L’appel d’offres pour la vente d’un terrain ne reçoit aucune soumission

Il faudra encore patienter avant que le secteur privé ne fasse sortir de terre des logements sur le site de l’ancien hippodrome à Montréal.

L’appel visant la vente d’un terrain dans le but de construire 60 % de condos abordables n’a suscité aucune offre de la part des promoteurs privés, a appris La Presse.

« Pour votre information, la Ville de Montréal n’a reçu aucune soumission pour l’acquisition du lot », est-il écrit dans un courriel envoyé par le service des immeubles aux promoteurs qui ont demandé une copie du cahier d’appel. Le but de la communication était de savoir pourquoi les promoteurs n’avaient pas répondu à l’appel.

Le sort de l’hippodrome est important, parce qu’il s’agit d’un vaste terrain appartenant à la Ville de Montréal et largement non contaminé. C’est Québec qui a cédé gracieusement le terrain à Montréal en 2017, après cinq années de négociation. Les deux partenaires doivent se partager les recettes de la vente des terrains. Des courses de chevaux se sont tenues à l’hippodrome de 1907 à 2009.

Dans le contexte de la crise du logement, la Ville dispose de tous les leviers dans ce secteur pour faire bâtir environ 6000 logements, lesquels contribueraient à rééquilibrer le marché au bénéfice des Montréalais à la recherche d’un toit à un coût raisonnable.

Depuis dix ans, la Ville de Montréal annonce sans suite le lotissement des anciens terrains de l’hippodrome dans le nord-ouest de la ville, près du boulevard Décarie, à la hauteur de la station de métro Namur.

En août et en octobre dernier, l’administration Plante a lancé les deux premiers appels d’offres sur ce vaste terrain de 43 hectares. Les deux lots représentent environ 4 % de la superficie totale.

Le premier appel d’offres de septembre 2022 était réservé aux OSBL. Il visait la vente d’un terrain au prix de 4,5 millions de dollars en échange de l’engagement de construire 200 logements locatifs abordables dans un immeuble de 8 étages maximum. La Ville est en train d’analyser les soumissions reçues.

Trop de critères, pas assez d’information

L’appel d’offres du mois d’octobre était ouvert à tous et concernait la vente d’un terrain de 4208 mètres carrés au prix minimum de 10 millions en échange de la construction de logements en copropriété dont 60 % devaient se qualifier comme étant du logement abordable pendant 30 ans.

« La Ville demandait 10 millions ou 55 $ du pied carré bâtissable, ce qui n’est pas donné dans ce secteur de la ville, explique au téléphone un promoteur, qui ne veut pas être nommé pour ne pas nuire à ses relations avec les autorités. On ne connaît pas les détails du plan d’ensemble du secteur ni son calendrier de réalisation, ce qui pose le risque que le bâtiment soit isolé longtemps. En plus, la Ville demande d’énormes garanties financières pour protéger le caractère abordable du logement. Pas surprenant qu’aucun promoteur n’ait signalé son intérêt. »

« Je ne suis pas vraiment surprise de l’absence d’intérêt des promoteurs privés », commente de son côté la professeure de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Danielle Pilette, spécialiste des questions d’aménagement urbain.

Cette administration a une attitude ambiguë par rapport au développement privé. Oui, elle dit vouloir du développement privé. Si ça fonctionne, tant mieux. Mais mon hypothèse, c’est que la Ville de Montréal est beaucoup plus intéressée à du logement social.

Danielle Pilette, professeure à l’UQAM spécialisée en gestion municipale

L’universitaire, qui a pris connaissance du cahier d’appel, a constaté les nombreuses contraintes que la Ville imposait aux promoteurs privés dans un contexte économique difficile avec la montée des taux d’intérêt. Elle donne en exemple l’interdiction de cases de stationnement extérieures et l’obligation de réserver une case de stationnement sur trois à l’autopartage.

« Étant donné l’hésitation du privé dans le contexte économique actuel, le moment est propice pour les gouvernements d’investir dans le logement communautaire », renchérit Édith Cyr, DG du groupe de ressources techniques Bâtir son quartier.

Du côté de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), lobby des promoteurs, on avait entendu que les conditions exigées par la Ville dans ce dossier ne permettaient pas d’arriver à une entente.

« Il n’y a pas de vision de développement pour les 96 % de la superficie qui restent. Pour être franc, c’est peut-être en partie l’un des problèmes de sa proposition de vente », indique à La Presse son PDG Jean-Marc Fournier.

Le patron de l’IDU suggère que Montréal et Québec fassent équipe pour mettre en valeur les terrains de l’hippodrome. La province paierait les infrastructures dans un premier temps et Montréal rembourserait une partie de la facture avec les impôts fonciers récoltés ultérieurement.

Réactions politiques

« L’objectif [de l’appel d’offres destiné au privé] était de tester la réponse de l’industrie sur ce nouveau mode de mise en marché de terrains de la Ville. On prévoit sonder nos partenaires pour identifier les raisons derrière ce manque d’intérêt. Ce mode de fonctionnement expérimental venait avec des risques, mais on était prêts à les accepter pour pouvoir identifier les meilleures stratégies pour accélérer le développement du reste du secteur et ailleurs à Montréal », a réagi le comité exécutif de la Ville, dans un courriel envoyé à La Presse.

L’opposition demande à l’administration Plante de dévoiler sa vision d’ensemble pour le secteur.

« Malheureusement, les nombreuses barrières et conditions mises en place par l’administration Plante pour développer des logements abordables à Montréal font fuir les promoteurs. Ce n’est pas avec des projets à la pièce que Projet Montréal va favoriser le développement du secteur de l’ancien hippodrome. Pour que la volonté de nos partenaires soit au rendez-vous, l’administration doit leur donner l’heure juste sur le projet et leur présenter une vision d’ensemble qui intègre à la fois du logement abordable, une desserte en transport collectif et de l’agriculture urbaine », dit Aref Salem, chef de l’opposition officielle.

Dix ans plus tard, toujours rien

Octobre 2009
Fin des courses de chevaux

Mars 2012
Le maire Gérald Tremblay annonce la cession du site par Québec à la Ville de Montréal.

Octobre 2012
La Ville annonce le réaménagement du site en 5 phases de 2017 à 2026, entre 5000 et 8000 logements sont prévus.

Octobre 2014
Le maire Denis Coderre révèle que l’entente entre Québec et Montréal concernant la cession du terrain n’est pas encore signée.

Juin 2017
L’entente de cession est finalement signée. Montréal prévoit la construction de 5000 logements, dont 30 % de logement abordable.

Octobre 2017
Projet Montréal veut en faire un quartier familial, avec 60 % de logements de 3 chambres.

2018
Démolition des bâtiments sur le site

Août 2019
La mairesse Valérie Plante annonce un projet vert et d’avant-garde de 8000 logements.

Octobre 2019
Les ambitions de la Ville sont réduites à 6000 logements, le futur quartier sera carboneutre.

Octobre 2020
Le rapport de l’Office de consultation publique de Montréal remet en question la viabilité du projet, notamment en raison de la congestion routière dans le secteur.

Octobre 2021
Montréal cible les terrains de l’hippodrome comme l’un des quatre futurs écoquartiers, carboneutres. Il doit compter 7500 logements, dont 2000 sociaux et 2000 abordables. On prévoit un aménagement sur deux à cinq ans.

22 août 2022
Lancement d’un premier appel d’offres réservé aux OSBL pour la construction de 200 logements 100 % abordables. Environ 6000 logements sont prévus. Les résultats n’ont pas encore été dévoilés.

17 octobre 2022
Lancement d’un second appel d’offres pour la vente d’un terrain à un prix minimum de 10 millions en contrepartie de la construction d’un minimum de 60 % de logements abordables pendant 30 ans. L’offre n’a suscité aucune soumission.