomber M. Goyette.