Ce sont deux des plus grands terrains en friche à Montréal. Deux sites qui ont fait l’objet de nombreux scénarios, espoirs et déceptions, dans la dernière décennie. Et deux secteurs où on sent – enfin – du mouvement.

Coup sur coup, en une dizaine de jours, les quartiers de Bridge-Bonaventure et de l’ancien hippodrome Blue Bonnets ont fait l’objet d’annonces assez encourageantes.

La première pelletée de terre n’aura pas lieu demain matin, surtout pas à l’hippodrome, où la Ville caresse un redéveloppement depuis 2012. Mais plusieurs ingrédients semblent être réunis, cette fois, pour que ça débloque plus tôt que tard.

Le potentiel combiné de ces deux sites est gigantesque : plus de 35 000 logements.

La clé de voûte, peu sexy mais essentielle, touchera le financement des infrastructures nécessaires pour accueillir ces quartiers de l’avenir. Il faut bien commencer quelque part, et on approche de la ligne de départ.

Bridge-Bonaventure, d’abord. C’est le quartier de tous les possibles, mais aussi de toutes les complexités1.

Ce secteur de 2,3 km⁠2 est enclavé entre le Vieux-Montréal, Griffintown et Pointe-Saint-Charles. Il est traversé par des canaux, des chemins de fer et une autoroute. Les terrains sont détenus par plusieurs propriétaires et lourdement contaminés. Il y aura des éléments patrimoniaux à conserver et des industries à garder en activité.

Bref, un joli casse-tête.

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Délimitation du secteur Bridge-Bonaventure

Un premier morceau semble bientôt vouloir se mettre en place. Le démarrage du mégachantier pourrait se faire en 2025 autour du bassin Wellington, sur des terrains fédéraux détenus par la Société immobilière du Canada (SIC).

Le plan directeur – et les images – présenté par la SIC fait rêver.

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Illustration du plan directeur pour le secteur du bassin Wellington à Montréal, tel que présenté par la Société immobilière du Canada

Il est prévu d’excaver et de décontaminer le bassin Wellington, où une plage serait créée. De construire un immeuble « iconique » de 40 étages et plusieurs autres bâtiments totalisant 2800 logements, dont 1000 sociaux et abordables. D’aménager trois parcs, des locaux communautaires, une nouvelle station du Réseau express métropolitain…

C’est ambitieux et inspirant. Mais au-delà du rêve, cela m’apparaît surtout faisable.

La SIC a déjà réalisé d’autres projets du genre ailleurs au Canada et ici même à Montréal. Elle a entre autres redéveloppé des terrains lui appartenant à Benny Farm, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, ainsi que dans Griffintown, avec son projet des Bassins du Havre. Plus de 2500 logements ont été créés dans ces deux sites.

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Illustration du plan directeur pour le secteur du bassin Wellington à Montréal, tel que présenté par la Société immobilière du Canada

Je comprends les sceptiques, cela dit. Écrire « gouvernement fédéral » et « efficacité » dans la même phrase est une rare occurrence ces jours-ci. Mais la SIC, qui est autofinancée et dotée d’une mission commerciale très claire, a donné tout un coup d’accélérateur au projet du bassin Wellington en 2023.

Le groupe a repris les études déjà réalisées par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Elles lui ont servi de base pour réaliser une nouvelle consultation rapide – un mot-clé, ici – auprès de plus de 70 acteurs communautaires, publics et privés.

Ce nouveau tour de roue lui a permis de pondre un plan directeur qui guidera toutes les prochaines étapes. La SIC ne construira pas elle-même les parcs et bâtiments du futur quartier, mais elle donnera le coup d’envoi en réalisant avec ses propres fonds la décontamination au coût de 77 millions de dollars.

L’emplacement précis de chaque rue, chaque bâtiment, chaque parc et chaque infrastructure souterraine sera décidé par la SIC. La Ville de Montréal devra ensuite donner des autorisations par rapport au zonage, et s’entendre sur une formule pour le partage des coûts de construction des infrastructures, comme les égouts et les rues.

Ce sera le nerf de la guerre.

Des réunions se tiennent chaque semaine avec des élus de l’administration Plante, m’a indiqué un vice-président de la SIC, et « la cadence s’est accélérée » dans les derniers mois. La collaboration serait même excellente.

Une fois que le plan directeur aura été coulé dans le béton, la SIC revendra différents lots à des promoteurs privés et des organismes à but non lucratif (OBNL). Ils auront l’obligation de respecter la vision d’ensemble du projet, avec un mélange de condos, de logements sociaux et de locaux commerciaux.

Si la revitalisation du bassin Wellington réussit, ce qui me semble assez probable, elle pourrait servir de bougie d’allumage au redéveloppement plus vaste de tout le secteur Bridge-Bonaventure.

Un groupe de travail piloté par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) a proposé vendredi des pistes intéressantes pour faire débloquer les prochaines étapes de ce mégaprojet. Parmi celles-ci : la création d’un OBNL, qui serait responsable de financer et de concevoir les infrastructures souterraines pour l’ensemble du site – une facture évaluée à plus de 440 millions.

D’autres projets montréalais de revitalisation urbaine – des histoires à succès – ont utilisé ce modèle d’OBNL, qu’on pense au Technopôle Angus, au Quartier international ou encore au Quartier des spectacles.

Le groupe de la CCMM propose aussi de rehausser la densité permise dans Bridge-Bonaventure. Il suggère la construction de 15 000 logements, incluant un volet social, soit beaucoup plus que les 7600 visés jusqu’ici par l’administration Plante.

Ce sera une condition difficile à contourner pour rentabiliser les investissements énormes requis. Il y aura des accrochages, c’est clair, puisque bien des citoyens et groupes communautaires préféreraient une densité plus faible et une majorité de logements sociaux.

Mais j’ai l’impression qu’un certain pragmatisme prévaudra au sein de l’administration Plante. Elle vient d’en démontrer une bonne dose pour faire progresser un autre projet qui pataugeait dans le marasme : celui de l’ancien hippodrome.

C’est la grande nouveauté de ce qui a été annoncé vendredi dernier, lorsque la Ville a dévoilé le plan directeur de « l’Écoquartier Namur-Hippodrome » : la densité du site a été fortement rehaussée. Plutôt que les 13 000 logements évoqués jusqu’ici, la cible a été portée à 20 000.

Du lot, 10 000 seraient protégés « du marché spéculatif » par différents mécanismes2. Ce serait extraordinairement bienvenu pour les ménages moins nantis, même si plusieurs questions bien légitimes persistent sur la façon d’y parvenir.

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Le plan directeur de la Ville pour le projet de l’écoquartier Namur-Hippodrome

Dans tous les cas, les nouveaux seuils de densité plus élevés auront sans doute le mérite d’intéresser davantage de promoteurs privés, eux qui avaient unanimement boudé un premier appel d’offres3.

Les discussions sur le financement des infrastructures de ce nouveau quartier, évaluées à plus de 1,4 milliard, progressent. Il y a du mouvement. Un groupe de travail créé en 2023 et présidé par deux ténors de l’immobilier – Pierre Boivin, de Claridge, et Janie Béïque, du Fonds de solidarité FTQ – a reçu 6 millions pour poursuivre l’élaboration du modèle d’affaires du futur quartier.

Six millions : une goutte d’eau dans l’océan de milliards que coûtera ce projet.

Mais ce que j’en retiens surtout, c’est que Québec, Ottawa, la Ville de Montréal, la Banque de l’infrastructure du Canada, le secteur privé et le communautaire travaillent de pair pour essayer de trouver des solutions financières viables. Un degré de collaboration inédit, qui reflète l’ampleur sans précédent de la crise du logement.

1. Lisez l’article « La vie, la ville : comment rêver le secteur Bridge-Bonaventure ? » 2. Lisez l’article « Montréal : 20 000 logements sur le site de l’ancien hippodrome » 3. Lisez l’article « Faux départ à l’hippodrome »