(Ottawa) Le Bloc québécois veut que les éléments visant à s’attaquer aux discours haineux dans un projet de loi du gouvernement Trudeau sur la sécurité en ligne soient isolés dans une pièce législative distincte plutôt qu’« agglutinés » avec d’autres aspects destinés à la lutte contre l’exploitation sexuelle ainsi que la protection des mineurs, lesquels font à son avis « large consensus ».

Les députés bloquistes Rhéal Fortin et Alain Therrien ont donc récemment écrit une lettre au ministre de la Justice, Arif Virani, et au leader parlementaire des libéraux, Steven MacKinnon, pour inciter les troupes du premier ministre Justin Trudeau à « scinder » la pièce législative telle que proposée, C-63.

La missive ne s’est pas encore suivie d’une réponse, mais une porte-parole du ministre Virania défendu lundi la façon dont le projet de loi « est délibérément conçu ».

« La question du discours haineux […] risque d’entraîner un débat plus important qui pourrait, à terme, mettre en péril l’adoption de C-63 avant l’automne 2025 », peut-on lire dans la missive.

MM Fortin et Therrien, respectivement porte-parole en matière de justice et leader en Chambre pour leur parti, font aussi valoir que l’approche bloquiste, si mise de l’avant, entraînera « des discussions en Chambre plus sereines sur des enjeux distincts ».

Au cours d’une entrevue accordée vendredi, M. Fortin s’est imaginé à voix haute la situation qui pourrait selon lui se produire sans séparation en deux. « On est en comité, au comité de la justice, on doit regarder C-63. Je fais témoigner qui ? Ce sont deux sujets différents, a-t-il dit. J’ai pratiquement besoin du double de temps. »

L’élu a noté que le nombre d’heures dédiées à l’étude du projet de loi en comité peut être allongé. « Mais je vais entremêler ces deux sujets-là et je pense que ce serait au détriment de l’un ou l’autre des deux sujets », a-t-il résumé.

Craintes pour la liberté d’expression

Au chapitre des façons de s’attaquer aux discours haineux, le Bloc québécois a une position connue de longue date quant à ce qu’il appelle communément « l’exception religieuse » du Code criminel. La formation politique fait pression pour que ce dernier soit modifié afin qu’une personne accusée de fomenter la haine ne puisse plus, en vertu d’un article, être acquittée parce qu’elle a « de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument ».

Questionné sur ce point, M. Fortin a répondu qu’il « ne peu[t] minimiser, mais il n’y a pas seulement ça » qui motive la demande bloquiste en ce qui a trait à C-63.

« Il y a tout l’aspect de la liberté d’expression qui entre en jeu et dont il faut se préoccuper aussi », a-t-il dit.

Plusieurs pans du projet de loi ont grandement attiré l’attention et ont suscité des critiques.

Les libéraux entendent modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne pour définir comme de la discrimination le fait de publier des propos haineux.

Cela aurait pour effet de revisiter une section de la législation qui avait été supprimée par l’ex-gouvernement conservateur de Stephen Harper en raison de critiques dénonçant une violation du droit à la liberté d’expression.

D’autres éléments visent à augmenter les peines maximales pour propagande haineuse et à ajouter au Code criminel une infraction distincte pour crimes haineux.

« Large consensus »

Dans la lettre qu’il a co-signée, on peut lire que le Bloc est « d’avis qu’un large consensus se dégage des […] parties de C-63 portant sur la pornographie juvénile, ce qui pourrait permettre une adoption rapide, peut-être même unanime, d’un premier projet de loi ».

Le porte-parole bloquiste en matière de justice a ajouté des nuances en entrevue, soutenant qu’un projet de loi portant seulement sur ces éléments susciterait tout de même des débats entre partis politiques durant lesquels sa formation proposerait des amendements.

« Il n’y a personne qui va avoir envie de faire du filibustering sur le projet de loi qui cherche à combattre la pornographie juvénile. En tout cas, j’ai de la misère à me l’imaginer », a-t-il dit en faisant référence à des tactiques d’obstruction parlementaire.

Les libéraux ont notamment proposé d’obliger le retrait de contenus dans les 24 heures aux plateformes de réseaux sociaux dans les cas de signalement de publications « représentant de la victimisation sexuelle d’enfants » ou des images intimes partagées de façon non consensuelle. Cette exigence s’appliquerait aussi aux services de diffusion en continu et aux sites web de contenu pour adultes accessible au moyen de téléchargement.

La sénatrice Julie Miville-Dechêne met de l’avant, dans son projet de loi S210, une approche différente et jusqu’ici exclue par le gouvernement. Sa proposition, si elle entrait en vigueur, forcerait les sites pornographiques à s’assurer qu’aucune personne mineure n’ait accès à leur contenu, au moyen d’un mécanisme de vérification de l’âge.

Les conservateurs, de même que le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique, ont voté en faveur de cette proposition, désormais étudiée plus en détail par un comité de la Chambre des communes.

Le ministre Virani n’était pas disponible lundi pour une entrevue, selon ce qu’a indiqué son équipe. « Même s’il comporte plusieurs parties, (C-63) est délibérément conçu pour aborder l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés dans la lutte contre les préjudices en ligne », a soutenu l’attachée de presse Chantalle Aubertin.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Justice, Arif Virani

La semaine dernière, elle avait fourni une déclaration similaire, mais en anglais, à une question qui lui était posée dans cette langue par La Presse Canadienne.

La porte-parolerépondait alors à une autre demande de scinder C-63, mais d’une tout autre façon que le Bloc le souhaite. Plus de 15 groupes, dont l’Association canadienne des libertés civiles et l’organisation Canadiens unis contre la haine, veulent que les changements proposés au Code criminel et ceux à la Loi canadienne sur les droits de la personne soient isolés, de part et d’autre.

« Ne rien faire pour contrer les discours haineux et crime motivés par la haine signifie que nous aurions échoué dans notre devoir de protéger les Canadiens peu importe où ils sont », avait alors ajouté Mme Aubertin.

Les libéraux promettent de légiférer contre le contenu préjudiciable en ligne depuis la campagne électorale fédérale de 2019.

Le projet de loi C-63 a été déposé par le gouvernement en février. Il n’a pas encore cheminé dans son étude parlementaire.

Avec des informations de Stéphanie Taylor