Demande locative explosive, taux d’inoccupation au plancher, inflation dans les loyers, la cause est entendue. La crise du logement existe bel et bien à la grandeur du Québec, confirme le plus récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) portant sur l’immobilier locatif.

Le taux d’inoccupation est descendu partout au pays et le Québec ne fait pas figure d’exception. Le taux provincial des logements vacants se situe à 1,7 %, en baisse par rapport à celui de 2021, qui était de 2,5 %. Le loyer moyen pour un appartement de deux chambres s’élève maintenant à 973 $ par mois, en hausse de 5,4 % en un an.

Un marché est considéré comme en équilibre – c’est-à-dire qu’il ne favorise ni les locataires ni les propriétaires – quand le taux d’inoccupation se situe autour de 3 à 4 %. Sous ce seuil, l’avantage est aux propriétaires qui peuvent augmenter davantage les loyers que dans un marché équilibré.

Il faut remonter à 2004 pour trouver un taux d’inoccupation aussi faible dans la province.

Il s’est pourtant construit quelque 95 000 logements locatifs au Québec depuis 2020, un nombre appréciable. Mais ce fut insuffisant. La demande a crû encore plus vite que l’offre.

À Montréal et à Gatineau, la demande est nourrie par le retour des étudiants sur les campus et par le rebond dans l’immigration, explique, dans un entretien, Francis Cortellino, économiste à la SCHL.

De janvier à septembre 2022, l’immigration nette (entrants-sortants) a affiché un solde positif de 109 000 personnes, une année record si le chiffre devait se maintenir au 4e trimestre. Le record actuel date de 2019 avec un solde migratoire positif de 95 000 personnes sur 12 mois.

Ce qui est frappant, c’est que la pénurie de logements disponibles se vit partout au Québec. Le taux d’inoccupation est inférieur à 1 % dans une quarantaine de secteurs. À Gaspé, Roberval et Sainte-Sophie, il est même à zéro.

L’exode des ménages de l’île de Montréal vers les régions pendant la pandémie a joué sur la demande de logements en province, souligne M. Cortellino.

Génération de locataires

Autre facteur à considérer, la hausse des prix de l’immobilier, « qui a eu pour conséquence de rendre difficile l’accession à la propriété des ménages locataires », lit-on dans le rapport. Depuis 2011, la proportion de propriétaires chez les jeunes ménages ne cesse de baisser dans la région montréalaise. Moins de 4 ménages sur 10 chez les moins de 35 ans sont propriétaires de leur logement.

À Gatineau, le phénomène se vit chez les 25 à 44 ans, pour lesquels le taux de location est passé de 34 à 43 % au cours des 10 dernières années.

Du point de vue de la SCHL, on assiste à une crise qui a été annoncée.

Le présent rapport sur le marché locatif envoie un signal. Qu’est-ce qu’on y trouve ? Un taux d’inoccupation faible et des hausses de loyer importantes. Le message de notre rapport sur l’offre [de juin 2022] qu’il fallait doubler la production de logements pour arriver à un marché abordable était tout à fait adéquat.

Francis Cortellino, économiste de la Société canadienne d’hypothèques et de logement

Il n'y a pas d'amélioration en vue pour 2023.

Les mises en chantier de logements locatifs vont tomber de 32 % au Québec en 2023, en raison de la hausse des coûts de financement et du ralentissement économique, prévoit Paul Cardinal, économiste de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

Selon ses pronostics, à peine 21 000 logements sortiront de terre en 2023, contre 30 700 en 2022.

« La crise du logement est bel et bien là. Si quelqu’un en doutait, il n’y a plus personne qui doit en douter, dit Marc-André Plante, directeur affaires publiques et relations gouvernementales de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec.

« Il faut absolument que les gouvernements viennent aider dans le prochain budget à stimuler l’offre. On n’a pas le choix. Les mathématiques ne marchent pas », ajoute-t-il en faisant référence au fait que le prix des terrains et la hausse des coûts de construction font en sorte qu’il n’est pas économique, selon lui, de construire des logements dont le loyer est inférieur à 1500 $.

Du côté des organismes de défense des locataires, on réclame également l’intervention rapide des élus.

« Il n’est plus possible de nier ou de banaliser la crise du logement vécue par les locataires, ou d’affirmer qu’elle n’est le fait que de régions bien précises », dit, dans un communiqué, Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU. L’organisme militant pour la construction de logements sociaux demande au gouvernement Legault de passer à l’action dès son prochain budget.

Cinq questions sur le logement

Quel est le loyer moyen d’un locataire qui a signé un nouveau bail pour un logement existant offert à la location dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal ?

1235 $, soit une augmentation de 14,5 % par rapport au loyer que payait le précédent occupant.

Si je cherche le loyer le moins cher dans toute la RMR de Montréal pour un quatre et demie, où devrais-je chercher ?

À Montréal-Nord, où le loyer mensuel moyen pour un appartement de deux chambres est de 760 $, soit moins cher que partout en banlieue. Mais les places se font rares, le taux d’inoccupation étant de 0,3 %.

Quelles villes québécoises ont connu les plus fortes hausses de loyers en 2022 ?

Gatineau et Sherbrooke, à égalité, entre 9 % et 10 %. « Du jamais vu depuis que les données sur les loyers sont disponibles », souligne Lukas Jasmin-Tucci, analyste principal à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, dans l’étude portant sur Gatineau.

Combien de locataires ont eu la bougeotte l’an dernier ?

Un locataire sur neuf a changé de domicile au Québec en 2022. À Montréal, c’était un sur dix, et avant la pandémie, un sur six. « Les faibles taux d’inoccupation et les hausses de loyers de plus en plus fortes font que les locataires sont de plus en plus réticents à déménager », écrit l’économiste Francis Cortellino, auteur de l’étude portant sur Montréal.

Combien d’appartements en copropriété sont mis sur le marché de la location ?

Entre 15 % et 23 % des condos aboutissent sur le marché de la location. À Québec, c’est 15 % ; à Montréal, 20 % ; à Gatineau, 23 %. Cela représente un peu plus de 60 000 logements au total.

Ils ont dit

« Le rôle que je vais jouer en lien avec la pénurie de logements, c’est d’accélérer le rythme de livraisons des logements qui ont été promis dans le passé et que nous, comme gouvernement, on a promis pour les prochaines années. J’essaie d’aider tous les joueurs, autant du milieu communautaire que du secteur privé, à accélérer la cadence. Il y aura un effet domino sur tout le parc immobilier. Ça va créer de nouveaux logements [qui vont] en libérer d’autres. »

France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation

« La crise du logement sévit plus que jamais à Montréal. C’est un grave constat qu’on observe ici, mais aussi ailleurs au Québec. […] Pour nous, il n’est pas question de baisser les bras. C’est pour ça qu’on a débloqué un budget historique de 600 millions sur 10 ans pour agir sur deux enjeux : débloquer les projets de logements sociaux et abordables et protéger la qualité des logements existants. C’est une situation qui démontre aussi l’importance qu’il y ait plus de transparence sur le marché afin que locataires et propriétaires aient accès aux mêmes informations. D’ici la fin de l’année, nous allons mettre sur pied notre certification des propriétaires responsables qui comprendra un registre des loyers, ce qui aidera à mieux entretenir les logements et assurer une qualité de vie décente aux locataires montréalais. »

Cabinet de la mairesse Valérie Plante, dans un courriel

« Les données de la SCHL viennent confirmer ce que nous martelons depuis des mois : l’administration de Projet Montréal avance à pas de tortue afin de combler la demande de logements abordables et familiaux. Alors que l’on enregistre la plus forte augmentation de loyer en 20 ans, la pression est énorme sur les logements abordables, dont le taux d’inoccupation oscille autour de 1 %. Nous attendons de pied ferme le plan d’action de l’administration Plante pour accélérer la construction de logements. »

Aref Salem, chef de l’opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal

« On voit bien qu’il est devenu de plus en plus difficile, voire impossible, de trouver un logement abordable parmi ceux qui sont disponibles à la location. Les gouvernements du Québec et du Canada devraient s’inspirer de celui de la Colombie-Britannique, qui vient de lancer un fonds de 500 millions pour permettre à des organismes sans but lucratif d’acheter des immeubles de logements dans le marché privé, là où les loyers sont encore abordables, afin de les préserver de la spéculation et des rénovictions. »

André Castonguay, directeur général du Réseau québécois des OSBL d’habitation

« Plusieurs logements nécessitant des travaux importants seraient disponibles à la location si des subventions à la rénovation ou des crédits d’impôt étaient rapidement mis en place. Afin de stimuler la rénovation et la construction d’immeubles locatifs, une réforme de la méthode de fixation doit être faite. »

Association des propriétaires du Québec, dans un communiqué

« La SCHL nous le montre bien : la grande région de Montréal a vu l’une des plus faibles croissances de l’offre de logement au pays. Les restrictions sur l’offre, les délais administratifs et les coûts réglementaires ralentissent la construction et augmentent le coût minimal du logement – tant en location qu’à l’achat. »

Célia Pinto Moreira, analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse