« Je m’attendais à une augmentation de loyer de 5 % ou 10 %, mais jamais à ça ! »

Jocelyn Bouchard s’est installé à Candiac, en juillet 2022. Il arrivait de Québec et il compte devenir propriétaire dans un avenir rapproché. Il a donc opté pour un appartement dans un immeuble neuf, d’environ 80 logements. Déjà, à la signature, le loyer n’était pas donné : 1475 $ pour un 4 ½, mais il y a un bon espace d’entreposage et un garage, ce qui lui convenait parfaitement.

À compter de juillet prochain, c’est 1750 $ qu’il devra débourser, pour le même appartement. Une hausse de pratiquement 20 %. Nettement au-delà des augmentations proposées la semaine dernière par le Tribunal administratif du logement.

Comment est-ce possible ?

Si vous êtes locataire d’un immeuble construit (et non rénové) depuis cinq ans ou moins, vous êtes tenu d’accepter l’augmentation, car vous n’avez pas la protection du Tribunal administratif.

« En cas de refus de l’augmentation proposée par le locateur, le locataire doit quitter le logement à la fin du bail », précise le service des communications du Tribunal. À moins d’une exception convenue à la signature.

C’est ce qu’on appelle la clause F, du nom de la section du bail où elle apparaît.

Jocelyn Bouchard était pleinement conscient de l’existence de cette disposition qui donne le gros bout du bâton au propriétaire, lorsque vient le temps d’ajuster le loyer. Il se doutait bien, avec l’inflation, de recevoir un avis d’augmentation. Lorsque le courriel est finalement entré, il est resté « bouche bée ».

« Je suis en discussion avec la propriétaire », dit ce locataire qui a peu d’espoir d’arriver à une entente.

« Ça risque d’être mon dernier logement », précise Jocelyn. Déménager une dernière fois pour ensuite devenir lui-même propriétaire ne l’enchante pas. Alors il va revoir son budget pour y inclure l’augmentation. Mais c’est le montant de sa mise de fonds qui sera réduit…

La fameuse clause F

Cette disposition du bail n’est pas nouvelle, mais on en entend beaucoup plus parler depuis deux ou trois ans, concède Marc-André Plante, directeur affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, la CORPIQ.

Tout simplement parce que le contexte économique fait qu’elle est appliquée davantage. Et que les hausses de loyer sont généralement plus élevées, parfois à la grande surprise des locataires.

On construit en densité, de gros projets. Entre le moment où tu planifies ton permis avec la municipalité, le moment de la mise en chantier et tout le reste, les coûts peuvent varier. Ce qui fait que c’est très difficile de prévoir que le 4 ½ va être à 1500 $ ou à 1200 $.

Marc-André Plante, directeur affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

L’inflation, la hausse du prix des matériaux, la succession des hausses des taux d’intérêt, la pénurie de la main-d’œuvre et hausse des salaires ainsi que les retards de livraison rendent l’art de la prévisibilité des loyers plus ardu et les augmentations pour rattraper l’investissement plus notables, voire spectaculaires.

La clause F est donc un outil de stabilisation qui souffre, de toute évidence, d’un problème de compréhension, en partie parce qu’elle n’est pas clairement expliquée au moment de la signature du bail.

Une année pas facile

Si les promoteurs et les propriétaires souffrent des pressions économiques actuelles, il en est de même pour les locataires.

La clause F a des répercussions non négligeables sur la vie, dit Jean-Philippe Bergeron.

En 2018, avec sa grande amie, il décide de faire le saut : appartement neuf sur deux étages dans le quartier Limoilou, à Québec.

Loyer : 1265 $ par mois pour ce beau 5 ½ qui faisait leur bonheur.

Depuis, leur loyer a été augmenté tous les ans. Sans exception.

Les deux colocs ne connaissaient pas la clause F. Ils l’ont appris à leurs dépens. Ils ne sont pas satisfaits des services que leur offre le propriétaire de l’immeuble – ou plutôt de l’absence de services, mais ils aiment assez leur milieu de vie pour y rester, malgré les frustrations qui viennent avec, malheureusement.

Toute bonne chose ayant une fin, leur immeuble de 2018 a maintenant cinq ans. Mais surprise : les locataires ont reçu une nouvelle hausse de 100 $ cette année qui serait applicable en juillet 2023. Pour un nouveau loyer de 1550 $.

Selon le propriétaire, cette cinquième augmentation est toujours sous le parapluie de la clause F.

Selon les locataires, l’immeuble a atteint l’âge vénérable de cinq ans, donc exit la clause F.

La règle calcule que l’immeuble a cinq ans à partir du premier jour d’arrivée du premier locataire. Ce n’est donc pas calculé à la pièce, en nombre de baux. Un juge peut trancher, dans le cas où l’un et l’autre ne font pas le même calcul.

Changement dans la clause

Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec demande son abolition pure et simple, car il considère qu’elle contribue à la crise du logement en élevant le prix des loyers. « Le locataire n’a aucun recours », tranche Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement qui a entendu des histoires de très mauvaises pratiques. Comme de voir des propriétaires qui allaient contre les règlements de l’immeuble en demandant des hausses inexplicables sous la protection de cette disposition.

Malheureusement, c’est une situation où les locataires sont pris en otages.

Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec

La durée de la clause F a bien failli être réduite le printemps dernier, alors que le projet de loi 37 souhaitait limiter à trois ans le droit des propriétaires de hausser le loyer selon leurs calculs, incontestablement. La proposition a été retirée à la suite d’un amendement du PLQ.

Selon la CORPIQ, réduire la durée de couverture risque tout simplement d’augmenter les hausses de loyer sur trois ans.

Maintenant, il faut aussi être conscient qu’avec la situation de pénurie de logements, le risque de mauvaises pratiques, voire carrément d’abus est plus élevé.

Pour Jean-Philippe Bergeron, qui est professeur d’éthique, c’est exactement ce qui se passe dans son complexe de Limoilou et il n’hésite pas à qualifier de douteuses les pratiques de son propriétaire qui ne lui fournit pas d’explications sensées.

Ça n’est pas le seul risque de dérive de la clause F : elle vient avec la possibilité de spéculation. Un constructeur peut décider, par exemple, de vendre son immeuble à profit, avec la clause F toujours active qui donne le droit au nouveau propriétaire d’ajuster les logements à sa guise.

Pour ces raisons, la CORPIQ est favorable à une révision de cette disposition pour développer une clause F plus efficace et juste qui pourra continuer de permettre la construction de logements en contexte de pénurie.